mercredi 30 juin 2010

Obama n’est pas Géronte (Des échos d’un nouveau plan américain en Afghanistan)

« Que diable allait-il faire dans cette galère ? » Se lamente Géronte à qui Scapin annonce que son fils a été enlevé par des marins turcs. Le valet prétend qu'en l'absence de rançon, le prisonnier sera envoyé en Alger. Scapin tente en réalité d'arracher de l'or à son maître avare. Il espère qu'un chantage à l'enfant décidera Géronte à desserrer les fils de sa bourse. Le comique naît bien sûr de la répétition de la question par le maître de Scapin. Géronte a perdu soudain contact avec le monde supposé réel. Comme un enfant en pleurs il reste interdit, incapable de surpasser cette difficulté inattendue, et ressasse. « Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? ». Evidemment, on rit aussi d'une vérité crûe. La vraie nature du père ressort. Sa pingrerie tourne à l'obsession. Le ravisseur de son fils somme Géronte de payer cinq cents écus. Il ne s'y résout que contraint et forcé.
Cette scène des Fourberies de Scapin me permet d'introduire un sujet plus grave : la stratégie de l'administration américaine en Afghanistan, un semestre après l'investiture de Barack Obama. Mercredi 2 septembre 2009, la Croix annonce en page 11 que « Les militaires et les experts américains poussent à envoyer plus de troupes en Afghanistan ». Dès l'entame, Gilles Biassette décrit comme acquise la décision d'augmenter le contingent de soldats américains sur place. Introduction rime avec conclusion. Mais il faut moins blâmer le journaliste que les experts sévissant à la Maison Blanche. Dans la deuxième colonne de l'article, on peut lire en effet qu' « A la fin du printemps, Barack Obama avait déjà ordonné l'envoi de 21.000 soldats en renfort, portant le contingent américain à 62.000 hommes. » [Gilles Biassette] Les effectifs du corps expéditionnaire ont gonflé d'un tiers, sans améliorations notables sur le terrain. Les nouvelles d'Afghanistan restent peu encourageantes, la rébellion parvenant même à organiser des attentats en plein Kaboul, la capitale jusque là relativement préservée.
« Pour les experts et pour les militaires, cette approche ne réussira que si les moyens humains et financiers suivent. » Face à un problème rigoureusement inchangé, il convient donc de ne rien changer ! A l'époque de Georges Bush, l'armée américaine montait des opérations visant à affaiblir ponctuellement la rébellion sans occupation des lieux. Cette époque est désormais révolue. Depuis plusieurs mois, les troupes quadrillent le terrain et rentrent en contact avec la population. La nécessité d'identifier clairement un ennemi - accessoire à l'origine - est donc devenue primordiale pour elles. Or les forces hostiles ne portent pas d'uniformes. Elles vont et viennent, se dissimulant dans les villages. Un berger le jour se fait taliban la nuit. Outre la difficulté de cerner les forces hostiles, l'armée américaine doit assumer publiquement ses alliés. On peut les répartir en deux familles : les pro - Occidentaux, laïcs et défenseurs d'un idéal démocratique d'une part, et ceux qui trouvent un intérêt matériel à la présence des forces de l'Otan d'autre part. Je doute que le premier groupe soit majoritaire...
Le général McChrystal a rendu un rapport au président Obama, rapporte Gilles Biassette, dont les grandes lignes ont été reprises par la presse américaine. Il dresse un bilan sombre, mettant en avant la mauvaise image des élites dirigeantes auprès de la population civile, celles justement sur lesquelles les Américains s'appuient pour reconstruire l'Afghanistan. Il y a donc bien une contradiction que l'on peut résumer comme suit. Plus l'occupant s'installe, plus il prend partie entre des factions rivales. Barack Obama se leurre non seulement en voulant pour demain des progrès observables sur une décennie ou plus (le développement, la sécurité), mais également en choisissant d'intensifier la présence militaire américaine en Afghanistan. Cette décision implique d'ores et déjà une alliance avec des élites afghanes déconsidérées. D'après le journaliste de la Croix, le général McChrystal parle explicitement de « la corruption qui règne à Kaboul ».
