mardi 29 juin 2010

Petits travers des grands travaux. (Annonces gouvernementales en Europe et en Amérique du Nord pour lutter contre la récession)

Sur le site officiel de l'organisme public (Autorité de la Vallée de la Tennessee / TVA) figurent à la fois l'historique et un bilan actuel de l'activité industrielle : production des barrages, entretien, personnel, etc. Le 18 mai 1933, le président Franklin Roosevelt a fait adopter une loi par le Congrès américain. Celle-ci précise que l'Autorité ad hoc sera « une société dotée d'un pouvoir de gouvernement, mais ayant la flexibilité et la capacité d'initiative d'une entreprise privée ». Les compétences de la TVA sont multiples. Contrairement à l'idée reçue, l'Autorité n'a pas pour seule mission l'hydroélectricité, la TVA recevant la charge de la navigation, du contrôle des inondations, de la lutte contre la malaria, du reboisement ou encore de la surveillance de l'érosion dans le bassin - versant.
On note la diversité des domaines d'intervention. Ceci explique peut-être, sur le site officiel, le choix d'une présentation historique, qui privilégie les améliorations apportées au projet initial, décennie après décennie. Au départ, en 1933, la situation apparaît comme très mauvaise. On peut citer la surexploitation des sols, la faible productivité des exploitations agricoles, l'appauvrissement en espèces végétales des forêts. Après cette date, la TVA s'occupe de l'économie rurale, en finançant l'utilisation d'engrais et le reboisement. Elle agit également dès cette époque dans le domaine environnemental, œuvrant pour le sauvetage de la faune et de la flore menacées. Le public s'attache plutôt à la construction des grands barrages, offrant dans la région des emplois...
Au cours des années 1940, la vallée bénéficie des commandes militaires et en particulier de la demande en aluminium, métal utilisé pour la construction des avions de guerre et dans l'armement. L'armée américaine fait tourner à elle seule une partie des centrales de la Tennessee. Dès avant la fin de la guerre, les ingénieurs lancent douze nouveaux projets de construction, l'ensemble du parc employant à temps plein 28.000 personnes. Dans la décennie suivante, les travaux ralentissent et l'essentiel de la vallée est globalement aménagée sur une longueur de 650 miles, c'est-à-dire un peu plus de 1.000 kilomètres. La Tennessee occupe la première place comme région électrique aux Etats-Unis. Cependant, à peine les grands travaux s'achèvent-ils que la demande électrique impose ailleurs la construction de nouvelles centrales. Des problèmes de financement se posent, parce que la TVA brûle surtout du charbon. En 1959, le Congrès met fin aux aides publiques. L'Autorité doit se résoudre à trouver son propre équilibre financier...
Les années 1960 correspondent à une sorte d'âge d'or. L'électricité garantit dans la vallée un fort taux de croissance tandis que le bilan agricole et environnemental s'améliore. La TVA se diversifie, et décide de se lancer dans le nucléaire. Après 1973 cependant, les coûts de fonctionnement grimpent - multiplication par 5 entre 1970 et 1980 - et la consommation se tasse. L'un amène l'autre. L'Autorité en tire les leçons, renonçant à développer le nucléaire. Dans les années 1980 et 1990, elle mène une politique de réduction des coûts qui provoque une diminution des effectifs. La TVA en sort renforcée, avec plusieurs objectifs pour l'horizon 2020 : lutte contre les polluants aériens (ozone, brouillards de particules), construction d'un nouveau barrage optimisant le système global de retenue d'eau dans la vallée, automatisation des centrales en fonction, mais aussi redémarrage du nucléaire. La mise aux normes des centrales a d'ores et déjà coûté 5,6 milliards de dollars. La TVA occupe encore une place remarquable dans le paysage énergétique nord-américain. Elle vante son efficacité et sa fiabilité. La presse spécialisée lui octroie un satisfecit.
En 2009, la TVA gère un parc de trois centrales nucléaires (30 % de l'électricité produite chaque année), onze centrales thermiques classiques brûlant du charbon ou du gaz (60 %), vingt-neuf barrages hydro-électriques (10 %), et une usine basée sur la géothermie. Seize sites sont voués à l'énergie solaire et un à l'énergie éolienne. La TVA pollue et en même temps lutte contre la pollution. La rivière Tennessee se situe fort éloignée des centres de consommation. Des critiques n'ont pas manqué de s'élever contre la TVA. Certains ont accusé le président Roosevelt d'avoir concurrencé le corps du Génie, ou encore d'avoir favorisé une industrie sans prévoir les retombées négatives. D'autres ont relevé le caractère exceptionnel du contexte, sans lequel les opposants auraient réussi à bloquer le projet parce que coûteux, excessivement centralisé et technocratique, et méprisant les populations. Faute d'avoir convaincu, la TVA n'a guère trouvé d'imitateurs ailleurs. Dès 1936, une coalition de défenseurs de la rivière et de conservateurs a obtenu de limiter les attributions de l'Autorité.
Le futur président Ronald Reagan a en partie bâti sa carrière sur la critique de la TVA. Il est amusant de reprendre les grandes lignes de ses attaques lors de la convention républicaine de 1964. On a voulu contrecarrer les inondations - explique-t-il en substance - mais il existe le corps du Génie pour faire face à une crise. Ronald Reagan ironise sur la menace d'une inondation - présentée en tout cas comme telle - concernant un territoire de 600.000 acres (2.400 km²) tandis que les surfaces finalement sous l'eau à cause des retenues atteignent un million d'acres (4.000 km²). Les intérêts de la dette de la TVA s'élèvent dans les années 1960 à cinq fois les dégâts présumés. Ronald Reagan suggère que les barrages font bien sur les brochures : or 85 % de l'électricité provient des centrales thermiques au charbon ! Sur l'autoroute fluvial, les barges circulent mais l'essentiel des tonnages transportés est charbon destiné à terminer dans les centrales. Le coût d'entretien du système dans son ensemble couvrirait largement le transport du charbon [source]. Barry Goldwater gagne les primaires, mais Ronald Reagan est élu deux ans plus tard gouverneur de Californie.
Deux économistes ont développé récemment une critique plus fondamentale du New Deal. Harold L. Cole et Lee E. Ohanian ont cherché à démontrer que la politique menée à l'époque par l'administration démocrate a prolongé la crise plus qu'elle ne l'a résorbée [Via Objectif-liberté]. Ils visent la loi du 16 juin 1933 qui a encadré la concurrence et fixé les droits des salariés. L'administration fédérale a de ce fait assoupli les règles pesant sur les entreprises, et favorisé une augmentation des salaires de 25 % en moyenne. Les deux économistes ont cependant calculé à partir des statistiques disponibles pour onze branches industrielles que le nombre de chômeurs a par la suite excédé la normale : 25 % au-dessus d'un niveau potentiel (hors intervention de l'Etat), à cause des gains de compétitivité. Les prix élevés dans l'industrie se répercutaient dans le même temps sur les consommateurs, entraînant un recul des achats et une contraction du Produit Intérieur Brut. Dans le domaine de la sidérurgie, la collusion des industriels a fini par alerter les autorités. Sur la période 1935 - 1936, l'acier se vendait aux Etats-Unis 50 % plus cher qu'ailleurs ! Cole et Ohanian relèvent pour finir qu'en 1939, 17,2 % des actifs cherchaient encore un emploi... Mais en omettant d'évoquer la crise de 1938 [voir cette synthèse]. Il reste que cette étude repose sur un postulat intenable : imaginer que l'administration Roosevelt pouvait observer la crise - une déflation sans précédents - sans agir [Econoclaste].
Venons-en à la France de 2009. Le goût pour les grands travaux - si l'on en croit Le Monde daté du 3 février - non seulement ne s'est pas dissipé mais a aussi traversé l'Atlantique. Les grands chantiers commencent dans l'urgence, annonce Claire Guélaud. Le Premier Ministre a communiqué dans la journée la liste des projets gouvernementaux. L'ensemble coûtera un peu plus de onze milliards d'euros. « Ce programme exceptionnel concerne quatre grands domaines : infrastructures et équipements civils (870 millions d'euros), enseignement supérieur et recherche (731 millions), patrimoine (620 millions) ainsi que des dispositifs de soutien à l'investissement (2,5 milliards au titre du Fonds de compensation de la TVA, 8 milliards de prêts sur fonds d'épargne.) »
Offrir des emplois aux régions qui en manquent, sans en négliger une seule, construire tous azimuts tout en respectant les promesses du Grenelle de l'environnement et en assurant que le pays souffre d'un déficit d'infrastructures : le gouvernement jongle avec les paradoxes. La journaliste regrette la place ménagée à la route, rappelant les besoins du réseau ferré : autoroute Lyon - Saint-Etienne (A45), Pau - Langon (A65), Bordeaux - Bayonne (A63), Rouen - Le Havre (A150) et contournement strasbourgeois (A355). Le gouvernement prévoit en outre des subventions au bâtiment (travaux d'isolation thermique, logement social). Mais Claire Guélaud ne s'interroge ni sur les propositions de l'opposition - le PS réclame lui aussi des grands travaux, mais en plus grand nombre - ni surtout sur l'efficacité réelle des grands travaux. A combien s'élèvera la facture ? Quels seront les effets pervers ? [LCI]
Rien n'empêche de s'inquiéter à propos des Petits travers des grands travaux...

PS./ Geographedumonde sur les Etats-Unis [Wild wild Midwest] et sur les réseaux électriques : Après l'Or du Rhin, l'argent des lacs de Saxe.


[1] New Deal Policies and the Persistence of the Great Depression : A General Equilibrium Analysis / Harold L. Cole and Lee E. Ohanian.


Incrustation : Carte de la TVA.

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