mardi 29 juin 2010

L’Afrique est dans l’attente. Les Franciliens aussi. (Des discussions autour d’une ligne de métro banlieue - banlieue)

Grâce au Monde daté du 14 mars 2009, on apprend qu'une tragédie se prépare au sud du Sahara. L'Ecole Africaine des Métiers de l'Architecture et de l'Urbanisme (Eamau) installée à Lomé ne fonctionne plus normalement, si l'on en croit Grégoire Allix. Des grévistes ont paralysé l'institution durant une partie de l'hiver. Les étudiants s'insurgeaient contre le délabrement des locaux, le manque de lits dans la résidence universitaire, l'insécurité du quartier autour des bâtiments, et les budgets aléatoires.
Les grandes villes africaines gonflent à vive allure, la population urbaine du continent (350 millions) triplant d'ici à 2050 (1,2 milliards projetés). 600 étudiants de l'Eamau opèrent déjà sur le terrain, en particulier à Cotonou et Ouagadougou. Lomé se dispense néanmoins de leurs bons offices. Mais le directeur du développement et de la recherche de l'Eamau se montre confiant : « Le programme met l'accent sur le tissu urbain existant, l'autoconstruction. On enseigne comment donner le meilleur de l'urbanisme quand n'existent ni voies bitumées ni réseau d'assainissement » Il gagnerait à rappeler que la seule donnée invariante d'une ville est sa trame urbaine.
Un bidonville se forme lorsqu'une autorité municipale se désintéresse d'une parcelle de terrain restée libre parce que trop en retrait, sur un terrain pentu, au-dessus des égouts, à côté d'une autoroute, d'une voie ferrée, d'une décharge ou d'un aéroport. Le bidonville perdure, sauf en cas de percement de nouvelles rues. La conséquence de celles-ci est l'installation de canalisations pour les eaux usées, de cables pour le téléphone ou l'électricité. Pour cela, il faut de l'argent. Selon un scénario idéal mais rare, les habitants de la cité paient des impôts, et les sommes recoltées ne servent ni à enrichir un responsable, ni à financer un parti politique. L'Afrique illustre une situation bien connue en Europe.
Jamais les pays occidentaux n'ont disposé d'autant d'architectes - urbanistes, et rarement leurs tâches urbaines n'ont montré aussi peu d'organisation et de cohérence paysagère. A t-on jamais autant gaspillé d'énergie pour le fonctionnement des agglomérations? Cette pente fatale, cautionnée par l'expert (urbaniste - architecte) et par l'ingénieur court à travers toute l'histoire de la France de l'après-guerre.... « Nous pensons que former des urbanistes peut aider à réduire la pauvreté en Afrique : les revenus des habitants des villes chutent à cause du coût trop élevé des logements et des services urbains mal conçus ». Espérons que cette affirmation du responsable du Centre de recherche sur la ville africaine a été mal retranscrite.
Car l'exode rural témoigne d'une réalité assez prosaïque. Un néo-citadin africain gagne en moyenne mieux sa vie et moins péniblement que s'il restait à la campagne. Pour être plus exact, il se persuade - parfois peut-être à tort - de cette amélioration, parce qu'il calcule son salaire à l'aide d'espèces sonnantes et trébuchantes, et non en kilogrammes de mil ou de matières premières agricoles. Le directeur général de l'Eamau interviewé par Grégoire Allix confirme toutefois l'impression précédente, mélange de déterminisme qui ne s'affirme pas comme tel, et de sophisme : « Les bureaux resteront des bureaux comme partout dans le monde. Mais nous allons voir émerger dans l'habitat une nouvelle architecture tropicale. Les Africains ne sont pas prêts à vivre dans des tours, le rapport à la terre est trop important. » [1]
En résumé, les apprentis - urbanistes sortent de l'Ecole au rythme du compte-goutte, tandis que dans les métropoles africaines, tout manque. L'Afrique est dans l'attente. Dans le même temps, à Paris, les urbanistes les plus en vue du moment s'unissent comme un seul homme pour contrarier les projets du représentant du gouvernement chargé de l'avenir du Grand Paris. Il porte le titre officiel de secrétaire d'Etat à la région capitale. Christian Blanc présentait début mars devant l'aréopage réuni à Clairfontaine un plan pour un métro de 140 kilomètres en grande couronne. Attendant sans doute l'assentiment de quelques uns, il a soulevé contre lui une vague d'hostilité : c'est en tout cas l'impression qui se dégage de l'article de Béatrice Jérôme. On peut s'interroger sur la rapidité avec laquelle l'avant-projet a été aussi vite récupéré par la presse. Un participant à la réunion, aussi indiscret que désireux de tout pétarder, n'aurait pas agi différemment !
Jean Nouvel, Christian de Portzamparc, Roland Castro ou David Mangin refusent tout net le creusement de la ligne de métro. La main sur le cœur, ils plaident pour les transports en commun à l'air libre. Parce qu'un projet souterrain fait l'économie de leurs services ? Que nenni [2]. « Les citoyens devraient être désormais à moins d'une demie heure d'un point du Grand Paris à l'autre » (Jean Nouvel). « C'est une hérésie de vouloir faire des métros en tunnel quand on peut se déplacer à l'air libre. » (Michel Cantal-Dupart). « Pour se sentir appartenir à une métropole, il faut pouvoir la découvrir quand on la traverse. » (Jean-Marie Duthilleul). En les entendant, les Franciliens balanceront entre l'éclat de rire et les poings serrés. Qu'ils prennent cependant leur mal en patience les docteurs Knock ont rendu leur diagnostic.
Il convient de ne rien construire de nouveau, mais au contraire d' « accélérer les fréquences, augmenter les cadences et développer les dessertes le long des axes déjà tracés. » Mais que n'y avait-on pas pensé plus tôt ?! Ces fainéants de la RATP n'ont qu'à bien se tenir [Pas de hasards à Saint-Lazare]. Les usagers déjà rassurés par le service métro - RER en temps normal (...) se réjouissent à l'avance. Je persifle ? Certains architectes se fendent de propositions à ne pas repousser du coude. L'un a soudain découvert que le réseau étoilé a un avantage et un inconvénient (convergence sur un point, Chatelet - les Halles). L'autre souhaite une construction d'un métro à la surface, au-dessus du périphérique. A la seule annonce du début des travaux, l'auteur de cette brillante idée devra je le crains abandonner tout espoir de vivre en Île-de-France, sous peine de finir lynché par des automobilistes empruntant chaque jour ces voies totalement surchargées. Un dernier opterait bien pour un tramway [3] mais reste discret sur les croisements avec les routes et autoroutes. Justifiant l'existant, même lorsqu'il ne fonctionne visiblement pas, tous veulent « des 'autoroutes apaisées' sur lesquelles le trafic serait régulé à l'aide de nouveaux péages ; avec des files dédiées au covoiturage, aux deux roues ou aux taxis. »
La conclusion impose un peu de sérieux. Christian Blanc propose une ligne souterraine longue de 140 kilomètres, distante d'une dizaine de kilomètres de Paris, avec une soixantaine de stations. Contrairement à ce que disent ses contradicteurs, il y a là un projet digne de ce nom. Un métro réunissant les communes de la petite (grande ?) Couronne poserait la question de la densification du tissu urbain proche de Paris, pour l'heure dominé par le pavillon de banlieue. Cette ligne banlieue - banlieue lèverait certains obstacles à l'élargissement des limites communales de la capitale, surtout si les contribuables parisiens acceptaient de mettre la main à la poche pour financer un projet propre à désengorger les lignes intra muros. Un peu plus d'un siècle après l'inauguration du premier métro, il y aurait un symbole fédérateur d'énergie. Les tunneliers creuseraient de surcroît le sous-sol sans perturber la circulation de surface. Les mairies d'arrondissements périphériques prévoient d'ores et déjà d'aménager des dizaines d'hectares en bordure de Paris (Grand Plan de Renouvellement Urbain). Un quartier se développe actuellement dans le nord du XVIIIème arrondissement, baptisé Porte des Poissonniers, qui regroupera à terme des immeubles pour étudiants, des immeubles d'habitation, une crèche et des commerces... [4]
Au fond, le seul défaut du projet de Christian Blanc est son prix. Pour réduire le montant estimé à quatorze milliards d'euros, il faudrait tracer un trajet plus proche de la commune de Paris. Mathématiquement, il suffit de diminuer le rayon pour réduire la circonférence du cercle tracé. Le calcul tient dans la formule 2 x Pi x R. A l'issue des débats, les élus risquent de toutes façons de faire primer les intérêts particuliers sur le bien général. Et les Franciliens s'empêtreront encore dans leurs bouchons quotidiens, dans l'attente d'un avenir radieux...

