Dans le numério 938 (octobre 2008) de l’hebdomadaire Courrier International, un article d’Yves Steiner fait le point sur la situation de l’Algérie. J’ai recherché par simple curiosité l’original publié par l’Hebdo de Lausanne. A ma grande surprise, le journal français a retravaillé l’article suisse. La même signature clôt toutefois les deux articles. Le Courrier International livre une version expurgée. Peut-être la place manque-t-elle. Cette explication n’épuise pas la question : pourquoi a-t-on changé les titres, alors que le nombre de mots ne varie pas notablement ? En langue romande, Yves Steiner désigne un coupable : « À Alger les rentiers du pétrole étouffent toute liberté.» A Paris le titre devient « La richesse et la liberté sont confisquées. » Dans le premier on lit une action. Dans le second, la forme passive débouche sur une allusion imprécise et une question en l’air : cette richesse et cette liberté, par qui sont-elles confisquées ?
Le commentaire précédent vaut également pour le chapeau : « Malgré des moyens colossaux générés par le pétrole, le pouvoir assombrit l’horizon de la jeunesse. En 2009, Abdelaziz Bouteflika quittera la présidence, alors que la reprise des attentats sonne comme l’échec de la réconciliation nationale. » [L’H] Le ton change d’un journal à l’autre : « Les hydrocarbures génèrent des profits colossaux. Mais la majorité de la population n’en profite pas. A quelques mois de l’élection présidentielle, la grogne monte – et la répression se durcit. » [CI] Est-il nécessaire de préciser les sources respectives ?! Dans le second cas, le journaliste se réfugie derrière des euphémismes. Il noie dans le flou l’information principale. Un président incarnait l’espoir d’un sursaut, au moment de son arrivée au pouvoir. Il a failli sur sa proposition d’extirper le terrorisme et de ramener la paix, toutes choses incluses dans le programme dit de réconciliation nationale. Dans la suite des deux articles, les coupes ne se répartissent pas équitablement. On trouvera en note l’intégralité. Pour les besoins d’une comparaison, la version suisse de l’article apparaît en gras. [1]
Le texte commence par la description de la rade d’Alger. Le ferry qui relie le port à celui de Marseille transporte des voyageurs. Dans l’original, on apprend qu’« [à] bord, les Algériens de France repartent. Les vacances au pays s’achèvent. Sur le parvis, des curieux suivent ce ballet naval et, qui sait, rêvent d’embarquer vers l’ancienne métropole, si tatillonne dès que l’Algérien lui parle visa. Mais les temps changent. Enrichie par son gaz et son pétrole, l’Algérie n’est plus un département français. Ses richesses, elle les dispense à d’autres, aux Etats-Unis et à la Chine. Et si un jour Paris entend contrôler les migrations africaines depuis l’Algérie, il ne pourra se soustraire à une condition d’Alger: la libre circulation de ses ressortissants. Sans quoi, toute tentative d’Union pour la Méditerranée est inutile. »
Sur le thème des persécutions religieuses, l’article français se limite à deux phrases, et dénature à mon sens le propos, en laissant entendre que la question religieuse rentre dans le cadre balisé de l’antagonisme entre l’Algérie et la France. Dans le Courrier International, les chrétiens semblent venus de France - à l’image du prêtre interrogé - par opposition aux Algériens musulmans. Telle n’était pas l’intention première : « Celui qui disait, voici trois ans, sous la nef du lieu, face à la Vierge noire, qu’il fallait ‘unir les deux rives de la Méditerranée’ (Le Figaro du 6 juin 2005), raconte aujourd’hui sa tristesse, celle d’une communauté de dizaines de milliers d’âmes […] En quittant le lieu, le regard s’arrête sur un mot, gravé sur l’abside de Notre-Dame: ‘Priez pour nous et pour les musulmans’ ». Les chrétiens du Maghreb témoignent d’une histoire inaugurée six siècles avant la naissance du Prophète. Or les autorités algériennes ne se bornent pas à pourchasser les évangélistes - dans la version suisse - mais tous les chrétiens algériens.
Bien plus, elles instrumentalisent l’Islam à leurs propres fins. « L’islamisation du pouvoir et de la société autorise à bafouer d’autres cultes, mais il y a plus. […] S’il est vrai que, comme en Kabylie, les évangéliques ont fait du prosélytisme sans autorisation et se sont donc mis hors-la-loi, ces persécutions servent à détourner l’attention du public.’ » L’expression d’islamisation mériterait à elle seule un questionnement. L’auteur considère-t-il qu’une système de pensée se propage, ou qu’il s’agit au contraire d’une radicalisation : progrès d’un parti religieux d’un côté, ou développement de l’intolérance islamiste de l’autre ? La première option ne tient pas depuis l’interdiction du Front Islamique du Salut en 1991. Mais il est difficile de trancher l’ambiguïté ici.
