dimanche 27 juin 2010

Facture salée pour sucrer les fraises. (Des dépenses liées à la grande dépendance)

Les Sud-Coréens en pincent pour les centenaires cadurciens, si l'on en croit la Dépêche du Midi Une équipe de la chaine de télévision Channel Korea s'est rendue il y a peu à Cahors pour filmer des Français nés avant la Première guerre mondiale. Les Sud-Coréens ont jeté leur dévolu sur la préfecture du Lot, un département soudain paré de toutes les vertus parce qu'y résident de nombreux centenaires. Ancienne standardiste âgée de 101 ans, leur principale interlocutrice leur a raconté comment elle arrivait à boucler son emploi du temps. Lui ont-ils soutiré une quelconque confidence ? Les centenaires ne dissimulent généralement aucun secret, et ne savent pas pourquoi ils ont survécu à la disparition de leur génération. Les Sud-Coréens ne se sont pas découragés, et ont enquêté sur les à-côtés : « ils ont voulu comprendre notre système d'accueil des personnes dépendantes, des valides, l'alimentation, les activités » précise fièrement la responsable du CCAS.
Comme pour faire la réclame, elle ajoute que les pensionnaires prennent des repas équilibrés, qu'ils ne restent pas assis dans leurs fauteuils à longueur de journée, et qu'ils profitent des animations et loisirs organisés. A Cahors, personne n'a trouvé la fontaine de jouvence. Les centenaires apprécient-ils leur situation ? La question demeure en suspens. L'âge canonique renvoie au sacré, pousse au respect. Il cloue les langues et restreint à tort la perspective sur la seule performance physique et biologique. Je gage personnellement que les centenaires ne s'amusent pas tous les jours et qu'ils souffrent d'incompréhension. Qu'ont en commun une personne ayant transféré les appels téléphoniques à l'époque des dinosaures et un Asiatique vivant l'oreille collée à un téléphone Samsung ou LG ? Un centenaire éprouve t-il toujours du plaisir à raconter ses souvenirs, alors que ses interlocuteurs ignorent tout de ce qui précède l'arrivée de Patrick Poivre d'Arvor au journal télévisé de TF1, et n'imaginent pas le monde d'avant l'électricité, l'électroménager, ou les voitures ? Il se distrait grâce aux visites, mais ses plus proches parents sont retraités, pas toujours en bonne forme physique. Dans la vie de tous les jours, il dépend plus ou moins complètement d'aides extérieures.
Le journaliste Michel Waintrop a ainsi réalisé un dossier pour le journal La Croix du 9 juin dernier. Il prend complètement à contre-pied le biais précédent – les centenaires, c'est super – pour en adopter un autre, aussi caricatural. Interrogeant des témoins supportant des personnes (plus) âgées et (très) dépendantes, il brosse un tableau qui exclut bizarrement les principales intéressées : les personnes à charge, quelle charge ! Sur huit colonnes, le lecteur passe d'une situation épineuse à une autre, navigue dans un océan de détresse. Michel Waintrop esquisse par touches successives le portrait-type de la victime qui n'ose pas complètement se dévoiler, reconnaître que tel proche vit trop longtemps. On entraperçoit l'impotence, la sénilité, la démence ou l'agressivité à travers le récit du fils, de la fille ou de la belle-fille. Qui souffre le plus ?
Michel Waintrop s'intéresse aux proches, à ceux qui payent. Tous se soucient du prix du placement en institution, qui obère leurs budgets. L'un doit compter sans son frère chômeur pour régler la note, l'autre se résout à vendre les biens de sa mère entrée en maison de retraite. Un certain nombre complètent la pension ou la retraite de leurs parents, parce qu'elles ne couvrent pas intégralement les dépenses engagées. Une seule personne interrogée ose toutefois crûment la question : « Même si les enfants doivent aider leurs parents dans une certaine mesure, pourquoi la solidarité nationale ne les prend pas en charge à la vieillesse ? »
Interrogée par le journaliste de La Croix, la présidente de la Fédération Nationale des Personnes Âgées et de leurs Familles (Fnapaef) montre peu de complexes. Elle se félicite certes de l'annonce gouvernementale officialisant l'aide à la perte d'autonomie en tant que cinquième risque. Par cette disposition, les plus de 60 ans bénéficieront à l'avenir des mêmes avantages que les plus jeunes, jusque là bien mieux couverts parce qu'encore actifs. Mais Joëlle Le Gall récuse toute idée de conditionnement de l'aide par rapport aux ressources ou au patrimoine. Au prétexte que les classes moyennes ne bénéficient pas des exonérations prévues pour les plus modestes, et qu'elles ne disposent pas de l'aisance financière des plus riches, elle réclame le versement d'une aide sans contrepartie, qui laisserait inentamée la succession.
La présidente de la Fnapaef se déclare en outre opposée à l'intervention de sociétés privées, au motif que les assureurs en profiteraient pour s'enrichir. En 1993, la suppression du monopole sur les pompes funèbres avait ainsi provoqué de vives contestations. En 2008, les conditions d'une concurrence réelle ne sont pas partout réunies. Nul n'a en outre observé un effondrement du prix des obsèques. Mais la principale société privée offre des prix visiblement plus attractifs. Sur la musique de l'Etat paiera, Joëlle Le Gall réclame un financement par le biais de l'impôt, qui placerait sur un pied d'égalité prévoyants et imprévoyants, ceux qui ont épargné et ceux qui ont dépensé. Doit-on pourtant crier à l'outrage parce qu'un patrimoine sert d'abord à éponger l'ardoise ouverte par un grand dépendant ? Compte tenu de la croissance moyenne des prix de l'immobilier en France (+ 146 % entre 1996 et 2007 / source), la vente d'une maison au plus haut du marché, telle qu'évoquée par les témoins de Michel Waintrop ne devrait guère susciter de commentaires apitoyés. A l'échelle de la nation, les mises en vente de ce type conduiront à un tassement général des prix dont ne peuvent que se féliciter tous ceux qui aspirent à acheter leur maison ou leur appartement, en particulier ceux issus de la fameuse classe moyenne.
L'aide à la perte d'autonomie risque fort de rencontrer des difficultés : pourquoi les cotisations 'perte d'autonomie' couvriraient-elles les dépenses, alors que - par exemple - la branche maladie connaît un déficit chronique ? La présidente de la Fnapaef se tait sur ce point, mais le financement public incitera le grand public à se désintéresser encore plus du cinquième risque, ce qu'elle déplore d'ores et déjà sans relier les causes et les effets. Pourquoi cherche t-on en outre à généraliser un système qui présente deux défauts majeurs. Le déficit de lits atteint de telles proportions que dans certains départements, il faut attendre plusieurs mois pour obtenir une place [1]. Celle-ci coûte très cher, comme l'illustrent les différents témoignages recueillis par Michel Waintrop : une place dans un Etablissement d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (Ehpad) coûte en moyenne 2.000 euros, un père atteint d'Alzheimer paye 2.300 euros par mois. Selon les cas, le prix demandé par les maisons de retraite varie entre 1.450 et 1.700 euros par mois, sans médicalisation, facture salée pour sucrer des fraises.
Les montants frappent d'autant plus que la moyenne des retraites en France est de 1.100 euros. La facture contraste avec des besoins a priori réduits à la location d'une chambre exigüe, à deux repas quotidiens, à une place assise dans une salle commune devant la télévision allumée, et à un hall décoré de bacs pleins de fleurs en plastique pour faire les cents pas lors des visites. On observe là, selon toutes vraisemblances, les conséquences d'une faible concurrence entre établissements, corroborée par la longueur des listes d'attente, ainsi que la répercussion des charges salariales. Le coût de la main d'oeuvre travaillant dans les maisons de retraite ou dans des établissements plus spécialisés – je ne parle toujours que des maisons non médicalisées – pèse lourd également et renvoie à une autre question, celle des politiques migratoires.
En Norvège, on exporte une partie de la prise en charge dans le sud de l'Espagne... Rien ne laisse présager semblable révolution en France. Les positions de principe priment sur le pragmatisme : refus des sociétés privées, et requête ininterrompue de subsides publiques. La générosité instituée cohabite avec une ignorance des modes de financements : ni les conseillers généraux, ni le président de la République ne parlent des sujets qui fâchent. Au pays des centenaires heureux, on ne parle pas d'argent...

PS./ Geographedumonde sur la prise en charge des handicapés [Au pays des illusions] , et sur le vieillissement : Banquiers, dormez inquiets !

[1] « 'D’un département à l’autre, on peut attendre de six mois à deux ans', reconnaît Pascal Champvert, directeur de l’Association des directeurs au service des personnes âgées. 'Il y a cinq ans, nous disions qu’il fallait créer 40 000 lits. On en a réalisé à peine 15 000'. » / Michel Waintrop.

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