mardi 29 juin 2010

Shanghaï, attrape-couillons ! (De l’autorisation très calculée de la première Gay-Pride dans la métropole chinoise)

Les mois ont passé, mais le souvenir du livre de Marie-Claire Bergère - Histoire de Shanghaï (2002) - ne s'efface pas. S'y conjuguent érudition et vues larges sur la plus européenne et plus largement la plus occidentale des villes chinoises. L'expression est trop utilisée pour que j'y renonce. Il me semble, à la contempler de l'autre bout de la planète, que Shanghaï aurait pu incarner toutes les réussites de la Révolution industrielle sans absorber ses poisons. Sur les bords du Yang-Tsé-Kiang, dans l'estuaire même du fleuve ont vécu des Jaunes et des Blancs. Plus tout à fait Chinois parce qu'ils avaient renoncé à ériger leurs repères traditionnels (l'Empereur, la religion, ou la famille) en absolus, plus vraiment Européens parce que le commerce, la religion - Ah ! Cronin - ou la diplomatie les avaient poussés à s'installer à Shanghaï. Qu'il y ait eu un degré poussé de raffinement et de dialogue harmonieux n'a empêché ni les débordements (crime, drogue, etc.), ni le développement d'une société citadine de classe, brutale pour les tireurs de pousse-pousse. Vous vous souvenez, je n'en doute pas du Lotus Bleu.
Marie-Claire Bergère explique à ses lecteurs que certains Shanghaïens ont probablement souhaité la victoire des communistes, et applaudi les troupes de l'Armée de Libération Nationale lors de leur entrée dans Shanghaï en 1949. Elle donne même des clefs pour comprendre combien une majorité d'habitants attendaient plutôt anxieusement la suite des événements. La très forte inflation et la multiplication des rumeurs avaient mis auparavant leurs nerfs à vif. Depuis une soixante d'années en revanche, la vie des Shanghaïens a souvent viré au cauchemar. Mao et ses successeurs ont puni Shanghaï pour ce qu'elle représentait, mais aussi parce qu'elle ne leur manquait pas, par idéologie et par complexe vis-à-vis d'une société au sein de laquelle ils n'ont pas été introduits. La métropole nettoyée de ses enclaves, vidée de sa corruption répondait aux plans du régime : collectivisation des terres agricoles, mobilisation des mines et transformation industrielle destinées à une économie autarcique. Shanghaï - pivot entre le Milieu et l'extérieur du monde - n'était plus alors d'aucune utilité. D'une pierre deux coups.
Tout le monde en Occident s'est extasié de l'explosion de la métropole dans les trente dernières années. C'était sans prendre en compte le fabuleux effet de rattrapage par rapport à l'époque pendant laquelle ce bout du monde chinois avait été placé en quarantaine. Au cours des années 1970, les hiérarques Chinois vont jusqu'à créer une Zone Economique Spéciale à l'autre extrémité du pays, sur l'embouchure de la Rivière des Perles.
Ils condescendent à ouvrir la Chine vers le reste du monde, mais en excluant Shanghaï pourtant douée de toutes les qualités ; ne pas perdre la face après l'ère maoïste. Le passif a pesé lourd dans une décision, également motivée par des jeux de pouvoir au sein du Politburo, entre Pékinois et Shanghaïens. Ces derniers ont tout de même obtenu une libéralisation partielle de la métropole. En dépit de vingt années de retard sur Shenzhen, l'estuaire du Yang-Tsé s'est totalement métamorphosé et a dépassé son concurrent, devenant à nouveau le pivot déjà évoqué entre la Chine et le monde : 1842 - 2009.
Les ultranationalistes d'hier et d'aujourd'hui ont voué aux gémonies cette enclave présentée comme une quasi-colonie. Elle ne fut toutefois pas que cela. En réalité, « Des autorités autonomes — en particulier, le Shanghai Municipal Council de la concession internationale — imposent et administrent une population majoritairement chinoise (98% du total dès 1910). La concession française s’organise, elle, sous la tutelle d’un consul général, en s’accordant les mêmes prérogatives. Toutes deux édifient un environnement moderne, au sens matériel et juridique du terme, et favorisent une économie de libre-échange. Le centre économique de Shanghai se déplace ainsi de la vieille cité chinoise à la concession internationale, en particulier dans les quartiers contigus au