PS./ Geographedumonde sur Paris : Le fantôme des Tuileries.
[1] Pour M. Nda N'Guessan, « il ne faut pas traiter les projets urbains en Afrique uniquement sous l'axe technique, mais aussi dans leurs dimensions sociale et culturelle. Les acteurs de l'aide au développement courent à l'échec en appliquant les modèles occidentaux. Nous formons des professionnels à atteindre les mêmes objectifs, mais dans un contexte de fort analphabétisme, de faibles ressources, de prédominance des rapports interpersonnels. » / Confrontée à l'explosion des villes, l'Afrique peine à former ses urbanistes / Le Monde / 14 mars 2009 / Grégoire Allix.
[2] « La rocade imaginée par M. Blanc desservirait les futurs grands pôles économiques de la région. 'Blanc nous a expliqué qu'en passant en souterrain, il éviterait les procédures d'enquête publique qui allongent les délais de réalisation. Il éviterait aussi les grèves puisque son métro automatique serait sans conducteur', résume l'un des participants au séminaire. » / Grand Paris : la rocade souterraine de Christian Blanc est contestée par les architectes / Le Monde / 17 mars 2009 / Grégoire Allix.
[3] « Christian de Portzamparc défend l'idée d'un 'annulaire rapide de 35 km et de 22 stations au-dessus du périphérique'. L'équipe de l'architecte Yves Lion, associé à David Mangin et François Leclercq, milite pour des métros aériens le long de l'autoroute A86. Roland Castro propose trois nouvelles lignes de tramways autour de Paris. M. Duthilleul a dessiné de nouvelles connexions du métro parisien au RER et au TGV, afin que 'la station Châtelet ne soit plus le point de passage quasi obligatoire pour aller d'un point à l'autre de la région' » / Grand Paris : la rocade souterraine de Christian Blanc est contestée par les architectes / Le Monde / 17 mars 2009 / Grégoire Allix.
[4] Une résidence étudiante de 250 chambres, 200 logements destinés à divers publics (loyers aidés, accession à la propriété,…) une crèche de 60 berceaux, des commerces et un hôtel d’activités de 10 000 m2. Ce quartier se développera encore dans quelques années avec l’aménagement, au 80 boulevard Ney, des 2 hectares de terrains appartenant au Ministère de la Défense. in GPRU Portes de Clignancourt - Quartier Porte des Poissonniers.
Incrustation : projets urbains.

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