mardi 29 juin 2010

Certaines catastrophes prennent corps en silence... (Du séisme de l'Aquila et des risques naturels en France)

Les Apennins centrales viennent de trembler. Les Italiens pleurent des dizaines de morts, et les médias couvrent la catastrophe. En France, dès le lendemain du sinistre, la nature ayant repris ses droits (…), nos journaux traitent distraitement de l’événement. Une ville moyenne - L’Aquila - à moitié rasée, et la région des Abruzzes durement touchée ? Tout cela se passe de l’autre côté des Alpes. Je rends grâce à La Croix de se distinguer de ses concurrents. Evidemment, l’hebdomadaire catholique a l’avantage, par rapport à ses confrères, de maintenir à l’année une équipe à Rome, distante d’à peine cent-cinquante kilomètres. Isabelle de Gaulmyn et Anne Le Nir ne communiquent toutefois pas l’information géologique primordiale, la faible profondeur du foyer interne, autrement appelé hypocentre. L’Institut de Géophysique du Globe de Paris le situe à moins de dix kilomètres de la surface. Cette faible épaisseur géologique a donné un matelas particulièrement mince pour atténuer la puissance des ondes sismiques ; d’où l’ampleur des dégâts.
Les deux journalistes remarquent que les bâtiments modernes n’ont pas mieux résisté aux tremblements de la terre, même si le centre historique semble particulièrement endommagé. Elles évoquent les enfants ensevelis sous les décombres, parce que cela soulève l’émotion, sans doute. Cela étant, une part plus notable des personnes décédées devaient appartenir au troisième âge, comme le sous-entend l’allusion à des villages reculés : ici comme ailleurs, la montagne méditerranéenne n’accueille à la morte saison que des vieux. « Et dans un rayon de 30 km, au moins dix hameaux ont été rasés, dont celui d’Onna, qui compte 50 morts pour 400 habitants. Lundi, les ruines semblaient avoir été provoquées par des bombardements. » [1] Le 9 avril, le communiqué officiel évoque 260 morts, parmi lesquels seize enfants, c’est-à-dire 6 % du total…
On ne nous épargne rien de l’héroïsme des secouristes, habitants des lieux ou étrangers à la région dépêchés sur place. Isabelle de Gaulmyn et Anne Le Nir constatent que la population sinistrée s’est dans un premier temps débrouillée avec les moyens du bord. Elles ne relatent pas la discrétion de l’armée, notant seulement que les Italiens n’attendent rien de l’Etat. Mais les bâtiments publics modernes n’ont même pas été construits aux normes parasismiques : comment avoir confiance dans ces conditions ! Silvio Berlusconi n’a pu ainsi donner sa conférence de presse dans la préfecture… Je passe les clichés sur les rugbymen déblayant à mains nues les gravats, et la population « habituée aux travaux durs, soudée par un exemplaire sens de la chrétienté et de la famille. Dès 3 h 35 mn, on a vu des hommes aux cheveux gris accompagnés de leurs fils, petits-fils ou neveux qui se sont mis à gratter inlassablement dans les décombres, avec pour seuls outils, leurs mains, leurs muscles et leur volonté farouche de trouver des survivants. » En Italie, les vieux donnent peut-être l’exemple. Mais ils sont surtout plus nombreux qu’ailleurs. Facilement anticléricaux lorsque le temps est au beau fixe, les Italiens se souviennent en réalité de l’Eglise, celle du bon secours en temps opportun.
En résumé, tout porte les Français à se sentir proches de leurs voisins. Rien n’y fait cependant : l’Italie semble même assez lointaine. Le 9 avril, Anne Le Nir enfonce le clou : Dans les Abruzzes, les normes antisismiques sont peu appliquées, explique t’elle. Plusieurs lois et décrets récents fixent en effet des normes précises aux entreprises du bâtiment, depuis 1997 (après le séisme en Ombrie) et 2002 (après celui dans le Molise). Ainsi, en Italie, les textes existent mais restent lettre morte : au contraire de la France, bien sûr (…). Le directeur de l’Institut national de Géophysique et de Vulcanologie en rajoute dans la flagellation. Il voit dans la catastrophe de L’Aquila un nouvel indice de l’obscurantisme anti-scientifique de ses concitoyens, et de la défaillance de l’Etat, inapte à faire appliquer les normes officielles. Mais sa thèse s’affaiblit au regard de l’importance du patrimoine historique et de la médiocre résistance des bâtiments modernes : « Le cas de l’hôpital San Salvatore de L’Aquila qui, après s’être partiellement effondré, a dû être évacué, reflète l’incurie des constructeurs et des organismes de contrôle. Inauguré en 1999, il a été construit sans prendre en compte tous les risques sismiques et construit avec du ciment de mauvaise qualité et des poutrelles métalliques inadaptées. »
L’an passé, j’exposai dans Salade niçoise sauce citron les risques sismiques dans les Alpes Maritimes, et n’y reviendrai donc pas. Allons donc plus au nord, dans le cœur de la chaîne montagneuse, sur les bords du lac Léman… Au cours d’une insomnie récente, je réfléchis à un risque naturel dans les Alpes à la fois crédible et totalement négligé. Grâce à Internet, une brève recherche m’a permis de préciser ma pseudo - découverte ! Giuseppe Melillo dans le magazine de l’université de Lausanne Allez-savoir n°33 (octobre 2005) retrace un épisode historiquement assez ancien puisqu’il remonte à l’an 563 après Jésus-Christ. Cette année-là, un tsunami ravagea les bords du lac Léman, avec au départ un élément déclencheur difficile à identifier, mais probablement d’origine tectonique [voir image précédente]. Grégoire de Tours et Marius d’Avenches, évêque de Lausanne recensèrent le sinistre. « Selon les rares sources disponibles, un pan du mont Tauredunum, probablement l’actuel Grammont, dans le Chablais valaisan, s’effondre simultanément sur un castrum et dans le lac Léman. L’éboulement obstrue les eaux du Rhône à la hauteur de Saint-Maurice. L’immense masse d’eau retenue est libérée quelques mois plus tard par la rupture du barrage qui provoque un raz-de-marée dévastateur. » La masse d’eau mise en mouvement comme dans une baignoire déborda soudainement, ravageant une bonne partie de la ville de Genève, à commencer par le pont.
Encore aujourd’hui, on peut observer sur les cartes satellites des villages reconstruits plus en hauteur : à Bret ou à Saint-Saphorin, au-dessus de Glérolles (aujourd’hui domaine viticole). Les scientifiques interrogés sur les risques actuels sont évasifs. « Actuellement, nous n’avons pas constaté d’instabilité au bord du Léman, explique Michel Jaboyedoff [professeur à l’Institut de géomatique et d’analyse du risque de l’UNIL], mais potentiellement, il est possible qu’il y ait un jour un éboulement. » Dans une zone vaste comme un océan, les facteurs sont multiples. Les éruptions violentes et les séismes sous-marins peuvent intervenir dans des milliers de lieux différents, ce qui rend impossible toute prévision de tsunami.
Mais dans un cas comme le lac Léman d’une superficie de 580 km², et avec des profondeurs maximales de trois cents mètres, la marge d’incertitude se réduit considérablement. Personne ne sait quand, mais tout le monde devrait répondre à la question où ? Que l’on assiste à un glissement de terrain équivalent à celui de 563 - l’arrière-pays de Montreux fournit plusieurs sommets dominant le lac - ou que le soubassement rocheux du lac tremble, le Rhône est le seul cours d’eau émissaire. Une onde de quelques centimètres d’eau douce née dans la partie orientale du Léman se transformerait en grosse vague dans la vallée du Rhône… Les Genevois déjà évoqués par Geographedumonde [L’argent n’a pas d’ordures] en subiraient les premiers les conséquences.
En Suisse, le sujet attire quelque intérêt, mais en France, rien. La frontière nous protège, par principe, faut-il le répéter au reste du monde. Et puis, ce sont les Italiens qui ne respectent rien, dans un pays modèle d’anarchie et d’imprévoyance ! Parmi les villes immédiatement en contrebas du lac Léman, j’aurais bien envie de citer Bellegarde sur Valserine et ses 11.000 habitants, pour partie installés dans le lit mineur du fleuve. Mais pourquoi faudrait-il s’inquiéter, étant donné que la Fiche d’Information sur les Risques Majeurs émise par le Conseil Général de l’Ain ne signale même pas la possibilité d’un débordement du Rhône ? Cinq barrages régulent à l’année le fleuve à l’amont de Lyon (Génissiat, Chautagne, Belley, Brégnier-Cordon et Sault-Brénaz). Ils contiendraient par conséquent la brusque montée des eaux venue du Leman, grâce à leurs épaisseurs de béton. En France, on est les meilleurs, c’est bien connu.
Quelqu’un souhaiterait la description d’un éventuel sinistre ? Je ne m’y engagerai pas, peu enclin aux récits de catastrophes, sans doute gêné aussi par la présence de proches dans la capitale des Gaules [voir aussi Cage dorée et Tête d’Or]. Je ne trouverais aucun plaisir à leur faire subitement peur… De toutes façons, Emmanuel Carrère raconte mieux que personne les ravages d’un tsunami au Sri Lanka. Certaines catastrophes prennent corps en silence. L’écrivain y parvient fort justement dans D’autres vies que la mienne.
PS./ Geographedumonde sur les risques naturels : la tempête Klaus dans les landes (Klaus a tempêté)


[1] « ‘C’est le pire séisme de ces dix dernières années’, a déclaré sur un ton dramatique le chef de la protection civile, Guido Bertolaso, en arrivant lundi matin à L’Aquila, la ville la plus proche de l’épicentre du tremblement de terre. Cette cité médiévale de 70 000 âmes est le chef-lieu de la région des Abruzzes. Elle est connue pour son pôle universitaire d’excellence (27 000 étudiants inscrits pour l’année 2008-2009), son laboratoire de recherche en physique des particules, son safran qui se vend à prix d’or, ses carottes, son vin, le Montepulciano d’Abruzzo, et sa cathédrale, hélas très endommagée.


La ville et toute la région était lundi en état de choc. Par dizaines de milliers, des maisons, des édifices privés, publics ou religieux, des appartements, sont tombés en ruine en quelques minutes, recouvrant des dizaines de corps dont ceux d’enfants de 2, 3 ou 4 ans. Dans l’après-midi, déjà, se préparaient les petits cercueils en bois peints en blanc. Même l’hôpital civil de L’Aquila, pourtant de construction récente, s’est pratiquement effondré. Il a fallu transférer les patients dans une église qui a également fait office de service des urgences pour soigner les blessés les plus légers. Les plus graves ont été transportés dans d’autres villes, notamment à Rome la capitale, distante de 110 km, dont les habitants avaient fortement ressenti les secousses. À L’Aquila, le centre historique a été le plus fortement frappé. Et dans un rayon de 30 km, au moins dix hameaux ont été rasés, dont celui d’Onna, qui compte 50 morts pour 400 habitants. Lundi, les ruines semblaient avoir été provoquées par des bombardements. Au fil des heures, plus de 7 000 hommes ont été mobilisés par les autorités, entre ceux de la protection civile des unités cynophiles de la police, les pompiers et les militaires venus de toutes les régions de la péninsule.


Les premiers secours ont été dispensés par la population des Abruzzes. Une population aux racines rurales, habituée aux travaux durs, soudée par un exemplaire sens de la chrétienté et de la famille. Dès 3 h 35 mn, on a vu des hommes aux cheveux gris accompagnés de leurs fils, petits-fils ou neveux qui se sont mis à gratter inlassablement dans les décombres, avec pour seuls outils, leurs mains, leurs muscles et leur volonté farouche de trouver des survivants. L’équipe de rugby de L’Aquila est parvenue in extremis à sauver quatre femmes âgées. Sur les places, des mères de famille au regard rempli de larmes, vêtues d’un pyjama ou d’une chemise de nuit, étaient massées, s’enlaçant tour à tour pour s’encourager mutuellement à ne pas perdre l’espérance et dédramatiser leur nouvelle situation de sans abri. Plus de 50 000 personnes vont devoir être momentanément relogées dans des hôtels, des églises, des salles de sport ou sous des tentes. En Italie, où l’on est habitué à ne pas compter sur l’État, les associations, notamment catholiques, constituent encore un réseau très dense de solidarité, qui s’est mis en ordre de marche très vite, de manière spectaculaire. […] Dans cette région de montagne rude et souvent restée à l’écart du progrès, terre d’émigration où la foi est chevillée au corps, Pâques, comme l’écrivait dès lundi dans une édition spéciale l’hebdomadaire diocésain, ‘ne sera pas une Pâques particulièrement joyeuse pour beaucoup, même si ni la souffrance, ni la mort ne peuvent enlever la foi et l’espérance en Dieu qui a prononcé les paroles ultimes du Salut et de la Vie’ ». / La douleur et la solidarité se mêlent à L’Aquila / La Croix / Isabelle de Gaulmyn et Anne Le Nir.


Incrustation : le lac Léman, sur le site les flotsbleus-yvoire.com

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