mardi 29 juin 2010

Pas de hasards à Saint-Lazare… (Des problèmes de transports sur le réseau parisien ouest)

A la Libération, Paris sur cette carte Michelin, semble corsetée par un méandre de la Seine. On distingue à l'ouest et au nord-ouest, les banlieues de Boulogne, Neuilly, Levallois et Clichy. L'urbanisation gagne les territoires coupés par les deux boucles suivantes. A l'intérieur de la première, la plus proche de Paris, le Mont-Valérien encore assez isolé domine Suresnes et Puteaux. Le carrefour de Courbevoie réunit les routes allant à Saint-Germain-en-Laye d'une part, et à Pontoise d'autre part (N.190 et 192). Dans la seconde boucle, dans laquelle retombent les plateaux du Vexin, l'urbanisation est plus limitée à l'époque, sans communes notables en dehors d'Argenteuil. Les industries naissent et une carrière fonctionne au sud d'Houilles.
Au delà de ce train de méandres, ressortent les sites anciens de Maisons-Laffitte, de Saint-Germain-en-Laye et de Poissy. La boucle enserrant les trois villes est restée rurale. La forêt royale s'y maintient préservée. Plus au nord, on devine en revanche l'agrandissement des banlieues desservies par le train. Dans ces années 1940, la forêt de Montmorency se trouve déjà compartimentée. Les cartographes ont laissé Paris en blanc, se contentant d'indiquer le nom des sorties, de la porte de la Chapelle au nord, à la porte de Saint-Cloud à l'ouest. Des zones blanches collent également à la capitale, autour de Courbevoie, d'Argenteuil ou entre Maisons-Laffitte et le Vésinet. Des industries empiètent sans doute sur ces terres agricoles. En 1945, il faut reconstruire.
Assez vite cependant, les noyaux urbains s'espacent. Au-delà de Saint-Germain en Laye, de Poissy et de Maisons-Laffitte, elles-mêmes entourées de champs, les campagnes d'Ile de France vivent séparées de la capitale. En cette fin des années 1940, et en dehors des villes - ponts de Conflans, Poissy, Meulan - Limay, les bourgs restent assez ramassés sur eux-mêmes. Beaucoup correspondent dans cette campagne proche de Paris à des villages - rues. Crespières à une dizaine de kilomètres à l'ouest de Saint-Germain, Orgeval un peu plus au nord-ouest, ou encore de l'autre côté de la Seine, Oinville et Avernes dépassent le standard local, avec une petite agglomération de maisons. L'agriculture est visiblement active, car la forêt occupe un espace contraint. L'Ecole d'Agriculture de Chavenay devenue depuis l'Institut National de Recherche Agronomique est un indice de la qualité des exploitations. Les céréales, les cultures mécanisées (betterave) et maraîchères dominent les terroirs au nord (Vexin français) comme au sud de la Seine. La capitale assure un débouché.
Soixante ans s'écoulent. Sur la carte Michelin de 2002, les tâches blanches ont quasi disparu, preuve d'une déprise agricole. Deux couleurs s'imposent au rebours : les rouges et les ocres, illustrant le tissu urbain et la voierie, mais aussi le vert symbolisant la forêt. Celle-ci progresse, de façon à la fois globale et ponctuelle, à l'exception de la forêt de Marly balafrée par l'autoroute de Normandie (A.13). Entre Mantes la Jolie, Crespières et Septeuil, les cultures cèdent la place aux arbres ou à la réserve africaine de Thoiry. Des agriculteurs récalcitrants résistent quand même, à l'ouest de Versailles. Paris déborde. Toutes les communes évoquées précédemment se sont coagulées. La Seine est devenue presque annexe, grâce aux nombreux ponts enjambant le fleuve. Dans la vallée, à l'aval de Paris, on ne compte plus les implantations industrielles. Les sites de Poissy (PSA), Flins (Renault), celui des Ciments Français ou encore celui d'ELF (devenu Total) à Porcheville en témoignent.