Les Algérois grincent des dents. Leur quotidien ne prête guère à sourire. Dans la version française, on lit la complainte de la vie chère. Dans L’Hebdo, les commerçants de Bab el-Oued tempêtent contre les vendeurs à la sauvette qui les concurrencent de façon déloyale. Plus qu’anecdotique, l’économie parallèle fleurit avec l’autorisation des policiers. Ceux-ci s’avèrent en revanche particulièrement scrupuleux lorsqu’il faut contrôler les bars et les débits de boissons, qui ferment les uns après les autres pour cause de non conformité sanitaire. Les Algéroises étouffent, comme l’illustrait récemment le Quotidien d’Oran [2]. Les Algérois attendent du travail en vain. « Des chiffres officiels, conservateurs assure la presse locale, évoquent 16% de chômage en moyenne. Chez les jeunes entre 16 et 29 ans – soit un cinquième des Algériens – le gouvernement chuchote un chiffre de 28 %. Pour les femmes vivant en milieu urbain, à l’image de Sofia justement, ce chiffre surpasse 40%. Mais là encore, experts et sociologues s’interrogent sur l’exactitude de ces statistiques et doutent qu’elles rendent compte avec rigueur de l’ampleur du désœuvrement dans lequel est plongée la jeunesse algérienne. »
Beaucoup ont cherché à s’exiler. Le flot se tarit aujourd’hui, parce que les harragas n’échappent que rarement au naufrage, mais aussi parce que la police française renvoie les étrangers sans papiers dans leur patrie d’origine. Encore une fois, la version du Courrier International évoque un malaise général, mais dans un vague relatif. Il y manque la conclusion sans appel, sur « l’appel du collectif [qui] ne fonctionne plus. » Yves Steiner souligne ici la déroute de l’Algérie - FLN. Une part grandissante de la population n’adhère plus aux slogans éculés de l’après 1962. En juillet dernier, le pouvoir a inventé une parade pathétique : offrir un drapeau algérien pour chaque foyer… [Source] Le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme se montre abrupt. Il nie la réalité concrète d’une réconciliation nationale. Pour lui, l’Algérie s’enfonce. En disant « Depuis 2000, les droits de l’homme ont régressé en Algérie et la torture reste pratiquée’ », Kheireddine Abbas prononce l’indicible. Dans la mythologie révolutionnaire, la torture rentre en effet dans le champ lexical servant à décrire l’ennemi, l’Armée française.
Un commentaire sur le site de L’Hebdo fait douter de la représentativité des opinions de Kheireddine Abbas. L’Algérien (intox ?) qui rédige ces quelques phrases laborieuses expose à mon avis les raisons de la déroute du système - FLN. Il croit encore que l’agresseur se terre aux frontières et ourdit des complots contre l’Algérie. Un peu à l’image de notables maghrébins pro-français parce qu’hostiles à l’empire Ottoman (au 19ème siècle), il fantasme sur un modèle à la fois lointain et mal défini - d’où des fautes en anglais -. Incapable d’user de la première personne, il se réfugie dans une troisième personne, une dénomination collective peu convaincante. Son sabir laisse transparaître en outre un décalage qui laisse supposer une mauvaise maîtrise de l’arabe, handicap banal en Algérie [source].
« This is a reach country, you approve it or not. Il y a cependant beacoup de vampire qui demeurent autour de ce pays qui a des richesses naturelles : jeunesse, Hydrocarbure, et un pays immense. La France a suce de la richesse de ce pays pendant plus d’un siecle et demi, que veut on encore, Laissez les algeriens en paix, apres tout ce ne sont pas vous qui allez la sauver au moindre probleme. Hypochrisie et egoisme, Il vaut mieux regrader vos affaires et vous occupez de la dgradation du niveau de vie des francais qui commence acompter les ecntimes des euros, votre pouvoir degringole, votre president est occupe par d’autres affaires personnelles. Oubliez l’Algerie, On se tourne vers les US, la Chine, la ou il ya plus de realsime et de pragmatisme, plutot que votre systeme old fashion: On a plus besoin de vous , on cherche maintenant le savoir faire et la technologie a leur SOURCE! Merci. » Aucune modification n’a été apportée au commentaire original (18/10/08).
Il n’en demeure pas moins que ce commentateur méconnaît sans doute les modifications apportées par le Courrier International à l’article original. Je renonce en effet au terme de censure. La rédaction de l’hebdomadaire souhaitait-elle ménager Alger et préserver son droit de diffusion de l’autre côté de la Méditerranée ? En réalité, les prélèvements sur l’article de L’Hebdo ne détournent pas le sens initial, mais affadissent nettement le propos du journaliste suisse. Quelle que soit l’hypothèse retenue, le coupeur aurait gagné à indiquer les parties sectionnées par trois points entre parenthèses […] : simple déontologie. Compte tenu des ventes du Courrier International dans l’Hexagone et des caractéristiques sociologiques de son lectorat, je n’écarte cependant pas une autre supposition. Car il ont été nombreux les coopérants, les enseignants, ou les technocrates employés dans les grands groupes nationalisés qui ont vécu et travaillé dans l’Algérie tout juste décolonisée. Les années 1960 et 1970 représentent pour ceux-ci un paradis perdu. Combien sont restés après l’arrivée au pouvoir de Chadli ? Leur susceptibilité de lecteur justifiait - qui en doute ? - un léger écrémage.
