lundi 28 juin 2010

Par l’opération du Pont-Saint-Esprit. (Des menaces financières pesant sur les collectivités locales)

Pour saisir l'impact à venir de la crise financière américaine sur l'économie française, le papier d'Ian Campbell consacré à l'économie britannique (Breakingnews / Le Monde du 24 septembre 2008) apporte une trame de départ. Il critique en effet la courte vue du ministre des finances outre - Manche, qui ressemble trait pour trait à celle observée ces derniers temps chez d'autres responsables politiques à Paris ou à New York. Alistair Darling, chancelier de l'Echiquier s'adressant le 22 septembre aux membres du Labour, parle des « ogres de la finance » qui « sèment la terreur » et déstabilisent le Royaume-Uni. Les travaillistes réformaient (...), désormais ils se lavent les mains : « aucun gouvernement ne peut combattre seul ce terrorisme d'ampleur mondiale. » Ian Campbell balaie l'argumentaire d'un revers de main. Les responsables de la crise vivent des deux côtés de l'Atlantique. Et il dénonce le laxisme gouvernemental passé. L'argent a été « facile » à mobiliser parce que les ogres de la finance n'ont rencontré aucune barrière. La fiscalité réduite au minimum et les taux d'intérêt dérisoires ont alimenté la flambée des prix de l'immobilier. Ils ont triplé en moyenne au Royaume-Uni. Alistair Darling annonce à son auditoire que la dette publique ne restera pas dans les limites autorisées par le traité de Maastricht.
En conclusion, avertit Ian Campbell, « tout comme son homologue américain, le contribuable britannique fera les frais de l'éclatement de la bulle immobilière. En lançant la chasse aux ogres, on cherche à le lui faire oublier, au moins pour un temps. » Du discours du président de la République à Toulon, il ne ressort rien de très original. Les spéculateurs spéculent, les grands patrons s'octroient des salaires mirobolants, et les petits épargnants ne doivent rien craindre : l'Etat veille. L'impression qui prévaut finalement est que Elysée rime avec Echiquier. Les accents martiaux cachent mal une navigation à vue. Plutôt que d'admettre une absence de marge de manoeuvre, voire une faible prise sur les événements en cours, le chancelier comme le président préférent dénoncer les capitalistes sans âmes ni scrupules. Il est vrai que cela ne les engage pas à grand chose de déclencher l'ouverture de la chasse au dahu, variante financière de l'ogre évoqué plus haut.
L'annonce par Nicolas Sarkozy d'une prochaine diminution du nombre de fonctionnaires d'Etat fait certes exception dans le flot de considérations générales. Les statistiques révèlent pourtant que la part du PIB consacrée aux dépenses de l'Etat a nettement diminué depuis vingt ans : 28 % en 1993 contre 24 % en 2006. Dans le même temps, la part de PIB consacrée aux dépenses des collectivités locales a glissé de 9 à 11 % (source). Celles-ci ont bénéficié de la montée en puissance des impôts locaux : taxes foncières, taxes d'habitation, taxe professionnelle, pour ne citer que les trois principales... Dans le Monde du 19 septembre dernier, Isabelle Rey-Lefebvre consacre justement un dossier à cette question de l'alourdissement progressif des budgets des collectivités locales. Dexia estime ainsi qu'en 2007, le montant total de leurs dépenses s'approche des 200 milliards d'euros (198,9 / + 6,9 %) alors que les recettes restent nettement en deçà, à 181 milliards d'euros.
L'Etat a ainsi rétrocédé la gestion des agents non enseignants de l'Education Nationale ou encore ceux de la DDE. De toutes façons, indique la journaliste, l'endettement progresse au plus mauvais moment : « Les collectivités, mais aussi des hôpitaux, des organismes HLM, épargnent moins et s'endettent. La dette publique locale est passée, entre 2001 et 2007, de 100 à 120 milliards, et devrait atteindre, fin 2008, 126 milliards, soit 6,4 % du produit intérieur brut. » Comme les taux d'intérêts augmentent, la charge de remboursement suit dans les mêmes proportions : 5,6 milliards d'euros d'intérêts en 2008. En deux ans, l'accroissement est proche de 20 %, avec de lourdes incertitudes concernant les prêts dits structurés [1].
Mais la principale inquiétude se situe à un autre niveau. La journaliste rappelle que le retournement du marché immobilier arrive comme un chien dans un jeu de quilles. Les droits de mutation s'élèvent en 2007 à 10,1 milliards d'euros. Les collectivités locales n'ont pas seulement remplacé un Etat défaillant. Dans l'euphorie de la décentralisation d'une part et du développement des communes périurbaines ou proches des littoraux d'autre part, elles ont engagé des dépenses plus ou moins contraintes par leur capacité d'endettement. Nombre d'entre elles (dans quelle proportion ?) ont progressivement perdu le contrôle de la situation, ainsi que l'illustre l'enquête d'Isabelle Rey-Lefebvre dans une commune de 10.000 habitants, Pont-Saint-Esprit dans le département du Gard [Voir photo (Regard public)].
La Chambre Régionale des Comptes dénonce là un endettement anormal, évalué à 22,66 millions d'euros. Sur place, on apprend qu'un concert organisé avec des têtes d'affiche nationales n'a pu se dérouler, faute d'argent ; malgré les déboires financiers de la commune, le maire garde en tout cas l'esprit large quand il s'agit de faire venir Liane Foly ou Hélène Ségara. Il admet employer 350 agents municipaux. Si la Mairie de Paris, où l'on recense 43.000 employés pour 2,17 millions d'habitants, appliquait les standards de Pont-Saint-Esprit, il y aurait 75.950 employés... L'opposition municipale avance quant à elle le nombre de 580 emplois liés à la municipalité. Evidemment, on peut toujours considérer que la commune de Pont-Saint-Esprit est une exception, et que le maire ne fait preuve d'aucune démagogie. Cet ancien président de Conseil Général, ancien ministre délégué au commerce dans le gouvernement Bérégovoy (1992) passé depuis à l'UMP parle de politique sociale, tout en se disant victime d'un complot.
Beaucoup de collectivités locales ne disposent plus aujourd'hui des retombées de la bulle immobilière. Le temps où l'on croyait que les prix allaient grimper jusqu'à la fin des temps est révolu. A Pont-Saint-Esprit, depuis que le maire a été élu pour la première fois en 1971, la population a augmenté de 44 % (de 6.700 à 9.660 habitants), absorbée par des quartiers pavillonnaires nouveaux directement menacés par les débordements du Rhône [niveau du fleuve dans la vieille ville]. A terme, l'opération du Pont-Saint-Esprit s'avère désastreuse, car il faudra sans aucun doute licencier une partie du personnel pour alléger les charges municipales. Au lieu de scruter sans rien y comprendre les fluctuations des cours des banques, et de reprendre en boucle le discours de Toulon, les observateurs gagneraient par conséquent à étudier - comme Isabelle Rey-Lefebvre - le cas des collectivités que le contexte forcera à resserrer leur budget. Comment reviendra-t-on sur un étalement urbain non régulé, combien d'emplois (para)publics vont bientôt disparaître, créés pour gonfler des clientèles électorales... ?


PS./ Geographedumonde sur la bulle immobilière en France : Pour rêver éveiller, pensez à la Fnaim.




[1] « Les prêts dits structurés, qui, d'après une estimation de Finance Active, une société de conseil en gestion de dettes, représentent près de 24 % de la dette des collectivités locales, sont particulièrement vulnérables à la hausse des taux directeurs. L'Euribor douze mois a atteint 5,33 % le 1er septembre, un niveau inédit depuis la création de l'euro. Avec ce type de formule, un prêt peut passer brutalement d'un taux de 3,80 % à 7,80 %. Seule solution : essayer de renégocier avec le banquier l'étalement de la dette, ce qui alourdit à terme l'endettement ! » / Isabelle Rey-Lefebvre (Le Monde du 19 septembre)

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