Bund. Vitrines de la culture occidentale, les concessions influencent les mentalités et inspirent les innovations individuelles et collectives des Chinois : création d’entreprises publiques et privées, ouverture de nouvelles écoles, apparition d’une presse destinée au grand public, création d’une Chambre de commerce et d’un Conseil de la cité chinoise (à l’instar du Shanghai Municipal Council), aménagement des quartiers chinois, installation d’équipements modernes et de services publics… » Au début du XXIème siècle comme au début du siècle précédent, les Chinois autant que les étrangers apportent de l'argent dans cet eldorado. Beaucoup espèrent le retour d'un âge d'or, celui des années 1920 - 1930, durant lequel une génération née et formée dans la ville est parvenue à créer un tissu industriel et à animer une vie intellectuelle et artistique in situ.
Le pouvoir communiste aspire au temps des entrepreneurs mais se méfie terriblement de la contrepartie : l'apparition et le développement de mouvement contestataires, tôt baptisés de petits-bourgeois, même si dans le passé ils ont rassemblé des populations assez différentes les unes des autres : à l'instar de ce que l'on peut observer depuis longtemps à Hongkong. « A l’époque nationaliste, les syndicats n’ont cessé de mener leurs grèves et de se battre pour les droits ouvriers, malgré le contrôle du Guomindang et leur pénétration par les sociétés secrètes. Shanghai développait par ailleurs une culture composite, pragmatique, commerciale, cosmopolite, ouverte aux masses : le Haipai. » [Perspectives Chinoises / Xiaohong Xiao-Planes] Les dirigeants de Pékin estiment avoir créé un Haipai communiste, dans la société harmonieuse vantée à longueur de discours. Tout ce qui précède témoigne de l'écart entre les mots et l'action. Marie-Claire Bergère se montre réticente à décrire les dernières décennies, mais le peu qu'elle glisse tourne autour de la vulgarité du nouveau Shanghaï, ressemblant très vaguement au premier modèle. Du point de vue de la brutalité politique, Hergé pourrait aujourd'hui affûter son crayon [Shanghaïens, jamais trop plaints].
Au beau milieu de ce tableau, des Occidentaux relaient avec complaisance les signaux envoyés par le régime de Pékin. On apprend en effet en ce début de juin 2009 la tenue d'une Gay Pride dans la métropole chinoise [Courrier International]. Pourquoi m'en cacher, je n'éprouve pas d'empathie excessive pour ce type de manifestations organisées en Amérique du Nord et en Europe. Comme pour tout ce qui est en apparence original, mais se révèle en profondeur extraordinairement conformiste. Que cela ne rentre pas ici en ligne de compte. Car il y a tromperie monumentale. Le premier festival homosexuel chinois se déroule entre le 8 et le 14 juin, à l'initiative de deux habitantes de nationalité américaine, dont l'une est visiblement d'origine asiatique. C'est une Gay Pride, nous dit-on, et si l'on se borne à l'annonce - travers assez courant, vous en conviendrez ! - Shanghaï vit complètement à l'occidentale.
Tout se passe cependant à l'intérieur !! Au fond, ces deux femmes donnent presque l'impression d'avoir inventé la poudre d'eau deshydratée ; par la faute des autorités chinoises, il faut bien le reconnaître, sans doute ravies d'un projet qu'elles n'ont pas hésité à tailler à leurs mesures. Cette réunion dans quelques lieux informels permet de surcroît de compter ceux qui demain termineront - si le besoin s'en fait sentir - au cachot. Ces deux femmes illustrent involontairement que l'enfer étant pavé de bonnes intentions, Pékin reçoit encore des soutiens insoupçonnables (compte tenu de la criminalisation de l'homosexualité en RPC)... Shanghaï, attrape-couillons ! Pour être tout à fait clair, la liberté sexuelle a été abrogée en 1949. Celle-là, et les autres ! L'arbre ne doit pas cacher la forêt.



PS./ Dernier article de Geographedumonde sur la Chine : Jean-Pierre Raffarin, le pire du milieu.


NB. Pour mes (très nombreux ;-) ) lecteurs, la semaine prochaine, Geographedumonde prendra son temps, pour cause d'heureux événement...


Incrustation : La RTBF, qui annonce une annulation partielle.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire