Commençons l'histoire par son commencement. Une vache produit du lait après avoir mis bas son veau. La lactation, période durant laquelle elle le nourrit - ou peut théoriquement le faire - dure environ trois cents jours. Cette période fluctue en fonction de la race bovine. Le succès de la Frisonne Française Pie Noire (FFPN) baptisée Holstein ou Prim'Holstein, tient aux performances reconnues de cette race.
Les ingénieurs agronomes ont depuis longtemps sélectionné les individus les plus prolifiques, quitte à appauvrir le patrimoine génétique des cheptels concernés [source]. Un éleveur laitier – spécialisation relativement récente à l’échelle de l’histoire humaine – a choisi de ne produire que du lait, rien que du lait. Aussi se débarrasse-t-il des veaux, généralement dans les quelques jours qui suivent leur mise au monde. Un autre éleveur spécialisé les achète, qui se charge de son côté d’engraisser les jeunes animaux avant de les envoyer à l’abattoir dans l'année qui suit leur naissance.
Dans la majorité des cas, les veaux séparés de leur génitrice et nourris au lait en poudre sur-crémé restent cinq à six mois en stabulation. Si le veau ne quitte pas l’exploitation, il passe à une alimentation qui combine le lait et l'herbe. Le broutard (Salers élevé en Belgique) abattu à l'âge d'un an donne une viande au rose plus soutenu, destinée à une clientèle amatrice, en Italie par exemple. Pour répondre en revanche aux critères « élevé sous la mère », l’éleveur doit laisser à la mère son veau. La viande du jeune animal reste blanche tant qu’il ne va pas brouter dans le pré. Seule une minorité d’éleveurs optent pour cette solution, soit parce qu’elle entraîne une prise de poids plus lente (argument économique), soit parce que les races bovines concernées sont réputées moins dociles.
Le secteur industriel, qui pérennise (pasteurisation) ou transforme le lait cru acquiert le lait à un prix jugé en 2009 trop bas. Les éleveurs ayant choisi de vendre leur lait tel quel évitent des désagréments touchant au stockage, à l’hygiène ou au conditionnement. C’est une tranquillité toute relative, car dans le cas d'individus profilés comme la Holstein, une vache ne peut rester une journée sans qu’on la traie. Le paysan libre retombe littéralement en esclavage, éternellement privé de week-ends et de vacances. Un cliché de pies gonflées un jour de concours agricole renseigne le néophyte [cliché]. Evidemment, il ne faut pas non plus surestimer la notion de choix. L’éleveur laitier ayant investi dans une salle de traite ne peut se reconvertir sans frais dans la viande, si tant est qu’il en ait les compétences. En voilà une qui peut fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre... [Une Poignée de Noix Fraîches].
La crise du lait illustre en réalité les limites de la spécialisation économique. Les manifestations les plus spectaculaires d’éleveurs laitiers au cours de ce mois de septembre 2009 donnent la fâcheuse impression que les problèmes sont simples, et qu’en pendant haut et court un directeur d’hypermarché une fois de temps en temps, les éleveurs vivraient mieux. Devant les caméras, des tracteurs répandent des centaines de litres de lait sur des près salés situés à quelques centaines de mètres du Mont-Saint-Michel [Le Monde]. Il y a là un soin méticuleux à choisir un décor propre à toucher au cœur le téléspectateur. Avec une mise en scène équivalente, d’autres éleveurs remplissent une sorte de piscine à Bruxelles, le noir des bâches en plastique contrastant avec la blancheur lactée.
Il n’y a cependant rien de nouveau. Dans le domaine du lait, la spécialisation associée à la division du travail aboutit à une maximisation des gains les bonnes années, et à une maximisation des pertes le reste du temps. Pour un économiste, les prix très élevés du lait en 2007 et 2008 ont à ce titre envoyé un signal aux éleveurs. Les syndicalistes agricoles les plus bornés n'ont pas hésité à marteler le message, répétant à qui voulait entendre que nous risquions une pénurie de lait. Quelques mois plus tard survient une surproduction. En fait l’éleveur laitier intensif devrait ne rien ignorer de ce à quoi il échappe, positivement ou négativement : la transformation d’une matière première brute.
Il faut certes rendre justice aux agriculteurs sur deux points. A Paris puis à Bruxelles, les aides publiques ont continûment poussé à ne prendre en compte que le nombre d’hectolitres envoyés chaque semaine à la laiterie. Dans un premier temps, les subsides ont récompensé les éleveurs capables de pousser le plus loin l’intensivité, d'abord en remplaçant l’herbe par des produits de substitution. Au temps de la surproduction, les quotas laitiers ont visé au contraire à réduire la production. Les sommes dépensées dans des politiques de régulation n’ont produit qu’un effet mitigé. Qu’on en juge par les sommets atteints en 2007 – 2008 et les abysses de l’automne 2009. Dans un contexte géo – économique concurrentiel, les primes et les quotas n’ont pu empêcher une réorganisation de la filière agro-industrielle, les éleveurs les plus modestes ne pouvant remporter la course aux armements.
Mais les raisons d’excuser les producteurs de lait ne se limitent pas à cela. L’exigence grandissante en terme de sécurité alimentaire a rendu complexe la vente directe de lait, de l’éleveur au consommateur. L'hygiénisme ne présente pas seulement des inconvénients. Dans le cas de la viande, il serait psychologiquement difficile pour un gros éleveur de tuer lui-même ou de faire tuer dans sa ferme des dizaines de vaches laitières réformées, c'est-à-dire trop vieilles pour continuer à produire du lait en quantités suffisantes. Certains citadins amateurs de lait disent regretter la vente à la ferme. Ils ne savent même pas à quoi ressemble l’odeur de lait tourné, tellement ils sont habitués au lait longue conservation.
En règle générale, on recommande à celui qui juge insuffisant le prix de vente de sa matière première non transformée – quel agriculteur ne se plaint-il pas des prix ? –, de valoriser son produit. Comment un éleveur laitier peut-il valoriser, en dehors de l’exemple des veaux déjà brièvement présenté ? Pour simplifier, il faut qu’il stocke son lait, soit sous la forme de fromages, soit sous la forme de produits laitiers. De fait, la récupération du petit-lait (autrement appelé lactosérum), la cuisson et / ou la réfrigération nécessitent des compétences et du matériel. Mais une simple recherche sur Internet ouvre des portes virtuelles.
En Brie (77), la ferme du Petit-Rémy fabrique des yaourts artisanaux, à la crème de marron – vanille, commercialisés sur place. Le site donne toutefois l’adresse de quatre points extérieurs à la ferme. Dans une autre ferme, en Alsace, on fabrique des glaces artisanales, avec des parfums locaux comme la quetsche : mais le prix du litre de glace est le triple de celui d’une glace de grande surface. Il parait en outre difficile de passer commande en Bretagne. Ailleurs, en Auvergne, un Gaec présente une gamme de fromages et de beurre (2,5 € pour 250 grammes) fermiers.
Les exemples ne manquent donc pas d’agriculteurs qui font preuve d’imagination. Cela étant, ils prennent des risques, car ils immobilisent un capital et se rendent directement dépendants du bon vouloir de leurs clients. Ils privilégient la qualité sur la quantité. J’ignore si cette situation est plus confortable que celle de l’éleveur laitier attendant son camion-citerne pour vider sa cuve. Mais je sais qui fait le plus de bruit, dans le plus grand respect - du haut de mon clavier - du travail harassant fournis par les uns et les autres...
Les journaux préfèrent raconter une autre histoire, celle du petit poucet et de l’ogre : Laitier une fois… Les élus de l'ouest reprennent bruyamment les principaux passages de l'histoire, les manigances de la grande distribution, les industriels manipulateurs. Tous répercutent l'ode à la nécessaire - et vertueuse - régulation publique des marchés.
Les ingénieurs agronomes ont depuis longtemps sélectionné les individus les plus prolifiques, quitte à appauvrir le patrimoine génétique des cheptels concernés [source]. Un éleveur laitier – spécialisation relativement récente à l’échelle de l’histoire humaine – a choisi de ne produire que du lait, rien que du lait. Aussi se débarrasse-t-il des veaux, généralement dans les quelques jours qui suivent leur mise au monde. Un autre éleveur spécialisé les achète, qui se charge de son côté d’engraisser les jeunes animaux avant de les envoyer à l’abattoir dans l'année qui suit leur naissance.
Dans la majorité des cas, les veaux séparés de leur génitrice et nourris au lait en poudre sur-crémé restent cinq à six mois en stabulation. Si le veau ne quitte pas l’exploitation, il passe à une alimentation qui combine le lait et l'herbe. Le broutard (Salers élevé en Belgique) abattu à l'âge d'un an donne une viande au rose plus soutenu, destinée à une clientèle amatrice, en Italie par exemple. Pour répondre en revanche aux critères « élevé sous la mère », l’éleveur doit laisser à la mère son veau. La viande du jeune animal reste blanche tant qu’il ne va pas brouter dans le pré. Seule une minorité d’éleveurs optent pour cette solution, soit parce qu’elle entraîne une prise de poids plus lente (argument économique), soit parce que les races bovines concernées sont réputées moins dociles.
Le secteur industriel, qui pérennise (pasteurisation) ou transforme le lait cru acquiert le lait à un prix jugé en 2009 trop bas. Les éleveurs ayant choisi de vendre leur lait tel quel évitent des désagréments touchant au stockage, à l’hygiène ou au conditionnement. C’est une tranquillité toute relative, car dans le cas d'individus profilés comme la Holstein, une vache ne peut rester une journée sans qu’on la traie. Le paysan libre retombe littéralement en esclavage, éternellement privé de week-ends et de vacances. Un cliché de pies gonflées un jour de concours agricole renseigne le néophyte [cliché]. Evidemment, il ne faut pas non plus surestimer la notion de choix. L’éleveur laitier ayant investi dans une salle de traite ne peut se reconvertir sans frais dans la viande, si tant est qu’il en ait les compétences. En voilà une qui peut fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre... [Une Poignée de Noix Fraîches].
La crise du lait illustre en réalité les limites de la spécialisation économique. Les manifestations les plus spectaculaires d’éleveurs laitiers au cours de ce mois de septembre 2009 donnent la fâcheuse impression que les problèmes sont simples, et qu’en pendant haut et court un directeur d’hypermarché une fois de temps en temps, les éleveurs vivraient mieux. Devant les caméras, des tracteurs répandent des centaines de litres de lait sur des près salés situés à quelques centaines de mètres du Mont-Saint-Michel [Le Monde]. Il y a là un soin méticuleux à choisir un décor propre à toucher au cœur le téléspectateur. Avec une mise en scène équivalente, d’autres éleveurs remplissent une sorte de piscine à Bruxelles, le noir des bâches en plastique contrastant avec la blancheur lactée.
Il n’y a cependant rien de nouveau. Dans le domaine du lait, la spécialisation associée à la division du travail aboutit à une maximisation des gains les bonnes années, et à une maximisation des pertes le reste du temps. Pour un économiste, les prix très élevés du lait en 2007 et 2008 ont à ce titre envoyé un signal aux éleveurs. Les syndicalistes agricoles les plus bornés n'ont pas hésité à marteler le message, répétant à qui voulait entendre que nous risquions une pénurie de lait. Quelques mois plus tard survient une surproduction. En fait l’éleveur laitier intensif devrait ne rien ignorer de ce à quoi il échappe, positivement ou négativement : la transformation d’une matière première brute.
Il faut certes rendre justice aux agriculteurs sur deux points. A Paris puis à Bruxelles, les aides publiques ont continûment poussé à ne prendre en compte que le nombre d’hectolitres envoyés chaque semaine à la laiterie. Dans un premier temps, les subsides ont récompensé les éleveurs capables de pousser le plus loin l’intensivité, d'abord en remplaçant l’herbe par des produits de substitution. Au temps de la surproduction, les quotas laitiers ont visé au contraire à réduire la production. Les sommes dépensées dans des politiques de régulation n’ont produit qu’un effet mitigé. Qu’on en juge par les sommets atteints en 2007 – 2008 et les abysses de l’automne 2009. Dans un contexte géo – économique concurrentiel, les primes et les quotas n’ont pu empêcher une réorganisation de la filière agro-industrielle, les éleveurs les plus modestes ne pouvant remporter la course aux armements.
Mais les raisons d’excuser les producteurs de lait ne se limitent pas à cela. L’exigence grandissante en terme de sécurité alimentaire a rendu complexe la vente directe de lait, de l’éleveur au consommateur. L'hygiénisme ne présente pas seulement des inconvénients. Dans le cas de la viande, il serait psychologiquement difficile pour un gros éleveur de tuer lui-même ou de faire tuer dans sa ferme des dizaines de vaches laitières réformées, c'est-à-dire trop vieilles pour continuer à produire du lait en quantités suffisantes. Certains citadins amateurs de lait disent regretter la vente à la ferme. Ils ne savent même pas à quoi ressemble l’odeur de lait tourné, tellement ils sont habitués au lait longue conservation.
En règle générale, on recommande à celui qui juge insuffisant le prix de vente de sa matière première non transformée – quel agriculteur ne se plaint-il pas des prix ? –, de valoriser son produit. Comment un éleveur laitier peut-il valoriser, en dehors de l’exemple des veaux déjà brièvement présenté ? Pour simplifier, il faut qu’il stocke son lait, soit sous la forme de fromages, soit sous la forme de produits laitiers. De fait, la récupération du petit-lait (autrement appelé lactosérum), la cuisson et / ou la réfrigération nécessitent des compétences et du matériel. Mais une simple recherche sur Internet ouvre des portes virtuelles.
En Brie (77), la ferme du Petit-Rémy fabrique des yaourts artisanaux, à la crème de marron – vanille, commercialisés sur place. Le site donne toutefois l’adresse de quatre points extérieurs à la ferme. Dans une autre ferme, en Alsace, on fabrique des glaces artisanales, avec des parfums locaux comme la quetsche : mais le prix du litre de glace est le triple de celui d’une glace de grande surface. Il parait en outre difficile de passer commande en Bretagne. Ailleurs, en Auvergne, un Gaec présente une gamme de fromages et de beurre (2,5 € pour 250 grammes) fermiers.
Les exemples ne manquent donc pas d’agriculteurs qui font preuve d’imagination. Cela étant, ils prennent des risques, car ils immobilisent un capital et se rendent directement dépendants du bon vouloir de leurs clients. Ils privilégient la qualité sur la quantité. J’ignore si cette situation est plus confortable que celle de l’éleveur laitier attendant son camion-citerne pour vider sa cuve. Mais je sais qui fait le plus de bruit, dans le plus grand respect - du haut de mon clavier - du travail harassant fournis par les uns et les autres...
Les journaux préfèrent raconter une autre histoire, celle du petit poucet et de l’ogre : Laitier une fois… Les élus de l'ouest reprennent bruyamment les principaux passages de l'histoire, les manigances de la grande distribution, les industriels manipulateurs. Tous répercutent l'ode à la nécessaire - et vertueuse - régulation publique des marchés.
PS / Geographedumonde sur les questions agricoles : Cochon qui rit !
Incrustation : Vaches Holstein atteintes de mammite.