mardi 29 juin 2010

Le Pacifique, frontière indépassable. (De la crise sans précédent traversée par la Californie)

Alors que les têtes se tournent vers d'autres horizons, les médias français n'accordent qu'un intérêt mineur à la situation économique de la Californie. Les Américains ont élu le meilleur président possible. General Motors a perdu de sa superbe mais bénéficiera d'une nationalisation - démantèlement. Les signes de reprise, comme la végétation luxuriante autour de Tchernobyl, annoncent un printemps éternel. Que pourrait-il arriver désormais de désagréable ? Time prend à contrepied ces sérénades lénifiantes entendues également ici ou là en Europe. Le journaliste Kevin O'Leary s'interroge sur les conclusions tirées par l'administration Obama de la déroute financière du Golden State : « Les Etats-Unis doivent-ils rester sourds aux maux de la Californie ? »
Même s'il commence par le portrait d'un jeune chômeur latino ayant charge d'âmes et survivant grâce aux aides publiques, le journaliste du Time s'emploie à dresser un bilan à la fois général et précis des menaces pesant sur l'Etat de Californie. Il veut parler d'un cas parmi 154.000, pour montrer à ses lecteurs qu'il ne s'agit pas d'un problème macro-économique virtuel. Les décisions du gouverneur retombent en pluie fine sur ses administrés. En résumé, les banques ne souhaitent prêter à l'Etat de Californie qu'avec un fort taux d'intérêt. Les recettes diminuent, et les dépenses progressent. Arnold Schwarzenegger a donc proposé de mettre en corrélation les secondes avec les premières. Pour cela, il évoque l'arrêt du versement des aides sociales, qui maintiennent tant bien que mal 500.000 Californiens la tête hors de l'eau... Dans la huitième économie du monde, rien ne va plus.
« Comme ses électeurs ont refusé un premier plan de réajustement budgétaire, le gouverneur a annoncé vouloir diminuer brutalement les dépenses de l'Etat, au risque de le précipiter dans le Tiers-Monde : les aides sociales s'arrêteraient, tout comme la gratuité des soins pour un million d'enfants défavorisés, les bourses pour élèves brillants et méritants, les prisonniers non-violents pourraient recouvrer la liberté, des centaines de parcs publics fermeraient et des milliers d'enseignants ne toucheraient plus leurs salaires. [(1)...] Alors que son budget accuse un déficit de 25 milliards de dollars et qu'une cessation de paiement se profile dès le mois de juillet, l'Etat de Californie risque la banqueroute, avec des réactions en chaîne sur l'activité économique et sur le budget fédéral. Il ne faut pas attendre une augmentation des impôts, celle-ci ayant d'ores et déjà été prévue dans le plan de sauvetage voté par les démocrates en février [(2)...] »
Tout cela rentre dans le cadre d'une campagne d'intimidation vis-à-vis de l'administration fédérale, qui pour l'heure ne s'en laisse pas compter. En Californie, on dramatise sans doute un peu, et on fait le parallèle avec les grands noms de la banque ou de l'assurance auxquels l'Etat fédéral a prêté des sommes astronomiques : trop gros pour disparaître... Sur place, beaucoup attendent du président des Etats-Unis l'annonce d'un sauvetage fédéral. Or celle-ci se fait attendre. Washington craint visiblement d'ouvrir une brèche dans laquelle s'engouffreraient d'autres Etats mal gérés ; encore faudrait-il prouver qu'il y a eu mauvaise gestion. Qui sait si l'on ne s'y réjouit pas in petto de voir mariner dans leurs problèmes ces Californiens arrogants, et facilement frondeurs ? Peut-être même faut-il voir dans ce silence fédéral, l'expression d'une réprobation morale vis-à-vis d'une Amérique souvent taxée de permissive, voire de marginale ?
Dans ce jeu de poker menteur, l'administration Obama prend plusieurs risques. Localement, elle donne des munitions à ceux qui en Californie s'estiment citoyens d'une autre Amérique, en rupture avec la précédente ; pas seulement par l'importance des hispanophones. Ainsi que le remarque Kevin O'Leary, l'administration Obama prend surtout le risque d'une dévalorisation de la dette américaine par ricochet avec la dette californienne, juste au moment où un grand créditeur de l'Amérique, la Banque d'Etat chinoise s'interroge publiquement sur la nécessaire diversification de ses investissements à l'étranger.
