lundi 28 juin 2010

Les portes du pénitencier continuent de se refermer. (De la surpopulation carcérale en France)

La Croix consacre une double page à l’enfer des prisons françaises. Si l’on pense au nombre de suicides de prisonniers, le journal s’intéresse à un thème d’actualité mais fait en même temps la promotion d’un documentaire sorti cette semaine dans les salles obscures. A côté offre manifestement l’occasion de réfléchir sur la situation des familles d’incarcérés. Bruno Bouvet rédige une critique élogieuse, à l’aune de la note indiquée sous le titre : trois étoiles prometteuses. Dans le documentaire de Stéphane Mercurio, les caméras suivent des femmes séparées de leur conjoint par les murs de prison.
Car elles continuent d’aimer, malgré les difficultés matérielles et la séparation. Le rythme carcéral s’imposent à elles sans qu’elles puissent bénéficier du moindre accommodement : après l’heure c’est plus l’heure, semble dire l’administration à celles qui se présentent en retard. Les femmes qui cherchent à améliorer le quotidien des détenus se heurtent souvent aux prescriptions tatillonnes concernant les paquets. En bref, et sans connaître A côté, on voit bien que le documentariste se foculise sur une évidence malheureusement perdue de vue. L’emprisonnement produit une souffrance qui surpasse le condamné.
Il y a là à mon sens une occasion inespérée de mettre en perspective la tentation de la victimisation instrumentalisée par le candidat à l’élection présidentielle de 2007. Mon sentiment est au contraire que la victimisation conduit à une impasse. La seule lecture de la critique de Bruno Bouvet – je ne préjuge bien sûr pas de la qualité d’A côté – ne peut que susciter une réaction primaire : la prison, quelle horreur ! Oui, donc elle dissuade… Ou encore : ils souffrent ? Oui, mais ils le méritent puisqu’ils se retrouvent là. Car le lecteur intègre l’idée de punition infligée par un tribunal, lui-même chargé de faire respecter la loi et d’indemniser le plaignant ; la victime, justement. Qui tranchera entre la douleur des uns et celle des autres ? La victimisation porte donc en elle-même les germes de sa nullité.
Dans l’entretien que Jean-Marie Delarue donne à La Croix, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté - c’est son titre - récemment nommé à ce poste pour six ans et chargé de dresser un bilan annuel, ne vient aucunement lever l’ambiguïté. Confronté à une suite d’incantations, le lecteur ignore s’il y aura une application, et quand ? « Le téléphone a fait son apparition dans certains centres de détention, il est désormais temps d’en généraliser l’accès. […] Mon constat est identique concernant les unités de vie familiales […] il faut réfléchir à la mise en place d’aides financières en direction des familles les plus démunies. […] Il n’est pas acceptable en effet que l’on renvoie des proches ayant fait plusieurs centaines de kilomètres sous prétexte qu’ils ont quelques minutes de retard. […]
A l’avenir, il faudrait toutefois prévoir des dispositifs mettant en lien les services d’insertion et de probation, qui ont la charge des détenus, et les services sociaux suivant les familles. » Des visiteurs de prisons manquent en grand nombre ? « Reste à souhaiter que davantage de citoyens se proposent pour devenir visiteurs de prison. » En 2008, qu’est-ce qui différencie la communication de la politique ? La question se pose non pas à propos de Jean-Marie Delarue mais à cause de ceux qui ont créé son poste. Ici, le président de la République n’assume pas sa politique de fermeté, concernant les récidivistes ou les délinquants sexuels. En même temps qu’il satisfait son électorat conservateur, il cherche en fait à séduire les émotifs. Pendant ce temps, un an et demi après sa prise de fonction, la surpopulation carcérale sévit toujours.
A juste titre, Jean-Marie Delarue tente de poser les limites de ses prescriptions. Le problème carcéral relève autant de l’économie (le coût) que de la géographie. Il estime que les détenus regrettent la logique centralisatrice des prisons françaises. Celles-ci les éloigneraient de leurs familles [1]. Pourtant, les prisons de proximité existent : rares sont les départements dépourvus. Quand bien même. Le gouvernement accepterait de financer les établissements manquants, ce qui ne semble pour l’instant pas prévu –, le problème demeurerait entier : « aucun maire n’accepte en effet l’implantation de centres pénitentiaires au coeur de sa ville. » reconnaît le contrôleur général des prisons. Les Nancéens collent bien à cette description [voir Ne pas confondre : changer les Hauts du Lièvre et poser un lapin]. En somme, le discours politique ne débouche sur aucune solution : réflexe nimby oblige. La politique étant l’art du possible, une conclusion se dessine. Il faut trouver des peines de substitution à l’emprisonnement. Je devrais dire la raison justifie une telle politique. Dans les faits, les problèmes demeurent, parce qu’une minorité de personnes seulement s’émeuvent du sort des prisonniers. Ceux-ci ne sont pas des victimes reconnues comme telles…
