dimanche 27 juin 2010

Algérie à pleurer. (Des dividendes tirés du pétrole cher)

Les pays producteurs tirent-ils vraiment profit de la manne pétrolière ? Les Occidentaux qui vident leur compte à chaque plein d'essence imaginent qu'ils sont les seuls dindons de la farce. Or les populations des pays riches en hydrocarbures paient aussi le baril à 139 dollars ! Etant donnée l'implication des transports dans l'agriculture ou l'industrie, le pétrole cher nourrit en outre l'inflation partout dans le monde. Minimiser les dividendes conduit toutefois à un contre-sens. Les Etats producteurs perçoivent depuis 2001 des redevances chaque mois plus importantes, même en l'absence de nouveaux forages, par simple fluctuation des cours. L'argent prélevé sur les exportations permet aux uns de mener grande vie, aux autres de financer leurs bonnes oeuvres, au Venezuela, par exemple. Mais la plupart du temps – charité bien ordonnée commence par soi-même – il alimente des fonds de placement. [Voir aussi Une Poignée de Noix Fraîches - ici ou ].
Dotés de milliards de pétro-dollars, ces fonds investissent tous azimuts afin d'étaler dans le temps les bénéfices de la rente. Ils assurent ainsi une descendance financière à l'argent tiré du pétrole, par des prises de participation dans des entreprises occidentales et par des achats dans la pierre, contribuant au gonflement d'une bulle immobilière en Amérique du Nord et en Europe. L'exercice connaît quelques limites, car plus ils se diversifient, plus les fonds s'internationalisent. Certains poussent même la logique à l'extrême, allant au printemps 2008 jusqu'à renflouer une banque en déroute aux Etats-Unis : les pays producteurs au secours du premier pays consommateur de carburant de la planète.
L'hebdomadaire Time met quant à lui en doute la promesse saoudienne de pousser sa production de 9,2 millions à 9,7 millions de barrils / jour, qui rapprocherait le pays du seuil symbolique des 500 millions de tonnes de pétrole extraites en une année. Vivienne Walt sous-entend même qu'il s'agit d'une parole en l'air. La monarchie wahhabite viserait un fléchissement des cours pour peser sur la campagne présidentielle américaine. En montrant l'intérêt qu'elle porte à la situation des ménages américains, elle rappellerait aussi qu'elle craint aux Etats-Unis une récession synonyme d'effondrement des cours [1]. L'ouverture annoncée comme imminente de deux champs pétroliers supplémentaires n'y change rien : ils contrebalanceront la fermeture des puits les plus anciens. D'après Vivienne Walt, Riyad duperait donc son monde. Les 500.000 barils promis ne rentreraient pas dans la catégorie chère aux groupes pétroliers. Riyad proposerait son rebut non commercialisé, du lourd en lieu et place de l'arabian light si rapide à raffiner [2]. Les groupes pétroliers ont jusque là rechigné à acheter ce pétrole baptisé sour (littéralement, 'sur-sulfureux'), très coûteux à rendre propre, au sens des standards environnementaux prévalant en Europe et en Amérique du Nord.
L'Algérie constitue l'exact opposé de l'Arabie Saoudite. Sans tambour ni trompettes, la production pétrolière progresse de façon continue. Entre 1990 (55,2 millions de tonnes) et 2005 (86,5 millions de tonnes) [sources], l'augmentation a été de 57 %. Alors que le pays a traversé une période particulièrement troublée, le secteur pétrolier est resté à l'abri. Comment les groupes terroristes ont-ils pu se montrer aussi inefficaces ? Peut-être ne s'intéressent-ils ni aux puits ni aux pipe-lines ? Ces questions nécessitent que l'on ouvre d'autres dossiers... Dans le delta du Niger, les rebelles hésitent moins [3] En attendant, c'est une tâche en moins pour les services de sécurité algériens ! Concernant l'utilisation des dividendes pétroliers, Alger a en tout cas pris le contre-pied des monarchies du Golfe persique. En redistribuant les dividendes de la rente, celles-ci ont considérablement amélioré le niveau de vie de leurs concitoyens, et réservé des emplois pour leurs jeunes diplômés. Le régime algérien, lui, a choisi de détourner la rente à son seul profit.
Le reportage de La Croix signé Julia Ficatier recense sur le terrain les conséquences. La journaliste s'est rendue dans un ancien village de colonisation, Ouled Fayed, aujourd'hui situé dans la banlieue de la capitale. Elle interroge des jeunes adultes à la dérive : en Algérie, 75 % des 16 – 29 ans n'ont pas de travail. Là, sur les hauteurs d'Alger, les jeunes appartiennent à des familles déménagées de Bab-El-Oued. Elles vivent dans des immeubles plantés au milieu de terrains vagues [voir photo]. L'eau ne monte pas à tous les étages. A peine construit, le quartier brille par sa décrépitude, par son manque d'âme. Un chantier progresse néanmoins, celui de la mosquée. Au peuple démuni, le pouvoir propose la prière. Le spirituel ne coûte pas cher. A l'époque de la Troisième République déjà, Paris délaissait les Arabes mais soutenait les dignitaires musulmans [source].
Les jeunes désoeuvrés s'ennuient. Veulent-ils se promener en centre-ville ? Ils doivent compter sans les transports en commun qui ne desservent pas Ouled Fayed, et se méfier des gangs de délinquants qui ont mis en coupe réglée une partie d'Alger. Par Internet ou par la télévision, ils s'évadent virtuellement de l'autre côté de la Méditerranée, surtout à cause du français. Or plus ils cèdent à leur fascination, plus ils culpabilisent. Julia Ficatier décrit les racines de cette schizophrénie collective en citant un enseignant (Said Mabrouk) : les Algériens ont « été élevés au lait de la xénophobie. » Le martelage sur la colonisation commence dès l'école primaire et sert de grille de lecture unique, qui brouille les repères chronologiques (hier = aujourd'hui), exonère à longueur d'années le pouvoir de ses écrasantes responsabilités. Le manque de démocratisation ? C'est la faute de la France. Le terrorisme ? C'est la faute de la France. La liste n'en finit pas.
Non seulement la ficelle apparaît bien épaisse, mais elle cache mal au fond l'histoire commune continuée après 1962. Il n'y a eu rupture qu'en apparence. Derrière les discours revendicatifs des uns (sur les excuses demandées pour le crime de la colonisation) et les silences pudiques des autres, Paris et Alger s'entendent. Les gouvernements français contresignent les accords sur la bi-nationalité et le service militaire, les accords sur les hydrocarbures. Ils organisent les rencontres officielles entre chefs d'Etat ou ministres. Le Quai d'Orsay édulcore de surcroît ses déclarations officielles sur l'Algérie, de façon à n'évoquer ni le détournement du droit, ni les périls pesant sur les Algériens : attentats et persécutions politiques, linguistiques ou religieuses (contre les chrétiens). Alger à l'inverse recourt discrètement aux entreprises françaises prêtes à servir sans sourciller le régime (Razel) et n'oublie pas à l'occasion le Val de Grâce pour ses dirigeants malades... L'argent retiré des hydrocarbures en partie exportés de l'autre côté de la Méditerranée ne modifie cependant pas grand chose du triste quotidien des Algériens. Algérie à pleurer.
PS./ Lire aussi la tribune de Hamid Louanouci, député du RDC : 'L'idéologie, l'autre désertification'.



PS (bis)./ Geographedumonde sur l'Algérie : Ne pas confondre 'analyste mythomane' et 'pompier pyromane'.




[1] « The Saudi promise of extra oil, they say, may do more to soothe the jangled nerves of Western politicians than to lower the price of oil. 'This is a public relations exercise to some extent,' says Greg Priddy, global oil analyst for the Eurasia Group. 'It is an election year, and the Saudis know that the price of gas is an election issue. They want to pump out the message to the West that 'We are not trying to hurt your economy.' » / Vivienne Walt / http://www.time.com/time/world/article/0,8599,1815525,00.html
[2] « The extra 500,000 barrels they plan to start shipping next month will likely be heavy, 'sour' (sulphur-rich) crude, which most Saudi fields produce. Sour crude is far more difficult to market globally than light, sweet crude, because it needs a lot more refining to meet the environmental standards of the industrialized world. 'The Saudis would discount it further, because refiners don't want it,' says Harry Tchilinguirian, senior oil analyst in London for BNP Paribas. » / Id.
[3] " Au Nigeria, plus aucune installation pétrolière ne semble à l'abri des attaques des rebelles. Dans la nuit du mercredi 18 au jeudi 19 juin, les installations du groupe anglo-néerlandais Shell ont ainsi été la cible d'une opération sans précédent, qui a fait grimper le cours du baril à plus de 137 dollars à l'ouverture du marché de New York. Les assaillants, qui se réclament du Mouvement d'émancipation du delta du Niger (MEND), ont en effet pris pour cible le FPSO ('unité flottante de production, stockage et déchargement en mer') Bonga, ancré à plus de 120 km au large des côtes. Les attaques rebelles étaient jusque-là limitées aux puits à terre et aux plates-formes proches de la côte. La structure flottante de Shell, longue de 305 m, peut pomper 225 000 barils de brut par jour (10 % de la production du pays) et stocker 2 millions de barils. Une bombe flottante et une source de pollution catastrophique en cas de véritable attaque militaire. Dans un communiqué, le MEND affirme que l'attaque visait la salle informatique de contrôle de la production, qui n'a pas été atteinte. Mais il a prévenu qu'à sa 'prochaine visite', l'installation pétrolière 'ne sera pas épargnée' et menace de s'en prendre aussi aux tankers croisant dans le golfe de Guinée. [...] 'Il va falloir renforcer leur sécurité, mais la marine nigériane n'a pas les moyens de le faire', explique Philippe Sébille-Lopez, consultant en géopolitique des hydrocarbures et spécialiste du Nigeria. [...] Huitième exportateur mondial de brut, le Nigeria s'enfonce dans la crise. Sa production est tombée, en deux ans, de 2,5 à moins de 2 millions de barils par jour. " / Jean-Michel Bezat (Le Monde / 20 juin 2008).

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