mardi 29 juin 2010

Surtout letton. (De la récession sévère de la Lettonie, et de ses conséquences)

Dans Le Monde daté du 27 juin, Cécile Prudhomme pose la question suivante : L'Europe va-t-elle lâcher la Lettonie au bord de la faillite ? Je ne vois pas d'entames plus alarmistes que celle-là. En peu de mots, elle indique que le pays balte traverse une crise inédite. Les banques se retirent ou ne prêtent plus qu'à des taux décourageants. Le lats, monnaie nationale de la Lettonie étant indexé sur l'euro, le gouvernement ne dispose pas pour l'instant du recours de la dévaluation pour soulager les habitants du poids d'une dette soudain écrasante. La situation sociale se dégrade, avec un renvoi du premier ministre à la fin de l'hiver dernier et des émeutes à Riga.
Le premier chiffre communiqué par Cécile Prudhomme a de quoi glacer les plus sereins. Une diminution de 18 % de la richesse nationale au premier trimestre 2009 dépasse l'entendement. Si la chute devait se maintenir au même rythme, ladite richesse nationale diminuerait de 108 % en six trimestres : un an et demi pour attérir, ou s'écraser c'est selon, au niveau zéro. Et pourtant souvenez-vous du chant des sirènes ! La Lettonie attirait les investisseurs venus du reste de l'Europe, le gouvernement ayant restreint la fiscalité. La main d'œuvre lettone était compétitive. Les Suédois, les Allemands, les Danois, les Russes et les Norvégiens se déplaçaient pour le bois, les textiles et la mécanique. Mais plus encore, ils achetaient des biens immobiliers ou plaçaient leurs économies dans les banques locales. [Newseuropean-magazine]. Le chômage restait élevé (un actif sur six environ en 2009) et l'inflation rognait l'essentiel de la croissance, mais l'insouciance régnait, à l'intérieur comme à l'extérieur.
Les Lettons éviteront-ils l'enfer, à qui l'on avait prédit le paradis ? La question renvoie d'une certaine façon à la Californie (Le Pacifique, frontière indépassable). Devenir un pays pauvre comme Haïti, c'est un peu cumuler tous les handicaps. Imaginons le cauchemar, en gageant que le pire ne se produira pas. L'Etat disparaît, les fonctionnaires cessant d'être rémunérés ou vivant d'expédients. Les infrastructures se dégradent à proximité du cercle polaire, faute d'être entretenues et les services sociaux arrêtent de fonctionner. Les riches se réfugient dans des quartiers protégés par des hauts murs, des vigiles et des chiens hargneux. Les diplômés et les futés s'exilent pour travailler dans des pays plus sûrs. Pour la majorité de la population, le risque de mortalité augmente... La guerre de chacun contre tous menace.
Emphase littéraire ? Le 22 juin, Olivier Truc livre ses propres impressions (En Lettonie, les protestations contre les mesures d'austérité se multiplient). Des milliers de personnes manifestaient dans les rues de la capitale contre l'annonce d'une diminution du remboursement des soins par l'Etat, d'une coupe dans les retraites (- 10 %), et de la division par deux du salaire des enseignants. A la place d'une dévaluation en bonne et due forme, le gouvernement a donc choisi de réduire fortement les dépenses publiques. Fort de ce constat, je ne peux évidemment que souhaiter la solidarité de l'Union au profit de ce petit pays si blessé par l'histoire récente.
Marguerite Yourcenar décrit dans son roman Le coup de grâce l'atmosphère qui régnait en 1919 en Lettonie lors de l'effondrement du Reich allemand et de la guerre civile russe. Entre 1940 et 1945, trois armées ennemies envahissent le pays : deux fois les Soviétiques et une fois les Allemands. Après la victoire du 8 mai à Berlin, les pays baltes ne recouvrent pas leur liberté, cédés en pâture à Moscou. Les Lettons méritent le soutien des autres Européens. Mais qui paiera ? Cécile Prudhomme a bien son idée. Elle a désigné le(s) coupable(s), les grandes banques qui ont profité et les spéculateurs. Les Lettons ont plus la cote que les Islandais, apparemment (Histoire drôle islandaise). On range donc les premiers dans la catégorie des victimes et les seconds dans celle des coupables, les uns avides de consommation, les autres surconsommateurs. En réalité, les situations se ressemblent assez, même si les Islandais n'ont pas connu le totalitarisme soviétique.
« Atis Slakteris, le ministre des finances, explique les problèmes de son pays à la lumière de la situation bancale du marché mondial et place le fondement des problèmes de la Lettonie dans la crise financière mondiale. Mais l’opposition, les intellectuels et les associations imaginent des causes extérieures. Ils reprochent au gouvernement son ignorance des problèmes réels du pays. Une des causes les plus importantes réside dans l’inflation. Elle a pris des proportions énormes durant les années du miracle économique, et surtout avant 2001. Et l’entrée de la Lettonie dans l’UE a apporté un élan puissant. [...] Le fonds monétaire international (FMI), les représentants de l’Union Européenne et des pays scandinaves ont travaillé à l’automne à un plan commun pour sauver la Lettonie de banqueroute. Avec 7,5 milliards d’euros d’aide, les liquidités de l’Etat et du secteur de la finance devraient être sauvées. » [Cafébabel]
Il y a un pas facile à franchir... Celui de considérer qu'il s'agit d'un problème surtout letton. En 2002, 58 % des habitants du pays se déclaraient Lettons. Les Européens ont intégré des portions entières de l'ex - URSS sans remise en cause (difficile...) ni réflexion préalable. La présence de minorités slaves, essentiellement des Russes et des Ukrainiens, résulte de la politique des nationalités menée par le régime communiste : déplacer les uns pour affaiblir les autres. La crise économique ne peut qu'attiser les tiraillements entre populations d'origine et de religions différentes. Les relations entre la Lettonie et la Russie fluctuent selon la volonté d'appaisement ou de confrontation de Riga. Le gouvernement letton s'est à plusieurs reprises risqué à mécontenter la minorité russophone, en liant citoyenneté et pratique de la langue vernaculaire [Université de Laval]. Plusieurs dossiers soulèvent l'inquiétude... Deux au moins enveniment d'ores et déjà les relations entre la Russie et l'Union Européenne.
Riga a par exemple exigé le respect de l'accord de paix letton-soviétique du 11 août 1920, sans prise en compte des décisions de 1945 entre Alliés. Il stipulait que le district d'Abrene, autour de Pytalovo (à l'est du pays), une ville aujourd'hui au-delà de la frontière, était lettone. 'En 1938, dans le district d'Abrene, il y avait 55 % de Lettons, 41,7 % de Russes et 3,3 % d'autres origines ethniques. En 1945, il y avait 12,5 % de Lettons, 85,5 % de Russes et 2 % d'autres origines ethniques.' [Anderson Edgars - Latvijas Vèsture] En 2005, le Parlement a même provoqué un incident diplomatique en votant une résolution officialisant cinq décennies d'occupation étrangère. Moscou a considéré qu'elle ouvrait la porte à une demande d'excuses, voire de réparations.
Le plus grand fleuve balte, la Dvina se jette enfin dans la baie de Riga. Le fleuve prend sa source en Russie, dans la région de Moscou. Cette particularité a autrefois fait la fortune du port letton. Le tracé de frontière a depuis 1991 mis un terme à cet âge d'or. Moscou ne se prive pas de moduler l'ouverture des échanges transfrontaliers, et joue la carte du fort au faible dans la gestion du bassin-versant de la Dvina. La Lettonie, comme les autres pays du monde en aval des grands fleuves terrestres dépend du pays situé en amont. Aujourd'hui comme hier, l'Union semble désarmée dans le rapport de force qui risque de s'engager à nouveau...
PS./ Dernier article sur les marges russes : Crimée sans châtiments.
Incrustation : drapeau de Lettonie.

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