mardi 29 juin 2010

Camionnettes mortifères. (De la peine de mort prononcée en Chine contre les responsables du lait contaminé à la mélamine)

En Chine, l'éclatement de l'affaire du lait à la mélamine remonte à la fin de l'été 2008. Sous la pression de gouvernements étrangers - celui de Nouvelle Zélande avant les autres - Pékin admet finalement que soixante neuf produits de l'agroalimentaire chinois contiennent du lait contaminé. La panique s'installe parce que des dizaines de milliers de bébés souffrent d'intoxication. Acheter des produits fabriqués à l'étranger coûte toutefois beaucoup trop cher pour une majorité de Chinois, qui se retrouvent sans alternatives. Le dissident Cai Chongguo en déduit à cette occasion que l'incompréhension et la colère se répandent.
Sanlu, le groupe mis en cause arrive à l'époque en tête des ventes, bénéficiant d'une image de sérieux. Dans ces conditions, la présence de mélamine jette le doute sur bien d'autres produits fabriqués en Chine. La suspicion précède souvent l'opprobre. D'autant que l'explication la plus rationnelle, celle d'ajouts accidentels ne tient pas longtemps. La mélamine a au contraire été incorporée en toute conscience, de façon calculée. L'idée s'impose rapidement d'une combine courante, pratiquée par de nombreux industriels. Ceux-ci cherchaient-ils à gonfler facilement leurs volumes, ou à camoufler des déficiences ? On a appris depuis qu'il s'agissait plutôt de la seconde hypothèse [voir après]. La mélamine utilisée dans la fabrication des colles, résines et engrais présente en effet les caractéristiques d'une protéine [Des enfants uniques confrontés à l'horreur ordinaire]
Le 19 septembre 2008, Cai Chongguo reprend un post traduit du chinois. Il émane d'un employé de laboratoire chinois chargé des contrôles - qualités dans le secteur laitier. Ce dernier conclut ainsi : « Il faut vraiment chercher l’origine quelle que soit la difficulté d’une telle tâche. Selon les habitudes nationales, l’affaire du lait en poudre n’évoluera pas ou alors des départements ne travailleront pas sur l’affaire, ou encore on choisira une victime. Aujourd’hui, la lune est ronde et je suis condamné à ne pas la suivre. Réfléchissons, la vie humaine devrait être respectée et choyée. Je ne sais si la raison repose dans le fait que les Chinois sont trop nombreux ou si la population est trop candide, j’ai toujours l’impression que le destin de la population est détenu par d’autres personnes. »
L'employé de bureau a eu raison, mais en partie seulement. Dans un entrefilet daté du 23 janvier, Le Monde signale en effet que Tian Wenhua, l'ex-patronne de Sanlu, a été jugée coupable dans l'affaire de la mélamine qui a tué six enfants et en a intoxiqué trois cent mille autres. L'information est transmise par l'Agence Chine Nouvelle. Tian Wenhua échappe toutefois à la peine de mort mais terminera sa vie en prison. Trois de ses comparses n'ont pas cette chance. Il reste que l'annonce du verdict ne met pas forcément fin à la polémique née aux lendemains des Jeux Olympiques de 2008. Les autorités font pourtant savoir que les produits agroalimentaires seront désormais mieux contrôlés. Ces premières condamnations donnent également à la population un os à ronger. La propagande officielle cherche à faire passer le message d'un contrôle de la situation et en dernier recours de la punition des coupables. A l'heure où six millions de mingongs en mal d'emploi auraient regagné la campagne, point n'est besoin d'attiser la rancœur populaire... [1] Les entreprises condamnées ont annoncé la création d'un fond d'indemnisation de 160 millions de dollars.
Ces événements méritent d'être replacés dans le contexte de la peine de mort à la chinoise. Dans ce pays, la politique pénale se réduit à une philosophie simpliste, manichéenne - les coupables meurent et les autorités veillent - et anti-humaniste. Les juges chinois distribuent des peines selon une grille d'évaluation préparée à l'avance, mais ne se préoccupent guère de faire émerger une vérité. Les accusés ne bénéficient généralement pas de la protection d'un avocat et doivent accueillir tête baissée le verdict, y compris lorsque l'on annonce leurs exécutions prochaines. La peine de mort frappe des coupables désignés à la vindicte populaire. Ces derniers se transforment alors en boucs émissaires, censés provoquer une satisfaction générale et restaurer en dernier recours l'image de marque des responsables politiques [voir René Girard].
De la part d'autorités qui ne suscitent ni l'adhésion ni le respect, la peine de mort prononcée en cette fin de mois de janvier 2009 témoigne d'une sorte de précipitation. La mélamine a touché en effet des milliers de familles éparpillées sur un territoire grand comme dix-neuf fois la France. D'un autre côté, des dizaines de personnes portent la responsabilité, chacune à son niveau, de cette catastrophe. Ce procès baclé à Shijiazhuang, dans le Hebei (Nord) donnera à certains l'impression que des puissants auront bénéficié d'une certaine clémence, que des subalternes auront payé lourdement à la place d'autres, eux absents à la barre. Et si parmi les futurs suppliciés un innocent se glissait ? Qui sait même si la peine de mort n'approfondit pas le fossé séparant les autorités de leurs administrés ?
Ne doit-on pas interpréter l'apparition de funestes camionnettes comme la preuve d'un retournement de la population et d'une volonté d'exécuter à l'abri des regards [source] ? Ces engins de la mort révèlent un besoin dans les campagnes, soit que l'on peine subitement à recruter des bourreaux loin des villes, soit que le nombre de ruraux condamnés excède les capacités habituelles. Dans cette hypothèse, la peine de mort toucherait de plus en plus les franges de la population hier les plus promptes à défendre le régime en place, à la fois conservatrices et hostiles au monde citadin jugé corrompu et dépravé.
En Chine, bien des actes considérés comme des délits banals ailleurs dans le monde sont passibles de la peine de mort. Citons l'évasion fiscale, le trafic de drogue, la prostitution, mais aussi la vente de peaux de pandas, ou le vol d'animaux (vaches, chevaux, etc.). La loi autorise à la fois les exécutions sans recours, et les exécutions avec sursis destinées aux condamnés non méritants, ceux qui récidivent en prison. Les suppliciés meurent en public, agenouillés, les mains et chevilles attachées, le crâne perforé par une balle tirée derrière la nuque. L'injection létale reste rarement utilisée. On ne sait pas le nombre d'exécutés, parce qu'il s'agit d'un secret d'Etat. D'après plusieurs sources concordantes, les chiffres communiqués sont en deçà des faits (3.000 en 2002). Un minimum de 10.000 exécutions semble davantage coller à la réalité. La peine de mort rentre dans le cadre d'une répression des mouvements religieux et des opposants politiques.
Depuis 2006, quelques évolutions sont à signaler. Sur tout le territoire chinois, les procès se terminant par la prononciation d'une peine de mort ne doivent plus se dérouler à huis clos. Les avocats peuvent plaider et le procès s'effectue avec enregistrement vidéo. Il s'agit d'écarter les soupçons concernant l'utilisation de la torture pour extorquer à l'accusé la reconnaissance de ces fautes, délits et / ou crimes. Les autorités ont en outre institué un examen par la Cour Suprême de la sentence du juge, en cas de peine de capitale : pour ce faire, une centaine de juges supplémentaires assumeront la charge de l'ultime validation. Il n'empêche que l'accroissement des droits de la défense ne vaudra sans doute pas de la même façon pour le pauvre diable et pour le puissant corrompu. En outre, la crainte d'exécutions sur commande plane toujours. En novembre 2006, le vice-ministre de la Santé a récemment avoué lors d'une conférence l'utilisation d'organes de condamnés à mort [source / Voir aussi Chine-informations et la LDH].

PS./ Dernier article de Geographedumonde sur la Chine : Révolution en Chine, le compte à rebours a commencé.


[1] « 6 000 000. C'est le nombre de travailleurs migrants chinois qui sont rentrés dans les campagnes après avoir perdu leur emploi en ville à cause de la crise financière internationale, selon des statistiques révélées jeudi par le gouvernement de la République populaire. Pékin s'est à plusieurs reprises alarmé ces dernières semaines de la situation de l'emploi, notamment celle des travailleurs les plus vulnérables, les ruraux ayant quitté les campagnes pour s'employer dans les régions industrialisées. Ces inquiétudes sont avivées par la brusque décélération de l'économie. Les analystes estiment que le produit intérieur brut doit au moins croître de 8 % par an pour garder le taux d'emploi à un niveau acceptable. » / Le Monde - supplément abonnés '12-15' / jeudi 22 janvier 2009.


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