Allons un peu plus loin, avec l’article principal de La Croix [2]. L’idée suivant laquelle une meilleure prise en compte des familles de détenus s’impose tombe d’elle-même… Marie Boëton démontre en effet que la moitié des détenus ne reçoivent aucune visite. On peut toujours affirmer que l’éloignement entre lieux de détention et lieux de résidence provoque cette tragédie. Mais la journaliste affaiblit de toutes façons l’argumentation en montrant que beaucoup de gens refusent de rendre visite à leur proche emprisonné. Ils s’approprient d’une certaine façon la dimension morale de la peine, même si leur réprobation se répercute d’une manière particulièrement cruelle. Non seulement le détenu perd sa liberté, mais il subit de surcroît une forme de bannissement… Ainsi s’opère un retournement par rapport au projet initial. Les familles peuvent-elles réclamer un statut général de victimes si un grand nombre d’entre elles se désintéressent de ceux qui souffrent vraiment, placés entre quatre murs ?
Car à y bien regarder, La Croix se tait sur la recrudescence des tentatives de suicide, et même sur les suicides réussis. On en dénombrerait 90 en France depuis le début de l’année… [Le Parisien]. Les affaires se succèdent mais suscitent des articles si isolés les uns des autres que l’on ne peut parler de campagne de presse [à la mi-octobre, le Monde s’inquiète d’un cas en Alsace / Voir aussi ceci]. La surpopulation carcérale renvoie à l’idée de punition. Ne soulevant pas l’indignation, les journaux ne traite cette information qu’à la marge. En cela, la société justifie plus qu’elle ne réprouve l’attitude des proches refusant de visiter leur détenu. La journaliste de La Croix veut faire un instantané à l’intérieur d’un centre de détention (à Fleury-Mérogis). Mais elle choisit le plus grand d’Europe en superficie, situé en région parisienne : est-il totalement représentatif, alors que des dizaines d’autres s’éparpillent sur l’ensemble du territoire national [Nicolas Derasse / historique et carte ] ?
On y rencontre un Uruguayen, pour illustrer l’idée de la surreprésentation des étrangers. Le fait que son pays se trouve dans l’autre hémisphère et sur un autre continent permet d’insister sur l’éloignement : sa famille ne lui donne aucune nouvelle. Pour résumer, « on compte parmi eux [les détenus] une très large proportion de personnes étrangères, mais aussi de sans-domicile-fixe, de malades mentaux et parfois de grands criminels sexuels.» La journaliste tombe donc dans le panneau et les clichés. Qu’isolent en effet de caractéristique les enquêtes sociologiques ? Les détenus sont à plus de 90 % des hommes. La très grande majorité ont moins de trente ans, sont sortis précocément du système scolaire, et appartiennent à des milieux défavorisés [source]. Evoquer la grande pauvreté ne signifie pourtant pas que l’on excuse les crimes et les délits. C’est un fait. Il semble néanmoins que les criminels sexuels constituent les bêtes de foire de notre époque. Peu importe leur non représentativité à l’échelle de la population carcérale : ils procurent le même frisson d’angoisse.
Le commentaire de la journaliste laisse s’ouvrir une faille. Celle-ci concerne les immigrés en situation irrégulière… « ‘Ils font tout pour cacher leur nationalité afin de ne pas être renvoyés dans leur pays, précise Jean-Marc Dupeux, pasteur et aumônier national des prisons.» Quel est en fin de compte l’intérêt de la collectivité de garder en prison des personnes irrégulières alors même que l’on clame l’urgente nécessité d’en renvoyer d’autres, celles qui ont commis comme seul délit de ne pas avoir de papiers d’identité ! L’administration pénitentiaire reconnaît la saturation de sa capacité d’accueil tandis que le Parlement se garde de légifèrer pour encadrer la détention préventive ou encore pour adoucir les lois de prohibition sur les drogues et stupéfiants. Au fond, la tentative de victimiser les familles de détenus ne fonctionne pas. A tout prendre, et si l’on tient à déterminer des catégories, la société est en réalité plus bourreau que victime…
Quant à la politique carcérale française, elle est inconséquente, coûteuse, et potentiellement dangereuse. Que l’on se rappelle en effet que les prisons de Napoléon III ont formé les cadres de la Commune… Le bonapartisme a bonne presse il est vrai.


[1] « Sur les 63 000 détenus actuellement en prison, des milliers vivent, comme lui, totalement coupés des leurs. Il leur faut affronter l’isolement carcéral autant que l’isolement affectif. Selon une étude publiée dans les Cahiers de démographie pénitentiaire, en 1998, 47 % des personnes incarcérées n’avaient pas été appelées à un seul parloir durant toute leur détention.» / « Près d’un détenu sur deux oublié derrière les barreaux. » / Marie Boëton / La Croix du 29 octobre 2008.
[2] Id.
[3] Id.

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