Dans l'article de Time, l'allusion à la grande crise des années 1930 renvoie en outre aux fondements géographiques des Etats-Unis, nés d'abord de la traversée de l'Atlantique par les puritains anglais ('Le Nouveau Monde', comme une ode à l'Ancien Monde). La crise économique de 1810 - 1820 provoquée par la fin des guerres de l'Empire français et la guerre maritime avec l'Angleterre a correspondu à une sortie des limites des Treize colonies. Les Américains franchissent les Appalaches, empruntent l'Hudson et la Mohawk en direction du Saint-Laurent et des Grands Lacs. La crise de 1857 suivie par la guerre de Sécession (1861 - 1865) a ensuite donné un coup de fouet à l'étalement des colons européens dans les Grandes Plaines et a accéléré le franchissement du Mississippi. De la fin de la Première guerre mondiale à la crise de 1929, avec un rebond après 1945, la Californie a constitué enfin un nouvel eldorado pour une Amérique sans cesse en déclin, et toujours renaissante. Je résume là à grands traits le thème ultra classique de la frontière repoussée vers l'Ouest. S'essoufflant à un endroit, l'Amérique repartait plus fort à un autre.
Rien ne permet de prédire l'avenir de la Californie, même si l'inquiétude l'emporte sur la sérénité. Il n'en demeure pas moins que le budget de l'Etat révèle une reprise du mouvement perpétuel. Tant pis pour le passé, je vais refaire ma vie ailleurs. Des Californiens quittent leur Etat, et disparaissent en tant que contributeurs au budget : dans quelles proportions ? Seule la chute des recettes fiscales permet d'en donner la mesure. Où partent-ils, faute de pouvoir repousser vers l'Ouest une nouvelle fois la frontière ? Kennedy imaginait la conquête spatiale comme une sorte de substitution. Il y a près de cinquante ans, il prenait acte du caractère indépassable du Pacifique.
De juillet 2007 à juillet 2008, le solde migratoire de l'Etat de Californie a enregistré un déficit de 144.000 personnes, ce que l'on avait pas observé depuis le début des années 1990 (LA Times). L'administration du Trésor de Californie note que le phénomène a commencé il y a plus de quatre ans, au plus haut des prix de l'immobilier, avant même le déclenchement de la crise (Dallas Morning News). Les déçus se comptent par milliers (Denver post). D'après l'Orange County's Register, les partants choisissent surtout le Texas, l'Etat de Washington, l'Oregon et l'Ohio. Certains franchissent le Pacifique, peut-être en direction de l'Australie et la Nouvelle-Zélande, en quête d'un climat jugé proche de celui de la Californie. La majorité traversent les Rocheuses et replongent dans la Vieille Amérique. Resteront les plus pauvres, et ceux qui ont trop à perdre (biens immobiliers, entreprises, etc.). National Bubble donne une petite idée de l'exaspération des candidats au déménagement. Cela n'augure rien de bon dans l'Etat de Californie, de part et d'autre de la frontière.

PS./ Geographedumonde sur la Californie. Utopie en tâche.


[1] « After voters rejected a slew of convoluted budget-balancing measures, the governor has proposed cuts to programs that would make California more like a struggling Third World state than 21st century America: welfare subsistence benefits would end, 1 million poor children would lose health care, college aid for the state's best and brightest would be phased out, nonviolent prisoners would be released, hundreds of state parks would be shuttered, and thousands of teachers would lose their jobs » / Time.
[2] « After voters rejected a slew of convoluted budget-balancing measures, the governor has proposed cuts to programs that would make California more like a struggling Third World state than 21st century America: welfare subsistence benefits would end, 1 million poor children would lose health care, college aid for the state's best and brightest would be phased out, nonviolent prisoners would be released, hundreds of state parks would be shuttered, and thousands of teachers would lose their jobs » / Time.


Incrustation : flovoyages.chez.com

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