mardi 29 juin 2010

Attention, excès de fièvre porcine. (Des enseignements d’une micro-pandémie ; en espérant qu’elle le reste)

Une fois encore, l'affaire de la grippe porcine apparue récemment au Mexique illustre les contradictions du monde contemporain. L'alarmisme fait recette aujourd'hui comme hier à la télévision et à la radio autant que sur Internet. Je ne m'en attriste pas plus que cela. Car celui qui se donne la peine de s'informer en recherchant les analyses compréhensibles pour les non - initiés, trouve assez facilement de quoi s'éclairer. Je franchirai toutefois la porte laissée ouverte après que des milliers d'angoissés se sont engouffrés. Une thématique passionnante réapparaît en effet à cette occasion, pour qui s'intéresse aux fragilités des sociétés développées et métropolitaines [Une poignée de noix fraîches]. Le lieu de naissance de l'hypothétique pandémie instruit plus que la pandémie elle-même : le Mexique, au sud des Etats-Unis. Que l'on attende donc pas de ces quelques lignes une reprise de ce que d'autres, plus compétents que moi, ont déjà écrit ; il faut lire l'article Wikipedia sur la grippe, en particulier.
L'Organisation Mondiale de la Santé envoie un message d'alerte le 26 avril 2009. L'alarmisme de l'agence internationale s'explique par les incertitudes qui planent encore, autant que par la coexistence de plusieurs foyers d'infection à travers le monde, en Amérique du Nord, en Nouvelle-Zélande ou encore en Europe. Le H1N1 mute rarement du porc vers l'homme. Mais comme pour tous les autres virus de la grippe hébergés par les oiseaux, il peut tuer brusquement en cas de propagation d'une souche nouvelle et résistante, tant qu'aucun vaccin n'a été mis au point. Le problème se noue ici. Soit les médicaments existants rendent le virus inopérant et il convient de discourir aimablement, soit ils ne le contrecarrent pas. Dans ce cas, rien ne sert de constituer des stocks de vaccins ou de dévaliser les pharmacies. Parmi les molécules les plus évoquées pour ralentir la propagation d'une éventuelle pandémie, celle du Tamiflu produirait des effets préventifs et non curatifs [La Croix].
Les autorités mexicaines premières concernées ont réagi fermement en prohibant tous les rassemblements de foule dans la grande agglomération de Mexico, y compris les messes dominicales, afin de limiter au maximum les risques de transmission par voie aérienne. On continue de manger sans risque de la viande de porc. « Jeanne Brugère-Picou, médecin vétérinaire et professeur à l'école vétérinaire de Maison-Alfort (Val-de-Marne), ne voit 'pas de raisons de s'inquiéter particulièrement'. 'Peut-on dire qu'il y a vraiment un risque de pandémie quand ça dure depuis un mois, que c'est localisé et que ça n'a pas explosé? Une pandémie se propage très rapidement', selon elle. 'Cette grippe, elle est passée. Le pic a eu lieu en avril, on est en phase de régression', dit-elle, en expliquant qu'on 'a peut-être un nouveau virus, mais il y a peut-être des facteurs d'aggravation comme la pollution de l'air à Mexico, ou des surinfections' » (hyposblog).
Simple coïncidence, je donnai début avril en commentaire pour un examen interne un article tiré du Monde du 12 mars 2009, entre autres textes : « Les grandes villes travaillent à renforcer leurs moyens pour lutter contre les épidémies ». Paul Benkimoun a résumé les principales conclusions des intervenants réunis pour le Forum mondial des sciences de la vie, Biovision, qui se tenait quelques jours plus tôt à Lyon, autour de la question de la gestion des épidémies urbaines. Une phrase de la représentante de l'OMS m'a interpellé. « Toutes les villes sont différentes, mais toutes les villes sont vulnérables » (Guénaël Rodier). Peu importent les différences entre Nord et Sud. Les frontières politiques ne protègent aucune population, et les aéroports internationaux constituent autant de possibilités pour le développement d'épidémies. Plus les marchandises voyagent et plus les personnes se déplacent, plus les risques de propagation augmentent. Et l'hyper-performance ne va pas sans une extrême et paradoxale fragilité.
Paul Benkimoun relate à ce sujet l'intervention du commissaire adjoint à la santé de la ville de New York, Isaac Weisfuse. Celui-ci assure que les sept mille employés du département municipal de santé sont prêts à toute éventualité. Ils surveillent particulièrement les systèmes de transports collectifs, qui assurent chaque jour le transit de neuf millions de passagers. Mais le journaliste n'a pu questionner le fonctionnaire new-yorkais. Le bât blesse. Pour faire face convenablement à une crise, il faut beaucoup plus de personnels qu'en temps normal. En cas de graves pandémies, un gouvernement placera autour et à l'intérieur des grandes métropoles des forces de sécurité pour empêcher les mouvements de panique et limiter les déplacements (voire les supprimer), transporter les malades, enterrer les morts de telle façon que les corps ne propagent pas l'épidémie.
La représentante de l'OMS à Lyon ne parle pas d'autre chose [1]. Pour un pays de trois cents millions d'habitants, les effectifs nécessaires se comptent par milliers. Or l'armée américaine ne manque pas d'occupation en Irak ou en Afghanistan. Le président des Etats-Unis dispose il est vrai d'un recours théorique. En cas de besoin, il peut toujours mobiliser la garde nationale, même si elle est déjà sollicitée pour renflouer les rangs des unités régulières déployées hors des Etats-Unis. En Europe le problème se pose à peu près dans les mêmes termes, sauf qu'il n'existe pas l'équivalent de la garde nationale. En France, le président Chirac a même suspendu le service national, avec l'assentiment de la représentation nationale, et l'accord tacite des plus hauts gradés : ni guerres ni menaces entendait-on à qui mieux mieux au début des années 1990.
Cette étrange grippe porcine pour l'heure si peu virulente m'amène à conclure dans une autre direction. Et si l'emballement médiatique ne s'inscrivait pas dans le contexte très particulier des relations entre les Etats-Unis et le Mexique ? Les cartels financés par la drogue et puissamment armés grâce à des achats effectués de l'autre côté de la frontière semblent régner en maître. L'inquiétude grandit aux Etats-Unis. L'arrivée à la Maison-Blanche d'une nouvelle administration s'est cependant accompagnée d'une reconsidération de la politique américaine vis-à-vis de son voisin du sud. Le président Obama a reconnu à Mexico la part de responsabilité des Nord-Américains dans le chaos mexicains, à la fois acheteurs de drogue et vendeurs d'armes. Il a annoncé plusieurs mesures, concernant en particulier la surveillance de la frontière entre les deux pays.
Geographedumonde a posé plusieurs jalons sur les organisations criminelles au nord du Mexique (Quelque part entre Al Capone et Pancho Villa), sur les échanges de matières premières agricoles avec les Etats-Unis (D'un Bush à l'autre), sur le problème des migrants (Des barbares et des Mexicains) et sur les risques de guerre civile au Mexique (De l'Oaxcaca à Zapata).
Comme en témoigne les centaines de volontaires- scrutateurs pour le projet de mise en ligne de vidéos filmées grâce à des caméras positionnées face à la frontière, beaucoup d'Américains se montrent sourcilleux sur les rapports qu'entretient leur pays avec le Mexique. Certains voient d'un mauvais œil une éventuelle remise en cause de la vente libre des armes, au nom d'une coopération entre les deux pays contre les cartels. Les ventes explosent et les armureries n'arrivent plus à répondre à la demande, depuis le début de l'année 2009. D'autres Américains - ou les mêmes ? - ne cachent pas leur hostilité à l'encontre des Mexicains, ou plus généralement vis-à-vis de tous les hispanophones, citoyens américains inclus. A l'entrée One America power, Google indique 148 millions d'entrées... En période de crise économique, la xénophobie ne désenfle évidemment pas. Au contraire, les slogans Latinos go home fleurissent sur la Toile, comme le montre ce blog à propos de législations répressives dans l'Arkansas.
Mon postulat est donc que l'excès de fièvre porcine étalonne en quelque sorte l'inquiétude des Américains vis-à-vis du Mexique. Certains médias perçoivent à mon sens l'obsession d'une majorité plus ou moins silencieuse. Répétons-le pourtant, la militarisation de la frontière [2] entre les Etats-Unis et le Mexique est irréalisable... Les multiples cas de fièvre porcine déclarés aux Etats-Unis - les sots extrapolent sur une infection du président lui-même [source] ! - amèneront les plus sensés à reconsidérer leurs positions, en comprenant que cette frontière ne coupe qu'une seule réalité, qu'un seul et même continent.

[1] « Chargé de sa mise en oeuvre, Guénaël Rodier a résumé la question clé posée aux maires des grandes villes : 'Etes-vous prêts à affronter une crise sanitaire sérieuse ?' Une interrogation qui renvoie à de multiples tâches : identifier les personnes ayant été en contact avec un individu infecté ; planifier les capacités d'isoler un nombre élevé d'individus contagieux ou d'évacuer une population importante ; s'assurer que les recommandations sont compréhensibles par les populations immigrées ; s'occuper des milliers de non-résidents pris au piège par la crise sanitaire dans les aéroports. Un défi. » / Les grandes villes travaillent à renforcer leurs moyens pour lutter contre les épidémies / Le Monde / 12 mars 2009 / Paul Benkimoun.
[2] « La guerre des cartels mexicains débordant au Texas voisin, les Etats-Unis envisagent d'envoyer plus de troupes ou d'agents spécialisés dans la lutte contre la drogue à la frontière avec le Mexique. Lors d'une audition au Sénat, le général Victor Renuart, chef du commandement de la zone Amérique du Nord, a expliqué, mardi 17 mars, que toutes les composantes des forces de l'ordre et de l'armée seront probablement concernées. Les forces déployées à la frontière avec le Mexique ont d'ores et déjà recours à des méthodes utilisées en Irak et en Afghanistan, comme les drones capables de localiser les tunnels. Une équipe formée de représentants de plusieurs agences gouvernementales s'est réunie cette semaine au département de la sécurité intérieure pour élaborer une stratégie afin d'épauler Mexico dans sa lutte contre les trafiquants de drogue, et étudie notamment la possibilité d'envoyer des renforts à leur frontière commune, longue de plus de 3 000 km, par laquelle les cartels fournissent en drogue les Etats-Unis, a-t-il déclaré lors d'une audition parlementaire. ‘Il existe clairement un besoin en hommes supplémentaires’, a-t-il dit. L'équipe chargée de la stratégie ‘devra décider de la meilleure option, que ce soit l'envoi de gardes nationaux ou de forces de l'ordre supplémentaires’, a-t-il ajouté. Les cartels mexicains se battent pour le contrôle du trafic de drogue vers les Etats-Unis, premier client mondial de la cocaïne. Selon les autorités mexicaines, les violences liées au trafic de drogue ont provoqué la mort de plus de 5 300 personnes dans l'ensemble du pays en 2008, malgré les 36 000 militaires et policiers déployés contre eux depuis deux ans par le gouvernement. Le chef d'état-major général américain, l'amiral Mike Mullen, en visite au Mexique début mars, avait dit partager ‘le sérieux souci’ causé par le crime organisé et les cartels de la drogue, et avait proposé d'accentuer la ‘coopération militaire’ entre les deux pays. » / Le Monde / 18 mars 2009.

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