Le commentaire précédent vaut également pour le chapeau : « Malgré des moyens colossaux générés par le pétrole, le pouvoir assombrit l’horizon de la jeunesse. En 2009, Abdelaziz Bouteflika quittera la présidence, alors que la reprise des attentats sonne comme l’échec de la réconciliation nationale. » [L’H] Le ton change d’un journal à l’autre : « Les hydrocarbures génèrent des profits colossaux. Mais la majorité de la population n’en profite pas. A quelques mois de l’élection présidentielle, la grogne monte – et la répression se durcit. » [CI] Est-il nécessaire de préciser les sources respectives ?! Dans le second cas, le journaliste se réfugie derrière des euphémismes. Il noie dans le flou l’information principale. Un président incarnait l’espoir d’un sursaut, au moment de son arrivée au pouvoir. Il a failli sur sa proposition d’extirper le terrorisme et de ramener la paix, toutes choses incluses dans le programme dit de réconciliation nationale. Dans la suite des deux articles, les coupes ne se répartissent pas équitablement. On trouvera en note l’intégralité. Pour les besoins d’une comparaison, la version suisse de l’article apparaît en gras. [1]
Le texte commence par la description de la rade d’Alger. Le ferry qui relie le port à celui de Marseille transporte des voyageurs. Dans l’original, on apprend qu’« [à] bord, les Algériens de France repartent. Les vacances au pays s’achèvent. Sur le parvis, des curieux suivent ce ballet naval et, qui sait, rêvent d’embarquer vers l’ancienne métropole, si tatillonne dès que l’Algérien lui parle visa. Mais les temps changent. Enrichie par son gaz et son pétrole, l’Algérie n’est plus un département français. Ses richesses, elle les dispense à d’autres, aux Etats-Unis et à la Chine. Et si un jour Paris entend contrôler les migrations africaines depuis l’Algérie, il ne pourra se soustraire à une condition d’Alger: la libre circulation de ses ressortissants. Sans quoi, toute tentative d’Union pour la Méditerranée est inutile. »
Sur le thème des persécutions religieuses, l’article français se limite à deux phrases, et dénature à mon sens le propos, en laissant entendre que la question religieuse rentre dans le cadre balisé de l’antagonisme entre l’Algérie et la France. Dans le Courrier International, les chrétiens semblent venus de France - à l’image du prêtre interrogé - par opposition aux Algériens musulmans. Telle n’était pas l’intention première : « Celui qui disait, voici trois ans, sous la nef du lieu, face à la Vierge noire, qu’il fallait ‘unir les deux rives de la Méditerranée’ (Le Figaro du 6 juin 2005), raconte aujourd’hui sa tristesse, celle d’une communauté de dizaines de milliers d’âmes […] En quittant le lieu, le regard s’arrête sur un mot, gravé sur l’abside de Notre-Dame: ‘Priez pour nous et pour les musulmans’ ». Les chrétiens du Maghreb témoignent d’une histoire inaugurée six siècles avant la naissance du Prophète. Or les autorités algériennes ne se bornent pas à pourchasser les évangélistes - dans la version suisse - mais tous les chrétiens algériens.
Bien plus, elles instrumentalisent l’Islam à leurs propres fins. « L’islamisation du pouvoir et de la société autorise à bafouer d’autres cultes, mais il y a plus. […] S’il est vrai que, comme en Kabylie, les évangéliques ont fait du prosélytisme sans autorisation et se sont donc mis hors-la-loi, ces persécutions servent à détourner l’attention du public.’ » L’expression d’islamisation mériterait à elle seule un questionnement. L’auteur considère-t-il qu’une système de pensée se propage, ou qu’il s’agit au contraire d’une radicalisation : progrès d’un parti religieux d’un côté, ou développement de l’intolérance islamiste de l’autre ? La première option ne tient pas depuis l’interdiction du Front Islamique du Salut en 1991. Mais il est difficile de trancher l’ambiguïté ici.
Les Algérois grincent des dents. Leur quotidien ne prête guère à sourire. Dans la version française, on lit la complainte de la vie chère. Dans L’Hebdo, les commerçants de Bab el-Oued tempêtent contre les vendeurs à la sauvette qui les concurrencent de façon déloyale. Plus qu’anecdotique, l’économie parallèle fleurit avec l’autorisation des policiers. Ceux-ci s’avèrent en revanche particulièrement scrupuleux lorsqu’il faut contrôler les bars et les débits de boissons, qui ferment les uns après les autres pour cause de non conformité sanitaire. Les Algéroises étouffent, comme l’illustrait récemment le Quotidien d’Oran [2]. Les Algérois attendent du travail en vain. « Des chiffres officiels, conservateurs assure la presse locale, évoquent 16% de chômage en moyenne. Chez les jeunes entre 16 et 29 ans – soit un cinquième des Algériens – le gouvernement chuchote un chiffre de 28 %. Pour les femmes vivant en milieu urbain, à l’image de Sofia justement, ce chiffre surpasse 40%. Mais là encore, experts et sociologues s’interrogent sur l’exactitude de ces statistiques et doutent qu’elles rendent compte avec rigueur de l’ampleur du désœuvrement dans lequel est plongée la jeunesse algérienne. »
Beaucoup ont cherché à s’exiler. Le flot se tarit aujourd’hui, parce que les harragas n’échappent que rarement au naufrage, mais aussi parce que la police française renvoie les étrangers sans papiers dans leur patrie d’origine. Encore une fois, la version du Courrier International évoque un malaise général, mais dans un vague relatif. Il y manque la conclusion sans appel, sur « l’appel du collectif [qui] ne fonctionne plus. » Yves Steiner souligne ici la déroute de l’Algérie - FLN. Une part grandissante de la population n’adhère plus aux slogans éculés de l’après 1962. En juillet dernier, le pouvoir a inventé une parade pathétique : offrir un drapeau algérien pour chaque foyer… [Source] Le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme se montre abrupt. Il nie la réalité concrète d’une réconciliation nationale. Pour lui, l’Algérie s’enfonce. En disant « Depuis 2000, les droits de l’homme ont régressé en Algérie et la torture reste pratiquée’ », Kheireddine Abbas prononce l’indicible. Dans la mythologie révolutionnaire, la torture rentre en effet dans le champ lexical servant à décrire l’ennemi, l’Armée française.
Un commentaire sur le site de L’Hebdo fait douter de la représentativité des opinions de Kheireddine Abbas. L’Algérien (intox ?) qui rédige ces quelques phrases laborieuses expose à mon avis les raisons de la déroute du système - FLN. Il croit encore que l’agresseur se terre aux frontières et ourdit des complots contre l’Algérie. Un peu à l’image de notables maghrébins pro-français parce qu’hostiles à l’empire Ottoman (au 19ème siècle), il fantasme sur un modèle à la fois lointain et mal défini - d’où des fautes en anglais -. Incapable d’user de la première personne, il se réfugie dans une troisième personne, une dénomination collective peu convaincante. Son sabir laisse transparaître en outre un décalage qui laisse supposer une mauvaise maîtrise de l’arabe, handicap banal en Algérie [source].
« This is a reach country, you approve it or not. Il y a cependant beacoup de vampire qui demeurent autour de ce pays qui a des richesses naturelles : jeunesse, Hydrocarbure, et un pays immense. La France a suce de la richesse de ce pays pendant plus d’un siecle et demi, que veut on encore, Laissez les algeriens en paix, apres tout ce ne sont pas vous qui allez la sauver au moindre probleme. Hypochrisie et egoisme, Il vaut mieux regrader vos affaires et vous occupez de la dgradation du niveau de vie des francais qui commence acompter les ecntimes des euros, votre pouvoir degringole, votre president est occupe par d’autres affaires personnelles. Oubliez l’Algerie, On se tourne vers les US, la Chine, la ou il ya plus de realsime et de pragmatisme, plutot que votre systeme old fashion: On a plus besoin de vous , on cherche maintenant le savoir faire et la technologie a leur SOURCE! Merci. » Aucune modification n’a été apportée au commentaire original (18/10/08).
Il n’en demeure pas moins que ce commentateur méconnaît sans doute les modifications apportées par le Courrier International à l’article original. Je renonce en effet au terme de censure. La rédaction de l’hebdomadaire souhaitait-elle ménager Alger et préserver son droit de diffusion de l’autre côté de la Méditerranée ? En réalité, les prélèvements sur l’article de L’Hebdo ne détournent pas le sens initial, mais affadissent nettement le propos du journaliste suisse. Quelle que soit l’hypothèse retenue, le coupeur aurait gagné à indiquer les parties sectionnées par trois points entre parenthèses […] : simple déontologie. Compte tenu des ventes du Courrier International dans l’Hexagone et des caractéristiques sociologiques de son lectorat, je n’écarte cependant pas une autre supposition. Car il ont été nombreux les coopérants, les enseignants, ou les technocrates employés dans les grands groupes nationalisés qui ont vécu et travaillé dans l’Algérie tout juste décolonisée. Les années 1960 et 1970 représentent pour ceux-ci un paradis perdu. Combien sont restés après l’arrivée au pouvoir de Chadli ? Leur susceptibilité de lecteur justifiait - qui en doute ? - un léger écrémage.
P.S./ Geographedumonde sur l’Algérie : Algérie à pleurer.
[1] « Depuis les hauteurs d’Alger, la basilique Notre-Dame d’Afrique veille sur la Ville blanche. Du haut de son esplanade, en cette fin de journée, on aperçoit [la baie où flottent des cargos vides et] un ferry qui file vers Marseille. [ A bord, les Algériens de France repartent. Les vacances au pays s’achèvent. Sur le parvis, des curieux suivent ce ballet naval et, qui sait, rêvent d’embarquer vers l’ancienne métropole, si tatillonne dès que l’Algérien lui parle visa. Mais les temps changent. Enrichie par son gaz et son pétrole, l’Algérie n’est plus un département français. Ses richesses, elle les dispense à d’autres, aux Etats-Unis et à la Chine. Et si un jour Paris entend contrôler les migrations africaines depuis l’Algérie, il ne pourra se soustraire à une condition d’Alger: la libre circulation de ses ressortissants. Sans quoi, toute tentative d’Union pour la Méditerranée est inutile.] Ce soir, à Notre-Dame, sous l’œil des policiers chargés de protéger le lieu, une vingtaine de fidèles sont venus. Les rares touristes ont déserté le lieu avant le début de l’office où l’on partage la paix du Christ en terre d’islam. Mais ce partage reste difficile. Après la messe, le père Bernard confie son dépit. Lui qui, il y a trois ans, disait qu’il fallait ‘unir les deux rives de la Méditerranée’ dit aujourd’hui sa tristesse face aux chicanes, aux brimades et aux arrestations. [Celui qui disait, voici trois ans, sous la nef du lieu, face à la Vierge noire, qu’il fallait ‘unir les deux rives de la Méditerranée’ (Le Figaro du 6 juin 2005), raconte aujourd’hui sa tristesse, celle d’une communauté de dizaines de milliers d’âmes.] Depuis ce printemps, l’Algérie maltraite ses chrétiens, catholiques ou protestants. En avril, l’abbé Pierre Wallez a été condamné à deux mois de prison avec sursis pour prosélytisme. [Il avait célébré une messe avec des immigrés clandestins originaires du Cameroun.] ‘Mais quelle image de ce pays veut-on donner avec de telles pratiques répressives ?’ s’énerve le père Bernard, une fois débarrassé de son vêtement d’officiant. Venu de l’autre côté de la Méditerranée il y a près de quarante ans, ce Français n’en dira pas plus. ‘C’est déjà assez tendu’, s’excuse-t-il. [En quittant le lieu, le regard s’arrête sur un mot, gravé sur l’abside de Notre-Dame: ‘Priez pour nous et pour les musulmans’].Pourquoi ces persécutions ? Un gage de respectabilité donné aux islamistes par le gouvernement du président Abdelaziz Bouteflika ? Il y a de ça. Mais il y a plus. [L’islamisation du pouvoir et de la société autorise à bafouer d’autres cultes, mais il y a plus. ‘Alger ne jettera pas ses Chrétiens à la mer, rassure Fayçal Metaoui, ancien rédacteur en chef du journal indépendant El Watan. S’il est vrai que, comme en Kabylie, les évangéliques ont fait du prosélytisme sans autorisation et se sont donc mis hors-la-loi, ces persécutions servent à détourner l’attention du public.’] ‘Elles servent à détourner l’attention de la population’, explique Fayçal Metaoui, ancien rédacteur en chef du journal indépendant El-Watan. Mais de quoi ? ‘Les Algériens sont pauvres, malgré la flambée du prix du pétrole et une banque centrale qui entasse 140 milliards de dollars [105 milliards d’euros] de réserves.’ [Ces dernières vont gonfler, à lire les prévisions officielles de croissance: plus de 5% en 2008.] Une croissance tirée par la rente générée par les hydrocarbures, que s’arrachent gouvernements et firmes des Etats-Unis, de Chine et d’Europe. Mais la hausse des prix de détail menace une population dont le quart vit au-dessous du seuil de pauvreté. Au pied de Notre-Dame, voici les marchés populaires de Bab el-Oued. Derrière son étal, un marchand de légumes fulmine. [Comme chaque année, à l’approche du mois saint, les prix se sont envolés et, avec eux, la colère des Algérois venus faire des provisions. Notre homme se dit ‘réglo’, il paie ses taxes. Et à l’entendre, ce ne serait pas comme sa concurrence, ces vendeurs à la sauvette qui écoulent à vil prix haricots, piments et pommes de terre. C’est chez eux que le client se précipite, histoire d’épargner ses dinars. ‘Légumes ou casseroles, tout y passe et sous l’œil de la police’, grogne le marchand. La scène se répète à mesure que l’on déambule vers le boulevard Taleb, en direction du centre-ville. Les rues se font plus étroites, les libertés aussi.] Les prix augmentent et, avec eux, la colère des Algérois venus faire des provisions. ‘A Bab el-Oued, le dernier bar est fermé depuis un an. Des problèmes de conformité, ils ont dit’, affirme Samir, la trentaine, serveur dans la capitale. Ce “ils”, c’est la wilaya d’Alger, le gouvernement provincial, toujours prompt à afficher sa rectitude religieuse. Samir sirote sa bière dans une gargote d’une venelle située entre Didouche-Mourad et Mohammed V, deux artères qui plongent vers le centre d’Alger et la poste centrale. Ce vendredi, avec d’autres anonymes, il brave les interdits et cuve son dépit dans une cave aux murs jaunis. ‘Un lieu comme ça, pour respirer, il n’en existe presque plus à Alger. Sauf les comptoirs des cinq-étoiles, à prix occidentaux’, se lamente-t-il. Si les débits de boissons ferment, les attentats suicides, eux, se multiplient. Sofia Djama, 29 ans, sait bien qu’il n’y a point de salut chez les ‘frérots‘, comme on dit ici. Alors, pourquoi ne pas fréquenter un bar ? sourit-elle. Sofia aime sortir, s’enivrer et fumer, histoire de ne pas se résigner, comme les autres. [Elle s’habille aussi sans peur de montrer les attributs de sa féminité. La politique, le sexe, la religion? Aucun tabou, pour cette employée d’une société de communication, chroniqueuse à ses heures perdues au Temps, un quotidien algérois en ligne. Mais l’espiègle paie cher sa soif de liberté. Crachats dans la rue, insultes dans les bars. ‘Je ne suis pas représentative des Algériennes’, reconnaît-elle. Pourtant, Sofia a bien de la chance. Elle travaille. Des chiffres officiels, conservateurs assure la presse locale, évoquent 16% de chômage en moyenne. Chez les jeunes entre 16 et 29 ans – soit un cinquième des Algériens – le gouvernement chuchote un chiffre de 28 %. Pour les femmes vivant en milieu urbain, à l’image de Sofia justement, ce chiffre surpasse 40%. Mais là encore, experts et sociologues s’interrogent sur l’exactitude de ces statistiques et doutent qu’elles rendent compte avec rigueur de l’ampleur du désœuvrement dans lequel est plongée la jeunesse algérienne. Cette situation a créé un archétype: le migrant clandestin, une figure qui capte l’attention des médias en Europe, comme en Algérie, relève Nacer Djabi, sociologue à l’Université d’Alger. Avant, le clandestin se cachait dans les ferries pour Marseille. Mais les contrôles ont rendu l’exercice sans espoir. Depuis 2006, l’Algérie a vu apparaître les harraga, littéralement ‘ceux qui brûlent’. Qui brûlent leurs papiers d’identité, et souvent leur vie, en défiant la mer sur de frêles esquifs orientés au GPS. Voilà les partisans d’une ‘union pour la traversée de la Méditerranée’, ironise-t-on, à propos du projet de Nicolas Sarkozy et le verbiage des élites. Ceux-là sont prêts à un périple en mer de 200 kilomètres pour aborder la Sardaigne ou les côtes ibériques. Régulièrement, les drames de corps repêchés sans vie, ou, pour les plus chanceux, arrêtés par les gardes-côte et emprisonnés, alimentent les gazettes.] Le rêve d’ailleurs s’efface. Selon un sondage de 2002, un tiers des 16-29 ans désirent partir, quitte à risquer leur vie. Une partie de ceux qui ne disent pas souhaiter partir trouvent peut-être l’harmonie, entre la famille qui garantit leur sécurité matérielle et le fait de ne pas passer pour des terroristes comme à Paris, Londres ou Washington. ‘Mais on perçoit chez ceux qui restent plus de suicides, de consommation de drogue et une recrudescence de la violence, autant de symptômes qui témoignent de leur mal-vivre’, constate Nacer Djabi, sociologue à l’université d’Alger. Pour lui, tout cela s’inscrit dans un changement des modes de vie que le pouvoir politique ne voit pas. ‘Les élites vieillissantes ne comprennent plus cette jeunesse qui refuse de travailler pour rien, qui se marie plus tard qu’avant et qui veut moins d’enfants’, poursuit-il. [L’individualisme s’empare des trajectoires des jeunes, l’appel du collectif ne fonctionne plus. Toute l’organisation de la société civile s’en ressent.]Asphyxie. Pourquoi, par exemple, une organisation comme Amnesty International peine-t-elle à recruter chez les jeunes? Kheireddine Abbas, président de la section locale, a connu cette ‘jeunesse militante qui avait tant la culture de la lutte pour l’indépendance’. Kheireddine, un médecin, nous a donné rendez-vous dans un bar du centre pour diagnostiquer le mal. En cause, un climat où ‘chrétiens, journalistes, défenseurs des droits humains, syndicalistes sont tous menacés’ . Resté muet, le poste de télévision du lieu se met à hurler. Les hommes se taisent, Claire Chazal parle et lance un reportage sur les attentats du jour à Bouira. Une minute passe, le son baisse, le dialogue reprend. ‘Vous avez entendu? Notre gouvernement dit son impuissance et fait appel aux citoyens. Pas de chance, il n’en forme plus et il décourage le peu de civisme qui reste ici!’, rigole, amer, notre quinquagénaire avant de finir sa bière. [Mustapha Bouchachi, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, confirme le symptôme décrit par Kheireddine Abbas et s’inquiète lui aussi de cette ‘lente asphyxie des libertés’. Dans son étude à deux pas de l’université, cet avocat jouit d’une immunité relative, donc d’un droit au franc-parler. ‘Interdite de manifestation et de réunion, la société civile est étouffée. Depuis 2000, les droits de l’homme ont régressé en Algérie et la torture reste pratiquée’. Surtout, insiste le juriste, ‘la réconciliation nationale’ est un véritable affront aux victimes d’attentats terroristes, d’assassinats et d’exécutions extrajudiciaires. Exhorté par Abdelaziz Bouteflika en 2005, ce processus offrait, en échange de la paix, l’impunité pour les crimes commis par les groupes armés et les services secrets. ‘Il n’y a pas eu réconciliation. Les derniers attentats kamikazes en attestent.’ Dans cette gabegie, quid de l’Union pour la Méditerranée? Le 13 juillet passé, le président algérien n’était pas à Paris au lancement de cette Union. La France est désormais devenue, pour une partie de son gouvernement, un repoussoir très utile. Et le parti de Nicolas Sarkozy sait lui donner du grain à moudre. Quand il évoque les aspects bénéfiques de la colonisation, quand il renvoie dos à dos les crimes des troupes françaises avec ceux du Front de libération nationale, ou quand il maltraite les émigrés algériens installés dans l’Hexagone. Mais dans l’espoir d’une paix des ménages, Paris a mis une sourdine sur les droits de l’homme. Sur ce point, le réquisitoire de l’avocat Abbas est sans appel: ‘A l’inverse du processus de Barcelone, cette Union ne dit rien sur les droits de l’homme. Se taire sur ce point revient à légitimer les dictatures des pays de la rive sud de la Méditerranée.’] » / Yves Steiner / L’Hebdo (9 octobre 2008) et Courrier International (n°938 / 23 octobre 2008). En gras apparaissent les portions coupées par CI.
[2] Des bébés abandonnés, des chiffres et des subterfuges. Avortement : un tabou et des victimes. / Moncef Wafi / Le Quotidien d’Oran / 22 septembre 2008.
[1] « Depuis les hauteurs d’Alger, la basilique Notre-Dame d’Afrique veille sur la Ville blanche. Du haut de son esplanade, en cette fin de journée, on aperçoit [la baie où flottent des cargos vides et] un ferry qui file vers Marseille. [ A bord, les Algériens de France repartent. Les vacances au pays s’achèvent. Sur le parvis, des curieux suivent ce ballet naval et, qui sait, rêvent d’embarquer vers l’ancienne métropole, si tatillonne dès que l’Algérien lui parle visa. Mais les temps changent. Enrichie par son gaz et son pétrole, l’Algérie n’est plus un département français. Ses richesses, elle les dispense à d’autres, aux Etats-Unis et à la Chine. Et si un jour Paris entend contrôler les migrations africaines depuis l’Algérie, il ne pourra se soustraire à une condition d’Alger: la libre circulation de ses ressortissants. Sans quoi, toute tentative d’Union pour la Méditerranée est inutile.] Ce soir, à Notre-Dame, sous l’œil des policiers chargés de protéger le lieu, une vingtaine de fidèles sont venus. Les rares touristes ont déserté le lieu avant le début de l’office où l’on partage la paix du Christ en terre d’islam. Mais ce partage reste difficile. Après la messe, le père Bernard confie son dépit. Lui qui, il y a trois ans, disait qu’il fallait ‘unir les deux rives de la Méditerranée’ dit aujourd’hui sa tristesse face aux chicanes, aux brimades et aux arrestations. [Celui qui disait, voici trois ans, sous la nef du lieu, face à la Vierge noire, qu’il fallait ‘unir les deux rives de la Méditerranée’ (Le Figaro du 6 juin 2005), raconte aujourd’hui sa tristesse, celle d’une communauté de dizaines de milliers d’âmes.] Depuis ce printemps, l’Algérie maltraite ses chrétiens, catholiques ou protestants. En avril, l’abbé Pierre Wallez a été condamné à deux mois de prison avec sursis pour prosélytisme. [Il avait célébré une messe avec des immigrés clandestins originaires du Cameroun.] ‘Mais quelle image de ce pays veut-on donner avec de telles pratiques répressives ?’ s’énerve le père Bernard, une fois débarrassé de son vêtement d’officiant. Venu de l’autre côté de la Méditerranée il y a près de quarante ans, ce Français n’en dira pas plus. ‘C’est déjà assez tendu’, s’excuse-t-il. [En quittant le lieu, le regard s’arrête sur un mot, gravé sur l’abside de Notre-Dame: ‘Priez pour nous et pour les musulmans’].Pourquoi ces persécutions ? Un gage de respectabilité donné aux islamistes par le gouvernement du président Abdelaziz Bouteflika ? Il y a de ça. Mais il y a plus. [L’islamisation du pouvoir et de la société autorise à bafouer d’autres cultes, mais il y a plus. ‘Alger ne jettera pas ses Chrétiens à la mer, rassure Fayçal Metaoui, ancien rédacteur en chef du journal indépendant El Watan. S’il est vrai que, comme en Kabylie, les évangéliques ont fait du prosélytisme sans autorisation et se sont donc mis hors-la-loi, ces persécutions servent à détourner l’attention du public.’] ‘Elles servent à détourner l’attention de la population’, explique Fayçal Metaoui, ancien rédacteur en chef du journal indépendant El-Watan. Mais de quoi ? ‘Les Algériens sont pauvres, malgré la flambée du prix du pétrole et une banque centrale qui entasse 140 milliards de dollars [105 milliards d’euros] de réserves.’ [Ces dernières vont gonfler, à lire les prévisions officielles de croissance: plus de 5% en 2008.] Une croissance tirée par la rente générée par les hydrocarbures, que s’arrachent gouvernements et firmes des Etats-Unis, de Chine et d’Europe. Mais la hausse des prix de détail menace une population dont le quart vit au-dessous du seuil de pauvreté. Au pied de Notre-Dame, voici les marchés populaires de Bab el-Oued. Derrière son étal, un marchand de légumes fulmine. [Comme chaque année, à l’approche du mois saint, les prix se sont envolés et, avec eux, la colère des Algérois venus faire des provisions. Notre homme se dit ‘réglo’, il paie ses taxes. Et à l’entendre, ce ne serait pas comme sa concurrence, ces vendeurs à la sauvette qui écoulent à vil prix haricots, piments et pommes de terre. C’est chez eux que le client se précipite, histoire d’épargner ses dinars. ‘Légumes ou casseroles, tout y passe et sous l’œil de la police’, grogne le marchand. La scène se répète à mesure que l’on déambule vers le boulevard Taleb, en direction du centre-ville. Les rues se font plus étroites, les libertés aussi.] Les prix augmentent et, avec eux, la colère des Algérois venus faire des provisions. ‘A Bab el-Oued, le dernier bar est fermé depuis un an. Des problèmes de conformité, ils ont dit’, affirme Samir, la trentaine, serveur dans la capitale. Ce “ils”, c’est la wilaya d’Alger, le gouvernement provincial, toujours prompt à afficher sa rectitude religieuse. Samir sirote sa bière dans une gargote d’une venelle située entre Didouche-Mourad et Mohammed V, deux artères qui plongent vers le centre d’Alger et la poste centrale. Ce vendredi, avec d’autres anonymes, il brave les interdits et cuve son dépit dans une cave aux murs jaunis. ‘Un lieu comme ça, pour respirer, il n’en existe presque plus à Alger. Sauf les comptoirs des cinq-étoiles, à prix occidentaux’, se lamente-t-il. Si les débits de boissons ferment, les attentats suicides, eux, se multiplient. Sofia Djama, 29 ans, sait bien qu’il n’y a point de salut chez les ‘frérots‘, comme on dit ici. Alors, pourquoi ne pas fréquenter un bar ? sourit-elle. Sofia aime sortir, s’enivrer et fumer, histoire de ne pas se résigner, comme les autres. [Elle s’habille aussi sans peur de montrer les attributs de sa féminité. La politique, le sexe, la religion? Aucun tabou, pour cette employée d’une société de communication, chroniqueuse à ses heures perdues au Temps, un quotidien algérois en ligne. Mais l’espiègle paie cher sa soif de liberté. Crachats dans la rue, insultes dans les bars. ‘Je ne suis pas représentative des Algériennes’, reconnaît-elle. Pourtant, Sofia a bien de la chance. Elle travaille. Des chiffres officiels, conservateurs assure la presse locale, évoquent 16% de chômage en moyenne. Chez les jeunes entre 16 et 29 ans – soit un cinquième des Algériens – le gouvernement chuchote un chiffre de 28 %. Pour les femmes vivant en milieu urbain, à l’image de Sofia justement, ce chiffre surpasse 40%. Mais là encore, experts et sociologues s’interrogent sur l’exactitude de ces statistiques et doutent qu’elles rendent compte avec rigueur de l’ampleur du désœuvrement dans lequel est plongée la jeunesse algérienne. Cette situation a créé un archétype: le migrant clandestin, une figure qui capte l’attention des médias en Europe, comme en Algérie, relève Nacer Djabi, sociologue à l’Université d’Alger. Avant, le clandestin se cachait dans les ferries pour Marseille. Mais les contrôles ont rendu l’exercice sans espoir. Depuis 2006, l’Algérie a vu apparaître les harraga, littéralement ‘ceux qui brûlent’. Qui brûlent leurs papiers d’identité, et souvent leur vie, en défiant la mer sur de frêles esquifs orientés au GPS. Voilà les partisans d’une ‘union pour la traversée de la Méditerranée’, ironise-t-on, à propos du projet de Nicolas Sarkozy et le verbiage des élites. Ceux-là sont prêts à un périple en mer de 200 kilomètres pour aborder la Sardaigne ou les côtes ibériques. Régulièrement, les drames de corps repêchés sans vie, ou, pour les plus chanceux, arrêtés par les gardes-côte et emprisonnés, alimentent les gazettes.] Le rêve d’ailleurs s’efface. Selon un sondage de 2002, un tiers des 16-29 ans désirent partir, quitte à risquer leur vie. Une partie de ceux qui ne disent pas souhaiter partir trouvent peut-être l’harmonie, entre la famille qui garantit leur sécurité matérielle et le fait de ne pas passer pour des terroristes comme à Paris, Londres ou Washington. ‘Mais on perçoit chez ceux qui restent plus de suicides, de consommation de drogue et une recrudescence de la violence, autant de symptômes qui témoignent de leur mal-vivre’, constate Nacer Djabi, sociologue à l’université d’Alger. Pour lui, tout cela s’inscrit dans un changement des modes de vie que le pouvoir politique ne voit pas. ‘Les élites vieillissantes ne comprennent plus cette jeunesse qui refuse de travailler pour rien, qui se marie plus tard qu’avant et qui veut moins d’enfants’, poursuit-il. [L’individualisme s’empare des trajectoires des jeunes, l’appel du collectif ne fonctionne plus. Toute l’organisation de la société civile s’en ressent.]Asphyxie. Pourquoi, par exemple, une organisation comme Amnesty International peine-t-elle à recruter chez les jeunes? Kheireddine Abbas, président de la section locale, a connu cette ‘jeunesse militante qui avait tant la culture de la lutte pour l’indépendance’. Kheireddine, un médecin, nous a donné rendez-vous dans un bar du centre pour diagnostiquer le mal. En cause, un climat où ‘chrétiens, journalistes, défenseurs des droits humains, syndicalistes sont tous menacés’ . Resté muet, le poste de télévision du lieu se met à hurler. Les hommes se taisent, Claire Chazal parle et lance un reportage sur les attentats du jour à Bouira. Une minute passe, le son baisse, le dialogue reprend. ‘Vous avez entendu? Notre gouvernement dit son impuissance et fait appel aux citoyens. Pas de chance, il n’en forme plus et il décourage le peu de civisme qui reste ici!’, rigole, amer, notre quinquagénaire avant de finir sa bière. [Mustapha Bouchachi, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, confirme le symptôme décrit par Kheireddine Abbas et s’inquiète lui aussi de cette ‘lente asphyxie des libertés’. Dans son étude à deux pas de l’université, cet avocat jouit d’une immunité relative, donc d’un droit au franc-parler. ‘Interdite de manifestation et de réunion, la société civile est étouffée. Depuis 2000, les droits de l’homme ont régressé en Algérie et la torture reste pratiquée’. Surtout, insiste le juriste, ‘la réconciliation nationale’ est un véritable affront aux victimes d’attentats terroristes, d’assassinats et d’exécutions extrajudiciaires. Exhorté par Abdelaziz Bouteflika en 2005, ce processus offrait, en échange de la paix, l’impunité pour les crimes commis par les groupes armés et les services secrets. ‘Il n’y a pas eu réconciliation. Les derniers attentats kamikazes en attestent.’ Dans cette gabegie, quid de l’Union pour la Méditerranée? Le 13 juillet passé, le président algérien n’était pas à Paris au lancement de cette Union. La France est désormais devenue, pour une partie de son gouvernement, un repoussoir très utile. Et le parti de Nicolas Sarkozy sait lui donner du grain à moudre. Quand il évoque les aspects bénéfiques de la colonisation, quand il renvoie dos à dos les crimes des troupes françaises avec ceux du Front de libération nationale, ou quand il maltraite les émigrés algériens installés dans l’Hexagone. Mais dans l’espoir d’une paix des ménages, Paris a mis une sourdine sur les droits de l’homme. Sur ce point, le réquisitoire de l’avocat Abbas est sans appel: ‘A l’inverse du processus de Barcelone, cette Union ne dit rien sur les droits de l’homme. Se taire sur ce point revient à légitimer les dictatures des pays de la rive sud de la Méditerranée.’] » / Yves Steiner / L’Hebdo (9 octobre 2008) et Courrier International (n°938 / 23 octobre 2008). En gras apparaissent les portions coupées par CI.
[2] Des bébés abandonnés, des chiffres et des subterfuges. Avortement : un tabou et des victimes. / Moncef Wafi / Le Quotidien d’Oran / 22 septembre 2008.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire