lundi 28 juin 2010

Douze commandements pour agir en parfait dictateur. (D’une tribune dans le journal sud-africain ‘Mail&Guardian’)

Au début du mois de décembre 2008, Binyavanga Wainana a signé pour le Mail&Guardian (Afrique du Sud) un pamphlet dévastateur. Originaire de Zambie, l’auteur tranche avec l’argumentation généralement utilisée pour dénoncer la dictature, un mal qu’il juge propre au continent africain. Sa tribune rentre en résonance avec un papier précédent sur le Dernier roi d’Ecosse… comme me le fait remarquer Econoclaste. J’ai donc décidé d’en faire la traduction, tout en gommant la connotation africaine. Ce qu’il écrit me paraît en effet convenir à n’importe quel pays, tous continents confondus. Je tenais à ce que cela apparaisse clairement. Bien sûr, l’exercice trouve sa limite dans la fausse impression de préméditation prêtée au lecteur. Les dictateurs ne ruminent probablement pas à l’avance leurs actes, sauf s’ils ont préalablement observé un prédécesseur aux affaires. Mais Binyavanga Wainana envoie des pierres dans deux jardins, celui des spécialistes et celui des experts.
Les uns et les autres abreuvent un public occidental conquis d’avance d’explications mécanistes lénifiantes. Les premiers affectionnent les histoires de tribus à base de rectangles qui n’aiment pas les ronds, et d’ovales qui ont autrefois écrasé les carrés. D’autres se complaisent dans les histoires d’exploiteurs-exploités ou la réutilisation ad nauseam des théories de classes. Les seconds personnifient les pays pour ancrer artificiellement leur généralisation, commentent les communiqués diplomatiques en temps normal, ou les programmes politiques à la veille d’élection. Le Zambien penche du côté des Humanités et non du côté des sciences sociales. Il renvoie à Machiavel ou à Montaigne, me semble-t-il, car le pouvoir grise tous les hommes de la même façon, quelles que soient leur condition d’origine ou leur couleur de peau. A l’époque de Caligula, d’Idi Amin ou d’Hu Jintao, la complainte des écrasés use des mêmes mélodies… Mais je laisse la place à ces douze étranges commandements…
« Des dizaines d’écrivains sortent chaque année un livre qui n’a guère d’autre lecteur qu’eux-mêmes. Mais existe-t-il un seul ouvrage vraiment utile pour un dictateur ? On part évidemment du principe que celui-ci n’a pas signé de pacte avec le diable ni voulu tuer son fils à minuit un soir sans lune pour en tirer un quelconque pouvoir surnaturel. Partant du principe qu’un dirigeant suit les nouvelles grâce aux journaux, comme ces dictateurs se réjouissant des difficultés rencontrées par Mugabe au Zimbabwe, le Daily Telegraph conviendra parfaitement à l’apprenti dictateur. Ce titre de la presse anglaise raconte toujours avec complaisance les frasques des dirigeants d’anciennes colonies. Notre lecteur prendra bien soin de ne jamais consulter les blogs subversifs, et d’éviter les liens embarrassants renvoyant sur Wikipedia. Il s’arrêtera peut-être devant ces quelques lignes et en tirera - je n’en doute pas - les meilleurs enseignements.
Premier commandement : Soyez l’homme le plus riche de votre pays (Daniel arap Moi, Robert Mugabe). Si vous accédez au pouvoir après d’autres, ce n’est pas plus difficile ; faites chanter votre prédécesseur (Frederick Chiluba). Si le pays regorge de richesses pétrolières, la tâche s’avère encore plus aisée (au Nigeria, en Angola ou au Tchad). Si vous êtes Kenyan, la Sécurité Sociale débloque facilement les fonds. Les contrats d’armements rapportent de toutes façons (dans tous les pays). Comme l’émission de billets de banque (partout). En Afrique du Sud, tout passe par la transmission des pouvoirs des Blancs aux Noirs.
Deuxième commandement : Effectuez à travers la population du pays une sélection poussée d’individus violents, ignares et pauvres. Faites en sorte qu’ils s’enrichissent, sans leur donner directement d’argent. Que leur position leur permette de se servir eux-mêmes. Ce sont des paniers percés. En revanche, donnez l’argent à des associations de bigotes, les plus influentes qui soient.
Troisième commandement : Mettez l’Amérique ou la Chine dans votre poche. Gagnez la confiance d’Israël ou de l’Arabie Saoudite. Convertissez-vous à l’Islam comme Idi Amin. Rendez visite à Mohammar Khadafi si empressé de recevoir des dirigeants africains sans que l’on sache très bien pourquoi. Priez en compagnie de Georges Buch et ouvrez-vous à lui. Envoyez une top-modèle comme ambassadrice en France ou en Italie et enjoignez-la de s’habiller léger pour présenter ses papiers à Nicolas Sarkozy.
Quatrième commandement : Soyez généreux avec votre armée. Très généreux. Ne lâchez que le minimum à la police. Cinquième commandement : Autorisez toutes les ONG et associations caritatives à venir au secours de vos paysans affamés. Ceux-ci vous en seront personnellement reconnaissants quand ils voteront (cela marche dans tous les pays).
Sixième commandement : Les anciens colonisateurs se montrent peu exigeants vis-à-vis de leurs anciens administrés. Surtout, ne les décevez pas. Maintenez vos concitoyens dans l’ignorance et la sous-productivité. S’ils manquent de nourriture, reportez-vous au cinquième commandement.
Septième commandement : Assurez-vous de passer pour un bon chef tribal (Jomo Kenyatta, Moi, Jacob Zuma). Si par hasard, vous ne parlez qu’une langue européenne, apprenez quelque chose qui fasse local (Jerry Rawlings). A partir de là, organisez des réunions mensuelles avec des personnalités considérées une fois pour toutes comme importantes. Serrez les rangs en évoquant les menaces proférées à votre encontre par les autres tribus (Moi). Tout le monde embraiera et s’armera pour vous défendre en cas de besoin. En Afrique, tribu veut dire n’importe qui parlant la langue du groupe, distribuant l’argent public et les postes de responsabilités. Comme à l’époque coloniale.
Huitième commandement : Si vous ne pouvez les dissoudre, infiltrez les associations et partis fédérant les gens éduqués. Ils risquent de vous déstabiliser, spécialement les Catholiques qui attendent tout de leur Pape au Vatican. Ainsi, votre société fonctionne en l’absence de tout contre-pouvoir : faute de solidarité éducative ou professionnelle, la tribu constitue la seule forme d’organisation possible… Or, dans votre gouvernement, chaque ministre est l’homme le plus riche de sa tribu, donc à même de taire toute contestation.
Neuvième commandement : Acceptez autour de vous tous les groupes minoritaires. De cette façon, vous cultivez votre image d’homme ouvert et prêt à entendre les critiques ; sans aucune incidence, parce qu’ils ne vous font pas ombrage. Les opposants - figurants vous garantissent une légitimité auprès de vos donateurs, qui vivent au Danemark et financent l’aide alimentaire indispensable pour remporter les élections.
Dixième commandement : Une presse non censurée compte par-dessus tout. Ayez en contrepartie des participations financières dans tous les grands médias. La critique ne doit s’arrêter devant aucun obstacle, à l’exception d’un seul : vous-même. N’hésitez pas à soudoyer au besoin tel ou tel blogueur. Ils peuvent dans cet esprit expliquer que votre politique économique est keynésienne, mais évitent à tous prix de dénoncer un chef de guerre corrompu.
Onzième commandement : N’envoyez pas l’argent dérobé dans un compte numéroté en Suisse et ne le confiez pas à votre épouse. Achetez plutôt des bons du trésor américains et dissimulez-les dans la bibliothèque de vos enfants. Ils n’y toucheront pas. Pourquoi se mettraient-ils à lire ? Papa est gavé aux as. Ne placez aucune somme au nom d’un tiers (femme, enfants, etc.). Privilégiez les euros, les rands sud-africains et les diamants.
Douzième commandement : Ne cherchez de noises à aucun confrère dictateur. Pensez qu’ils vous revaudront peut-être vos amabilités un jour. Faites rentrer votre pays dans le Nepad (Wade) qui est très utile pour se constituer un réseau. N’oubliez pas d’assister aux sommets de l’Union Africaine (UA) les bras chargés de présents. L’Union est chérie des dictateurs (Idi Amin). Le cadeau le plus apprécié est l’argent liquide, même si l’or et les bons du trésor se révèlent plus précieux encore. Mais de grâce gardez vos assignats.
Au cas où tout a échoué et où vous vous trouvez isolé dans votre palais présidentiel, encerclé par des concitoyens armés de machettes, rentrez dans le Hummer qui vous attend dans le garage. Vous avez pu l’acquérir à prix cassé aux Etats-Unis. Il vous assure une sortie sans grand risque et un transit rapide vers la Somalie, le pays où l’on peut travailler dans la piraterie pour 50 millions de dollars par an. »

PS./ Geographedumonde sur l’Afrique noire : Le dernier roi d'Ecosse avait des cousins.

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