samedi 26 juin 2010

Le président qui parlait au Soleil. (D’un entretien donné par Abdoulaye Wade, et d’un rapport sur le ‘miracle agricole’ ouest - africain)

Le président a récemment donné un entretien au Soleil, principal quotidien sénégalais. Âgé de 82 ans, Abdoulaye Wade termine dans la douleur son deuxième mandat, avec une opinion publique qui s'est retournée contre lui. La colère gronde et il cherche à prendre de la hauteur. Abdoulaye Wade se fait héraut pour proclamer ses deux principaux traits de caractère. Idéaliste et pugnace, il s'est battu hier contre le colonialisme, comme il se bat aujourd'hui pour le Panafricanisme. Qui réfutera sa profession de foi ? « C’est simplement que je sais que l’Afrique a des ressources matérielles, humaines... Tout pour devenir un grand pays des Etats-Unis d’Afrique . L'octogénaire se réfère à Nkrumah, faisant mine d'ignorer la déroute finale de son modèle, et se définit comme libéral – révolutionnaire, « parce que je fais la révolution avec le libéralisme. » Abdoulaye Wade a choisi le métier d'avocat. Avocat du FLN algérien ou du MPLA angolais, il ne s'arrête pas au sang versé, si la cause lui paraît juste. Le passé révolu lui sert de toile de fond, d'auto – justification permanente, en Europe. Au Sénégal, les habitants s'intéressent plutôt aux problèmes du moment, à la vie chère. Lorsqu'ils sont descendus dans la rue à l'automne dernier, le pouvoir a répondu par le déploiement des militaires.
Dans cet entretien donné au Soleil, Abdoulaye Wade montre qu'il a remisé son libéralisme et succombé aux joies de l'interventionnisme maoïste. Pour le Sénégal, il veut un nouveau port minéralier, une usine fabriquant des automobiles indiennes, et des avions à deux places avec moteur à l'arrière pour l'épandage [1] : ce que Wade veut, Dieu veut... ? Pour le reste, il se révèle surtout intraitable avec ceux qui ergotent sur son grand âge ou qui contestent ses choix. Il s'imagine homme providentiel, et croit au président qui guide son peuple, à l'idée qu'aucun obstacle n'est incontournable. Dakar souffre d'un engorgement continuel ? En décidant l'augmentation du nombre de voies de circulations [2], il choisit une solution aussi banale qu'inefficace.
Confronté à une inflation des matières premières, le président sénégalais lance son propre Bond en Avant, pompeusement baptisée Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l'Abondance, ou Goana. La Goana recycle les slogans xénophobes – souveraineté alimentaire – sur fond de mobilisation molle : quel est l'ennemi ? Ce saut de puce répond en tout cas à l'échec du plan Reva (Retour vers l'agriculture), le non retour à la terre de jeunes citadins sans emplois en partie financé par Madrid, ou encore l'achat par l'Etat sénégalais de machines agricoles importées d'Inde. Celles-ci une fois livrées n'ont pas trouvé preneur [3]. Non rebuté par ce camouflet, le président sénégalais est donc reparti à la charge. Il recourt à la première personne pour détailler son projet : « Je me suis dit : 'Je pars avec le gouvernement cultiver et planter des arbres.' Je me suis encore dit : 'Je mobilise le peuple sénégalais'. Je pense que j’étais bien inspiré. La réponse est globale. Tout le monde veut aller cultiver quelque chose ! » Grâce à la Goana 240.000 hectares de riz sortiront de terre [RFI]. Un doute m'assaille.
Si la terre venait à manquer, il sommera les autorités locales d'en trouver : gare aux récalcitrants ! « Il ne faut pas que le gouvernement ou les collectivités locales apportent le moindre obstacle à une demande. Si quelqu’un demande dix hectares, on les lui donnera ; s’il demande mille hectares, on les lui donnera. Pour la mise en valeur et les résultats, on verra bien. Il n’y a pas de problème de terre. Il y a trop de terres, déjà, par rapport aux populations sénégalaises. » Et s'il n'y a pas d'eau, le gouvernement creusera des puits, installera des pompes, et bâtira un réseau. Au paysan sans le premier sou nécessaire pour se lancer, et aux coopératives prêtes à assurer la transformation des produits agricoles, l'Etat avancera l'argent. Il vendra même la récolte, en dessous des prix internationaux, si nécessaire [4] ! Forts des expériences du passé dont se prévaut le président sénégalais, on peut d'ores et déjà établir les résultats futurs de la Goana : au mieux, une hausse modeste des productions, car on ne s'improvise pas du jour au lendemain cultivateur, ou industriel de l'agroalimentaire, et une surproduction douloureuse, le jour où les prix se retourneront.
A l'instar des grands leaders des années 1960, le Grand Timonier sénégalais se soucie peu des problèmes de financement. Au journaliste qui le questionne sur les 334 milliards de francs CFA à lever, il rétorque un « Je peux le financer » qui fleure bon le volontarisme d'antan, le verbe créateur. Mais de solutions pratiques, point. Le flou démonstratif [5] dissimule mal que le président ne dispose pas des fonds nécessaires. Si son projet démarre, la population paiera à retardement, par le biais de l'emprunt. Il se défend toutefois en détaillant les économies à venir, plus Cartouche que Mao.
"Je ne crois pas sous le soleil, Qu'on pourrait trouvait mon pareil." [Source]
Une lecture s'impose pour finir, celle d'un rapport de la Fondation pour l'Agriculture et la Ruralité dans le Monde. Les contributeurs bousculent beaucoup d'idées reçues sur les Potentialités Agricoles de l'Afrique de l'Ouest. Depuis environ un quart de siècle, les différents pays concernés ont réussi à combiner le développement des cultures de rente avec le maintien des cultures traditionnelles. Ceux qui ont divinisé les unes pour diaboliser les autres en sont pour leurs frais. Entre 1980 et 2006, le tonnage des premières a doublé et celui des secondes a triplé : de 19 à 38 millions de tonnes pour les produits exportés (coton, café, cacao, arachide, etc.), et de 59 à 212 millions de tonnes pour les produits vivriers. Alors que les prix bas favorisaient dans les années 1980 et 1990 l'achat d'aliments importés, et en dépit du fort croît naturel, l'agriculture ouest – africaine s'est diversifiée avec succès vers les céréales (riz), les fruits tropicaux, et les légumes. Les auteurs s'appuient en particulier sur l'exemple des oignons et des tomates (500.000 tonnes en 1980 pour 1.500.000 en 2006 / Tableau p.11). L'élevage a connu le même développement, en particulier celui des porcins (de 3,3 millions de têtes à 11,2 millions de têtes / Tableau p.12) ; le développement de la population citadine s'est en effet accompagné d'une forte progression des besoins en sous-produits (laits, oeufs, etc.). En Afrique de l'Ouest, la faim a fortement reculé.
Aux prévisionnistes les plus pessimistes et à ceux qui prédisent un avenir sombre, les auteurs du rapport répondent que le continent dispose d'une main d'oeuvre féminine souvent libérée des contraintes conjugales pour cause d'émigration masculine (plus ou moins lointaine), et d'un énorme potentiel foncier inexploité : quatre zones de production qui s'étirent dans le sens est – ouest (du sud au nord : le palmier à huile, le cacao, le coton et l'arachide / carte p.21) et s'insérent dans la géographie agricole traditionnelle (carte p.22). Pour autant, ils ne se voilent pas la face en invoquant la gestion problématique de l'eau, la fragilité des sols ou les risques de réchauffement. Mais au fond, les politiques publiques comptent moins – tant pis pour la Goana – que l'évolution des prix. Or en augmentant, ceux-ci avantagent les pays agricoles. Présager un âge d'or pour l'Afrique de l'Ouest serait toutefois encore prématuré. Des problèmes subsistent : les néo-ruraux pauvres vivant en marge des villes [source], ou le carburant hors de prix. Un autre écueil pointe, lui non signalé dans le rapport, mais clairement identifiable à la lecture de l'entretien présidentiel : l'interventionnisme brouillon et dilapidateur inspiré par un chef d'Etat affirmant hier encore défendre les vertus du marché. Ou comment être colonisé jusqu'au bout.

PS./ Geographedumonde sur l'Afrique noire : Dakar, afriqueuropéenne.



[1] « Ce que nous allons faire sur le plan industriel, je l’espère avant la fin de mon mandat, sera plus important que tout ce que j’ai fait depuis que je suis au pouvoir. Par exemple, la zone économique Jafza, avec Dubaï. J’ai reçu Monsieur Mittal (Lakshmi Niwas Mittal, numéro un de l’acier, ndlr), à Paris. Son groupe et lui ont déjà commencé le minerai. Ils vont construire un port. Dans cette zone qui va de Sendou vers le bas, il va y avoir deux ports, parce que Mittal pense que la spécificité de son activité, le minerai brut, est telle qu’il ne peut s’associer à d’autres. Mais les autres vont faire un grand port qui sera le plus grand port de l’Atlantique pour d’abord servir Jafza. Il y a des pays comme la Chine qui voudraient s’installer dans cette zone qui est la zone franche. Du point de vue industriel, tout ce territoire va être un grand centre industriel. Maintenant, nous allons construire, au Sénégal, les gros-porteurs, les transports de liquide de pétrole. Je suis en train de réfléchir sur un terrain. J’ai pensé le faire à Tambacounda. Je me dis qu’il faut décentraliser et là, si on prend des camions pour les vendre aux pays voisins, ils prennent la route. Mais, par la suite, je me dis que c’est un peu loin. J’ai pensé à Diourbel et, finalement, je vais le faire entre Dakar et Mbour pour être à côté du grand port que nous sommes en train de construire. De ce fait, le constructeur peut mettre les camions dans le bateau pour les emmener dans les différents pays. Ça fait partie des grands projets. Parmi les grands projets, je vais aussi construire un grand hôpital de dimension internationale pour remplacer le Dantec qui est d’une vétusté extraordinaire. En matière d’automobile, l’Iran a construit l’automobile Saman. Les Indiens ont pris mon idée de construire une voiture populaire. Nous allons lui trouver un nom. Ils vont faire une usine au Sénégal pour la construction. Et puis, nous allons construire, au Sénégal, de petits avions de deux places. C’est un vieux projet. Un jour, j’étais dans un pays. Je crois que c’était le Canada. Quand j’ai vu tous ces petits avions, j’ai dit que l’Afrique en a besoin. J’ai contacté le fabricant qui m’a dit : 'Si vous m’assurez l’achat de vingt-cinq avions, je m’installerai à Dakar'. J’aurais pu m’engager pour ces avions, en prendre pour le Sénégal et les proposer à la Mauritanie et à tous les autres pays. Ce sont des avions pour deux personnes. Deux personnes peuvent entrer dedans pour se déplacer, pour aller en mission ! Ce dossier, je l’avais donné au colonel Mbarick Diop, alors conseiller à la Présidence. Le document a été perdu. A quelque chose malheur est bon, parce que dans un autre pays, j’ai vu qu’on fabrique un avion de deux places qui a la particularité d’avoir un moteur derrière. C’est une grande stabilité qui fait mille kilomètres de rayon d’action et c’est à 250.000 dollars. Cela veut dire qu’un monsieur peut acheter cet avion pour aller en Mauritanie ou ailleurs. C’est évident que si vous mettez un pilote, il n’y a qu’une place. Mais il peut servir à l’épandage. » Ou à autre chose ! / A.Wade.
[2] « Dakar a changé et changera encore plus parce que nous avons de grands axes à construire à l’intérieur de Dakar pour rendre encore plus fluide la circulation. Par exemple, la route du Méridien, jusqu’à l’aéroport, va être élargie en quatre voies. Nous avons des financements. La route qui traverse Ouakam va être élargie à trois ou quatre voies. L’ancienne route de Rufisque va être construite. La route de Rufisque, elle-même, jusqu’à Bargny, va être élargie à quatre voies. Ce sera la plus belle avenue du Sénégal, je l’espère, si nous y arrivons. » [Id.]
[3] « J’avais décidé un grand programme d’agriculture, mais dans le cadre du Plan Reva (Retour vers l’agriculture, ndlr). Alors, j’ai fait venir du matériel et nous avons signé un accord avec Kirloskar, une compagnie indienne venue nous encadrer. Mais, qu’est-ce qui s’est passé ? Le gouvernement a laissé ces machines au port pendant plus d’un an ! Il a fallu que je fasse un tour dire : ' Sortez-moi tout cela et distribuez tout !' » / [Id.]
[4] « Je vous donne un exemple : l’Egypte importe 6 millions 500.000 tonnes de maïs par an. Donc, l’Egypte était prête à acheter notre maïs et nous avons voulu le lui vendre lorsque nous avons fait de grandes récoltes. Mais, ce sont les paysans qui n’ont pas voulu vendre. Ils ont gardé leur maïs de telle sorte que je n’ai pas eu un quintal à vendre à l’Egypte. L’Egypte, en ce moment, nous avait proposé un prix qui était très faible. Maintenant, comme l’Egypte produit du riz, nous pouvons donner du maïs contre le riz. En Egypte, on mange du riz, mais pas comme au Sénégal. Le riz et le maïs sont bien cotés au plan international. » [Id.]
[5] « Quand vous regardez le Plan Goana, il y a les spéculations : le manioc, le maïs, le riz, le mil, etc. Il y a aussi les objectifs, les quantités qu’on doit produire. Vous avez les semences, des engrais et des produits phytosanitaires. Il y a des tracteurs et tout le matériel. Donc, c’est un plan scientifique. On ne peut pas dire que je l’ai lancé comme ça en l’air. Si on réalise ces colonnes, on aboutit à ces résultats. Regardez maintenant le coût total qui fait 815 milliards ; regardez la part des engrais. Cela représente 193 milliards de francs Cfa ! » / [Id.]

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire