lundi 28 juin 2010

Le dernier roi d'Ecosse avait des cousins. (D'une transposition de l'Ouganda à la RDC)

Le dernier roi d'Ecosse manque à ma collection de DVD, je le déplore, mais Noël approche. Le scénariste Kevin McDonald s'est librement inspiré de la vie d'Idi Amin Dada, despote ougandais qui s'échappe de Kampala en 1979 et meurt en 2003 sans avoir jamais répondu de ses crimes : au bas mot 300.000 morts. Anne Crémieux, dans Africultures, analyse longuement ce film qui a manifestement bousculé ses convictions. Le dernier roi d'Ecosse utilise la trouvaille romanesque de la biographie homonyme. L'auteur du best-seller qui a inspiré le film, Giles Foden, a en effet couché sur le papier sa propre expérience, celle d'un Européen arrivé en bas-âge en Ouganda. Il a toutefois inventé le personnage du médecin britannique animé des meilleures intentions mais brusquement pris sous l'aile du boucher de l'Afrique. Ainsi, ce dernier prend les apparences du père protecteur et le Blanc celles d'un héros en partie maléfique. La double pirouette instille de la complexité, et fausse les stéréotypes. On ne contemple ni un roi nègre - chef de guerre, ni un humanitaire dévoué corps et âme aux petits Africains.
La critique met en exergue les différences entre l'histoire vraie et le scénario. « Héros du peuple ougandais lors de sa prise de pouvoir en janvier 1971, homme providentiel accueilli par la communauté internationale, Idi Amin mena une politique de violence que les Anglais cautionnèrent bien trop longtemps. » Le bon peut-il devenir méchant et les méchants de la veille ne le restent-ils pas à jamais ? Anne Clément se pose inconsciemment cette question sans voiler les points forts de l'histoire ougandaise portés à l'écran par Kevin McDonald : le meurtre institutionnalisé, l'expulsion des Asiatiques, une diplomatie anti-occidentale qui n'amène même pas le soutien de Moscou. Tout cela se comprend en arrière-plan des deux personnages principaux joués par Forest Whitaker - récompensé par un Oscar - et James McAvoy, respectivement Idi Amin et le médecin blanc. Mais Anne Crémieux se trompe à mon sens sur l'interprétation du duo improbable.
« Cela suffira [l'amour de l'Ecosse et la haine des Anglais] à l'excentrique Idi Amin pour faire de lui son médecin personnel et premier conseiller. Le public occidental peut alors s'identifier à ce personnage innocent et découvrir avec lui l'autre face du bon géant qui, l'espace d'un échange de regards, se transforme en dictateur démoniaque et impose sa volonté la plus despotique à tous ses proches. À toutes les conventions du cinéma grand public s'ajoute donc celle-ci : lorsqu'il s'agit de mettre en scène l'Afrique, l'intrigue doit être portée par un personnage blanc insipide qui découvrira en même temps que les spectateurs ce continent mystérieux qui ne semble exister dans la psyché européenne que par le truchement de l'explorateur. »
Je juge autrement l'ajout par l'écrivain puis par le scénariste d'un tel personnage fictif. Il faut à mon sens le voir comme un artifice destiné à faire réfléchir sur l'idée de responsabilité. Staline déclenche une réflexion autrement plus profonde si on le replace aux côtés d'un Beria ou d'un Vychinski, de la même façon qu'Hitler prend une autre ampleur entouré de Goebbles et Heydrich. Isolé, ces personnages peuvent figurer à l'écran la séduction, la violence effrayante ou la folie qui provoque l'incrédulité. « Forest Whitaker parvient par des moyens proprement physiques et corporels à traduire le côté profondément humain des excès paranoïaques d'un dirigeant solitaire, dont l'unique satisfaction est procurée par l'application de son pouvoir absolu, qu'elle soit bienfaisante ou cruelle. On sait bien que cette folie est universelle, que ce ne sont que les moyens grandis qui lui donnent son ampleur. Les bourreaux veulent être aimés. Idi Amin a besoin de l'amour et de l'admiration de son peuple et de ses proches, ce que Forest Whitaker parvient remarquablement à traduire en incarnant un personnage toujours touchant, même à ses heures les plus terrifiantes.» [1]
L'acteur américain incarne un Catilina captivant les foules, mais aussi un César qui s'est emparé du pouvoir en Ouganda par les armes. L'officier doit tout à son charisme, sans lequel il ne sert plus à rien, en Afrique ou n'importe où ailleurs. Acquise à la naissance, ou née sur le tard grâce au métier des armes, cette force prédispose à la tyrannie. Les Occidentaux depuis peu dégoûtés des uniformes - quelques secondes à l'échelle de l'histoire de l'humanité - saisissent désormais avec difficulté cette réalité. Ceux qui dénoncent dans Le dernier roi d'Ecosse un penchant misérabiliste ou raciste s'aveuglent et s'engagent sur de fausses pistes. On peut se référer au site ouvert en l'honneur du film.
Forest Whitaker - Idi Amin Dada donne à méditer sur les dictateurs en uniforme, sur ceux qui ont sévi dans des pays voisins. Sortant tout juste de la lecture d'un remarquable ouvrage sur le Congo - Kinshasa, il me vient tout naturellement une envie de comparer l'Ougandais à un Zaïrois mort à peu près à la même époque (1997), lui aussi en toute impunité. Mobutu en précède d'autres. Sous-officier formé par l'armée belge, il se retrouve dans l'entourage de Lumumba qu'il trahit dès l'indépendance du Congo-Kinshasa acquise. Mobutu confisque à son profit tous les organes du pouvoir en novembre 1965 et écrase toute résistance institutionnelle. L'élection présidentielle à candidat unique de 1970 asseoit encore son autorité. Mobutu agit en chef de corps, règlant la vie des Congolais comme s'ils étaient les soldats de son régiment. Pour justifier l'écrasement des contestataires, il prétexte des complots. En assimilant toute récrimination à une rébellion, Mobutu applique à la population civile des mesures d'exception caractéristiques d'un temps de guerre qui ne connaît pas d'interruption. Tous les condamnés ou presque proviennent de l'armée [2]
Alors que les FAZ (Forces Armées Zaïroises) bénéficient des sollicitudes du dictateur, elles s'avèrent incapables de réduire les sécessionnistes katangais en 1978. Elles épaulent en revanche les alliés de Mobutu en Angola (Savimbi), au Tchad (Goukouni Oueddei) et surtout au Rwanda. Dans ce dernier, les FAZ combattent le Front Patriotique Rwandais aux côtés de l'armée régulière [2]. Durant la seconde moitié de son règne, Mobutu fait mine de prendre du recul mais continue de se servir dans les caisses de l'Etat. L'instauration d'un ordre nouveau - pompeusement appelé recours à l'authenticité - représente cependant la partie de son action politique à la fois la plus néfaste et la plus durable.
Tout passe au crible de la Zaïrianisation : les toponymes, les prénoms, les appellations civiles, ou encore les vêtements. Tous se plient aux lubies de Mobutu Sese Seko à l'exception peut-être de l'Eglise catholique rétive aux pressions du pouvoir, qui voit son influence décroître au profit de nouvelles religions et sectes. La Zaïrianisation signifie surtout une militarisation de l'économie. L'intensification de l'agriculture traditionnelle et la nationalisation tous azimuts accélèrent la paupérisation du pays [4]. Avec un couteau sous la gorge, le dictateur ne peut repousser dans les années 1980 un retour à l'orthodoxie économique. Le FMI et les puissances occidentales lui accordent à cette occasion un répit. Au printemps 1997, les FAZ s'effacent devant les forces de Laurent-Désiré Kabila étoffées par des unités rwandaises et ougandaises. Les libérateurs pénètrent dans Kinshasa le 16 mai. Le nouveau dirigeant ne dure guère, cependant. Après son assassinat en janvier 2001, son fils officier occupe la place vacante. D'autres attendent désormais leur tour, au premier rang desquels Laurent Nkunda. Décidément, le dernier roi d'Ecosse avait des cousins.
En attendant, les armées présentes dans l'Est de la RDC vivent sur l'habitant et des richesses du sous-sol [source]. Kampala a obtenu de Kinshasa que les troupes ougandaises mènent bataille au sud de la frontière, en territoire congolais [source]. Dans la capitale congolaise, le gouvernement de Joseph Kabila attend de ses émissaires dépêchés à Nairobi qu'ils règlent tous les problèmes du pays. Puisque ceux-ci proviennent exclusivement de l'étranger... [Voir ici et ].

PS./ Geographedumonde sur l'Afrique noire : Le président qui parlait au Soleil.
[1] Anne Clément / Africultures.
[2] Le Congo-Kinshasa / Jean-Jacques Arthur Malu-Malu / Editions Karthala / (2002) / P.177.
[3] « Le premier complot, appelé le complot de la Pentecôte, a lieu en 1966. Il est ourdi par un groupe de responsables de l'armée auquel se sont joints des dignitaires de l'ancien régime, dont Evariste Kimba, Alexandre Mahamba, Jérôme Anany et Emmanuel Bamba. [...] Les quatre hommes sont jugés par un tribunal militaire au cours d'une parodie de procès. Leurs droits, en tant qu'accusés, ne sont pas respectés. Condamnés à mort, ils sont exécutés publiquement par des bourreaux encagoulés. La pendaison a lieu le 2 juin 1966, devant plusieurs milliers de Congolais, agglutinés sur la place La Cité, en plein quartier Dendale (aujourd'hui Kasa-Vubu) au coeur de Kinshasa. [...] En 1968, en effet, un autre complot dit du Kasaï occidental, est découvert. Il est suivi, en 1971 d'un nouveau complot ourdi, selon la version officielle, contre la sûreté de l'Etat. Dans le collimateur du pouvoir se trouvent le général Bangala, Justin-Marie Bomboko et Victor Nendaka. Les trois comploteurs, autrefois proches du président, sont disgraciés. En 1974, accusé d'avoir voulu renverser le régime, Jean de Dieu Kudiakubanza est contraint de lire en public un texte qui semble établir sa culpabilité. [...] Deux ans plus tard, une quarantaine d'officiers sont mêlés à une autre prétendue tentative de coup d'Etat. Quelques-uns d'entre eux, originaires du Kasaï et issus de très bonnes académies militaires étrangères, sont désignés comme meneurs. [...] En 1978, lors d'un autre procès, dix-neuf militaires sont poursuivis pour conspiration. La sanction est terrible. Treize d'entre eux sont condamnés à la peine capitale et exécutés. » / Id. / P.154-155.
[4] « Les réformes entreprises par le régime sont loin de plaire à l'Eglise catholique, plutôt opposée à ces dépouillements. A coups de lettres ouvertes, l'épiscopat émet des réserves sur la tournure que prend la politique de nationalisation. A première vue, le style est poli, le langage sibyllin et les accusations sont plutôt générales. Mais, en lisant entre les lignes, on s'aperçoit que la cible des critiques est le système lui-même. La mesure de nationalisation des écoles religieuses ne manque pas non plus d'inquiéter l'Eglise catholique, qui se déclare préoccupée par la qualité de l'enseignement qui sera dispensé dans les nouveaux établissements publics. Les relations entre le pouvoir et l'Eglise catholique se gâtent, au point que le cardinal Joseph Malula, archevêque de Kinshasa, prend le chemin de l'exil. La suite des événements donnera raison à l'Eglise. Il est maintenant clairement établi que la Zaïrianisation et la radicalisation ont entamé le déclin de l'économie zaïroise, après une courte période de relative prospérité. Mal gérées, systématiquement pillées par leurs dirigeants, les entreprises publiques - étatisées ou nouvellement créées - deviennent davantage des charges pour l'Etat que des sources de revenus. » / Id. / P.172-173.
Incrustation : Mobutu ...

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