Les communes les plus proches ont visiblement profité de cette proximité pour se métamorphoser en petites villes : les Mureaux tout près de Flins, Aubergenville. La banlieue s'étend, sur un axe Paris Pontoise (A.15), en l'absence d'obstacles physiques. L'Oise (Nord-est / Sud-ouest) ne retient rien. C'est en entrelas de routes de couleur rouge, c'est-à-dire à quatre voies, un réseau maillé. Les communes ont perdu souvent leur vocation agricole. D'autres n'existaient tout simplement pas en 1945, comme autour de Saint-Germain en Laye : Saint-Nom la Bretèche, le Chesnay, la Celle-Saint-Cloud (entre la Seine et Versailles). Dans le département des Yvelines - l'ouest du département de la Seine avant sa création - habitent désormais des centaines de milliers de Franciliens. Seulement soixante ans ont passé et pourtant, tout a changé.
Les transports individuels et collectifs se concurrencent dans cette région située à l'ouest de Paris. Le réseau ferré combine les grandes lignes desservant les villes normandes (Rouen, Lisieux, Caen ou encore Cherbourg), les liaisons assurées par les trains express régionaux, et le RER A inauguré à la fin des années 1960. Paris s'étale sans contraintes physiques, en lien avec l'industrialisation de la vallée déjà décrite. A l'exception de l'Oise, la place est libre pour une extension de la tâche urbaine qui s'est accélérée au cours des trois dernières décennies. Pour les salariés et les cadres travaillant dans la capitale, les migrations pendulaires passent par les transports en commun beaucoup plus sûrement que dans d'autres parties de l'Île de France.
Pour ne prendre que la plus récente, la ligne E du RER desservant le sud-est de Paris, date d'une dizaine d'années. Autant dire que les villes affublées depuis peu du qualificatif de dortoirs accueillaient avant des Parisiens cherchant des prix de l'immobilier plus abordables, mais se déplaçant en voiture. Dans l'ouest parisien au contraire, la plus ancienne des lignes RER n'a pas succédé à la périurbanisation. Elle l'a accompagnée. En 1969, un ouvrier ou un employé de bureau n'a pas assez d'argent pour avoir une voiture... L'université de Nanterre délivre ses premiers diplômes à l'époque où la ligne A transporte ses premiers voyageurs. Des embranchements ont été aménagés depuis lors, la gare la plus lointaine restant Cergy [trajet].
François Bostnavaron, dans Le Monde [1] a justement rappelé les records battus par le RER A, et d'abord les 286 millions de personnes transportées en 2007. Personne n'organisera cependant de festivités pour le quarantième anniversaire de la ligne. Le journaliste décrit en revanche un festival d'hypocrisie. La ligne « la plus fréquentée au monde » cumule les dysfonctionnements, explique-t-il. Comme si l'un ne provoquait pas l'autre. François Bostnavaron se fait ensuite l'écho de la réaction des élus. « Une soixantaine d'élus des communes situées le long de cette ligne qui traverse Paris d'ouest en est, exaspérés, viennent de rendre public un livre blanc des problèmes recensés sur le RER A.» Leurs administrés prennent donc le RER. Quelles seraient leurs communes sans lui ?
Le prix du trajet - comparé à son équivalent en voiture - a largement pesé dans le succès de la ligne. En outre, si la RATP diminuait le nombre de rames aux heures de pointe, le moindre incident de parcours ne perturberait pas les horaires calculés au millième de seconde près. On reparlera un peu après des usagers en théorie susceptibles de se reporter sur d'autres modes de transport. En lieu et place, les maires choisissent le gémissement : « retards quotidiens, rames surchargées en dépit d'une augmentation de leurs fréquences, trains supprimés sans explication, peu ou pas d'informations en cas de problème, matériels obsolètes, mal entretenus et peu confortables. » Le président de la région Jean-Paul Huchon crie misère et demande de l'argent à l'Etat pour financer une modernisation. Les uns et les autres négligent le rapport de l'offre et de la demande.
Si l'on modernise le réseau ferré, de nouveaux passagers se bousculeront aux portillons. Et les pannes et retards repartiront de plus belle. Tous les efforts consentis par les agents de transport ont de ce point de vue porté leurs fruits. Dans le secteur marchand, le prix des billets aurait suivi. Le prix aurait régulé le trafic. Il n'en a rien été. On note en revanche en 2003, sept journées à plus d'un million de passagers, pour 175 journées en 2008. Le responsable de la RATP se défausse finalement. « Selon lui, seuls le prolongement d'Eole (ligne 14 du métro) à l'ouest à la Défense et la réalisation de Métrophérique-Arc Express - la rocade reliant la banlieue est à la banlieue ouest sans passer par Paris - seraient susceptibles de désaturer durablement la ligne du RER A. »
Je précède toutefois les critiques de la critique. Aucun journaliste n'a inventé les déboires des voyageurs de l'ouest parisien. Benoît Hopquin, le 9 février 2009 a ainsi signé un papier intelligent, intitulé Saint-Lazare terminus des mécontents. Même si la gare ne reçoit qu'indirectement les usagers du RER A, un demi-million de voyageurs y transitent chaque année : deux arrivées par minute en moyenne, avec un chassé-croisé de 80.000 personnes dans la gare, au plus fort de la journée (à 10 % utilisant les grandes lignes). Les fameux dysfonctionnements se ressentent ici directement. Chaque incident, chaque grève déclenche une grogne de moins en moins verbale. On en viendra aux mains sous peu. Le journaliste relate l'exaspération générale. Les habitués se confessent sans mal. Ils disent la peur des retards, le dégoût suscité par la promiscuité et la vétusté, l'indignation vis-à-vis de la RATP et de ses personnels accusés de tous maux.
Il n'empêche, tout le monde s'y presse. « Retour par le premier omnibus à Saint-Lazare, dans ce lieu rare où se croisent les catégories sociales, les habitants de Saint-Cloud et ceux des Mureaux. Terminus des maux de notre société, Saint-Lazare raconte la violence quotidienne, les tensions sociales. La gare dit la flambée immobilière qui pousse les classes moyennes de plus en plus loin de Paris. Rêvant d'une maison ou simplement d'un logement décent, ils sont de plus en plus nombreux à venir chaque jour d'Evreux ou de Gisors. La ligne compte 1 600 abonnés à Vernon (75 km de Paris), près de 6 000 à Rouen (130 km). 'Les gens prennent le train comme on prend le métro', constate Muriel Séguin, la responsable du centre opérationnel. »
En conclusion, la périurbanisation résulte de la construction d'infrastructures. Pour une partie d'entre eux, les périurbains ne subissent pas leur situation. Mieux, elle répond à leurs vœux. Il reste que dans les deux dernières décennies, beaucoup de Franciliens se sont résolus à quitter Paris ou ses proches abords, sans alternatives possibles. Ceux-là ragent autant que les autres à cause des dysfonctionnements du réseau, mais sans aucune consolation. Pour tous, l'utilisation de la voiture rime avec embouteillages. Pour peu que les prix de l'immobilier décrochent, dans l'ouest parisien comme ailleurs, tous devront boire le calice jusqu'à la lie. A Saint-Lazare, il n'y a pas de hasards.

PS./ Geographedumonde sur Paris [Le fantôme des Tuileries] et sur la banlieue parisienne : Les nuits de Grigny.
[1] Sur la ligne A du RER, la plus fréquentée au monde, les incidents sont quotidiens / Le Monde / 17 février 2009 / Francois Bostnavaron.
Incrustation / La gare Saint-Lazare peinte par Monet en 1877. Musée d'Orsay

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire