mardi 29 juin 2010

Bienvenue au Havre ! (De deux films populaires en tête du box-office français)

Didier T., âgé d'une quarantaine d'années, réside dans un quartier ouvrier du Havre. Il est séparé de sa femme qui a quitté la France pour refaire sa vie de l'autre côté de la Manche avec leur fils unique. Les jours passent, dans la gêne financière et l'espoir vague d'un emploi de chauffeur de bus. Sa mère retraitée l'a accueilli chez elle, et lui évite une déchéance probable, compte tenu de son environnement, de son âge, et de son absence de diplômes. Didier T. souffre de solitude, car ses amis ont leur propre famille, leurs obligations professionnelles, l'un comme docker dans le port à containers, l'autre comme vendeur chez Darty. La musique disco réussira t-elle à le faire sortir de l'ornière ?
Antoine B., a un peu plus de chances, car il travaille à la Poste, dans une petite ville du Nord - Pas-de-Calais, plus précisément dans l'arrière-pays de Dunkerque. A l'âge où d'autres inscrivent leurs enfants au lycée, Antoine vit lui aussi en célibataire chez sa mère. Celle-ci veille sur son poupon, allant jusqu'à lui préparer ses sandwiches pour le déjeuner. Ses collègues de bureau et la musique égaient un peu ses journées. Il n'en demeure pas moins que l'horizon lui apparaît aussi plat que les bords de la mer du Nord. Sa vie sentimentale frôle le zéro depuis que sa copine l'a sommé en vain de quitter le domicile maternel. Il a néanmoins buté devant l'obstacle et soupire désormais. La tournée du courrier rime plus souvent avec bière qu'avec chicorée. Mais un nouveau directeur d'agence frais débarqué de Provence chamboule son existence...
Chacun aura reconnu la description de deux personnages de film français, l'un plus récent de quelques mois que l'autre : Disco et Bienvenue chez les Ch'tis. Tous deux jouent sur le registre du clown triste, en même temps que sur l'exploitation du drame social en mode mineur. Il ne s'agit ni de remettre les situations dans un contexte, ni de dénoncer la société, l'école, la droite libérale et conservatrice, ou le capitalisme industriel qui piétine le droit des travailleurs. Je ne m'embarquerai pas ici dans une critique stricto sensu, car pour l'un des deux au moins, d'autres ont œuvré avant moi. La comparaison entre les deux films m'intéresse parce que j'y vois le rapport que les Français entretiennent avec leur territoire, la distance entre Paris et la province. Que je ne déborde pas d'enthousiasme pour ces deux films, que je trouve même assez malvenue une comparaison entre ces succès et ceux disons de Gérard Oury, n'a guère d'importance. A mon goût, Les portes de la gloire valent mieux que les Ch'tis et Disco réunis ! Et alors ?
Bienvenue... et Disco existent quoi qu'on en pense. Les auteurs, les réalisateurs et les acteurs ont remporté la mise et obtenu de francs succès dans les salles. Seule la victoire est belle.
Les esprits chagrins se sont complu depuis dans un dénigrement facile, peu en rapport avec les ambitions manifestées dans ces films : distraire et attirer le plus grand nombre. On suit en effet deux histoires simples, de héros très ordinaires. Ceux-ci font face à des difficultés quotidiennes en s'attachant à une morale primitive et efficace : Ne pas se laisser abattre et garder la tête haute, ne pas rester sur une première impression, ne pas se satisfaire de l'aspect extérieur, croire en l'amour, etc. Certes, Fabien Onteniente et Dany Boom filment des scènes consensuelles, sans chocs culturels, sans séparations dramatiques ni retrouvailles horizontales. Mais faut-il pour autant que les cinéastes se justifient de leurs choix ? Soit le public se précipite dans les salles obscures, soit il les délaisse. Des goûts et des couleurs on ne discute pas. Je trouverais cependant fâcheux que l'un ou l'autre des protagonistes - la pente ne fait pas de doute - crient à l'artiste incompris, ou endossent les habits de la victime du parisianisme ; tout cela, à cause de personnes faisant la fine bouche sur ce qu'aime le bon peuple.
Il m'est bien venu un soupçon, je m'en confesse. Mais je ne retiens pas la thèse de la démagogie intéressée. Didier T. et Antoine B. sont des personnages crédibles, assez creusés pour ne pas sombrer dans le grotesque. Ils ne servent visiblement pas de prétextes à une moquerie déguisée du prolo inculte et ignorant des bonnes mœurs. Si j'avais à emettre éventuellement une critique, elle porterait sur des points de détails. Je m'agace par exemple de la place réservée à la cellule familiale, comme si elle était incontournable parce qu'écrasante, ou de l'obsession pour la réussite professionnelle des personnages. Je regrette l'absence d'une aventure héroïque, celle-là même qui rompt le train-train quotidien, et force les personnalités à se révéler. Il n'y a pas grande distance entre l'éloge du petit et l'apologie de la médiocrité.
Mais le rapport aux lieux me chiffonne bien davantage, même si j'admets parfaitement le besoin de poser un décor qui donne de la substance. Rowan Atkinson, lorsqu'il a tourné un film sur un voyage improbable de Mr Bean entre Paris et la Côte d'Azur (Les vacances de Mr Bean), fait de la France un personnage à part entière de son histoire. Il témoigne d'un enracinement et d'une connaissance qui passe par des clins d'œil au cinéma français (Tati), par l'utilisation des monuments, des quartiers historiques et des musiques. Il parvient même par le truchement d'un tournage à faire entrer la Seconde guerre mondiale dans son film. Soyons juste ! Disco et Bienvenue chez les Ch'tis ne desservent pas à proprement parler une ville ou une région (le Nord). Les réalisateurs s'amusent même des clichés.
Fabien Onteniente (Disco) utilise La Havre pour donner corps à son histoire. Pour illustrer le fossé entre classes sociales, s'opposent d'un côté des images d'une villa extrêmement cossue et d'un yacht club, de l'autre des images du quartier du Grand Large, refuge d'une population modeste menacée de déclassement. On pressent un écart entre les hauts - rebord du plateau cauchois - et les bas, près du port. Mais le réalisateur donne t-il à voir Le Havre ? Les éléments de compréhension de la ville font défaut (monuments, avenues, etc.). L'exception concerne le pont de Normandie, qui se situe à l'extérieur du Havre ! Le spectateur non averti peut difficilement comprendre le legs de l'histoire, d'un lien depuis l'époque de François 1er entre la ville et l'Amérique, si ce n'est dans la scène finale dans laquelle la femme jouée par Emmanuelle Béart monte dans un bateau pour New York ; au XXIème siècle, c'est plutôt incongru. Le réalisateur tait plus encore les dizaines de bombardements alliés, en particulier ceux du début de septembre 1944 : 5.000 morts et 80.000 sinistrés (source). De l'urbanisme de Perret, il ne reste que les promenades sous galeries...
Dans les Ch'tis, le spectateur doit se contenter d'une vision très raccourcie du Nord. Celui-ci se résume - outre une langue exotique - à la ville coquette de Bergue, car Danny Boom tient manifestement à tordre le cou aux médisants, à ceux qui par ignorance ne cessent de répéter les lieux communs sur une région froide, inhospitalière, refuge pour cas sociaux. Mais lorsque Kad Merad, son alter ego dans le fim (Philippe Abrams) fait des allers et retours entre le Nord et la Provence, le spectateur ne comprend le changement qu'au son, à l'écart entre les chuintements des uns et l'accent chaântant des autres. Ne traverse t-il pas le bassin minier, des friches industrielles, des reliques de la Première guerre mondiale - tranchées, cimetière, que sais-je encore ? - ou encore un terroir agricole particulièrement riche ? Pour prendre le train, le personnage principal des Ch'tis ne passe t-il pas par Lille ?
Plus ennuyeux, le réalisateur jette aux orties les clichés sur le Nord, mais se gauberge de ceux sur le sud méditerranéen, avec force soleil, bouillabaisse, pastis... On cherche les allusions à un Sud réel et non idéalisé, à des régions connaissant de forts taux de chômage, la flambée des coûts du logement, l'imbrication problématique des activités annuelles et des activités saisonnières, l'explosion du pourcentage de personnes âgées... Je ne parle même pas de la Côte d'Azur (Aux Niçois qui mal y pensent).
Peut-être le temps manquait-il ? Mes attentes excèdent peut-être les possibilités matérielles d'un film. Au fond, cela compte moins que le succès populaire, de Français toujours prêts à faire assaut d'exception culturelle, mais en réalité inconscients de leur méconnaissance crasse. La France, pays inconnu de ses habitants. Bienvenue au Havre... Quand même !?

Incrustations : ici et .

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