Il ne faut pas se voiler la face. La montée en puissance du corps expéditionnaire se comprend dans une logique d'occupation du sol et de confrontation avec les talibans. Mais plus l'armée américaine organise de patrouilles sur les routes de montagne ou dans les villages, plus elle s'expose à des embuscades. Comme les bombardements à l'aveugle se poursuivent, la liste des victimes civiles s'allonge tous les jours. Dans ce contexte, qui peut espérer voir la haine des Occidentaux diminuer ? Ce vendredi 4 septembre 2009, une mine a explosé au passage d'un convoi. Dans le véhicule touché, un caporal français a été tué et quatre soldats ont été grièvement blessés. Aux Etats-Unis, le total des pertes en Irak et en Afghanistan se compte par centaines. Jusqu'à quel point la Maison Blanche pourra-t-elle minimiser le bilan humain de l'opération dans les rangs de l'armée américaine (je ne mentionne même pas les pertes civiles sur place) ? A l'époque de l'administration Bush et des néo-conservateurs, le danger de l'enlisement a justement guidé la stratégie : opérations coups de poing, bombardements millimétrés (...), etc.
Personne ne peut raisonnablement contredire les bonnes intentions affichées par la Maison Blanche : la sécurité et la prospérité des civils afghans. En juin, lors de son dernier déplacement au Proche-Orient, le président américain (Obama au Caire) a longuement exprimé son désir de tourner la page de l'administration Bush en renouant avec certaines élites intellectuelles du monde arabo-musulman. McChrystal plaide donc pour l'envoi de 40.000 hommes supplémentaires. Personne ne peut dire que cette décision permettra de renverser la situation en faveur de l'Otan et du pouvoir légal. Reste le nerf de la guerre. Pour accomplir sa nouvelle mission en Afghanistan, l'armée américaine s'apprête à consacrer des dizaines de milliards de dollars supplémentaires. Obama n'étant pas Géronte, il ne regardera pas à la dépense...
C'est néanmoins faire peu de cas des réalités économiques. Certes l'endettement public américain est modéré, mais l'Etat doit faire face à des dépenses imprévues (aides aux banques, aux industries, progression du chômage, aides aux Etats, universités, etc.) tandis que ses recettes flanchent. La menace d'une forte inflation ne semble en outre pas tout à fait exclue, si l'on en croit Ian Campbell dans les colonnes du Monde (Aux Etats-Unis, la croissance revient... et avec elle l'inflation). Depuis la fin de l'année 2008, la Réserve Fédérale a en effet prêté aux banques américaines comme jamais auparavant. Le président Obama imagine t-il vraiment disposer des budgets pour arriver à ses fins ? N'est-il pas plutôt pris au piège par un argument prononcé lors de la dernière campagne présidentielle ?
L'Afghanistan version Obama illustre à mon sens le caractère profondément pernicieux de la communication en politique ; de fait, l'argument (retrait d'Irak, et investissement en Afghanistan) privait McCain d'une attaque traditionnellement formulée par les conservateurs à propos du pacifisme bêlant des démocrates. Obama une fois élu disposait cependant d'un droit - plus, d'un devoir - d'inventaire. Rien ne l'obligeait à adopter une stratégie de renforcement en Afghanistan. C'est là une autre source d'enseignement. Je gage en effet que le président de la première puissance économique et militaire de la planète a prêté une oreille trop attentative et insuffisamment critique aux experts. Consultés une première fois, ceux-ci pouvaient-ils se dédire ? La générosité ne suffit pas en politique. Ne l'ignorent que les sots. Scapin pose au fond la seule vraie question : « Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? »

PS. / Geographedumonde sur l’Afghanistan : Drone de guerre.
PS. (bis) / Geographedumonde sur les théories géostratégiques : Obama au Caire.
Incrustation : Les Fourberies de Scapin.

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