mardi 29 juin 2010

Le bonheur est-il dans le pré ? (Des estimations de l’Insee sur la population française en 2006)

A l'occasion de sa dernière estimation de population (2006) récemment rendue publique, l'Insee a mis en ligne ses statistiques concernant la population française : à la fois par départements et par régions, avec distinction possible de l'âge et du sexe. Les tableaux de l'Insee serviront désormais de base de données pour les collectivités territoriales mais aussi pour les ministères, en particulier pour celui des Finances. Il est intéressant d'étudier l'évolution de la répartition de la population et des dynamiques démographiques grâce aux archives également disponibles à partir de 1990. J'ai retenu ici quatre étapes, une tous les cinq ans : 1991, 1996, 2001 et 2006.
Au cours des quinze dernières années, la population métropolitaine n'a cessé d'augmenter, de 56,84 millions d'habitants en 1991 (57,93 en 1996, 59,25 en 2001) à 61,17 millions d'habitants en 2006. Sans même évoquer les DOM - ils gagnent dans l'intervalle 360.000 habitants - le nombre de départements qui voient leur population croître régulièrement est de 66. Ceux dont la population diminue ne sont que sept, la Nièvre, la Meuse, la Haute-Marne, la Creuse, le Cantal, les Ardennes et l'Allier. Ce double constat provoque l'étonnement pour qui garde en mémoire l'histoire démographique française contemporaine.
Dans l'Atlas Bordas Géographique et Historique (1989), le déclin démographique de la province apparaît très clairement. Entre 1851 et 1901, la carte témoigne du déclin des départements ruraux, dans le bassin parisien et l'est breton, le bassin aquitain, et dans toute la moyenne montagne. Entre 1951 et 1954 le phénomène s'accentue. Il s'inverse en revanche après cette date, grâce au baby-boom. Entre 1954 et 1982, on compte tout de même près d'une vingtaine de départements décroissants. Aux sept décrits plus haut s'ajoutent la Haute Corse et la Corse du Sud, Paris, l'Indre, la Dordogne, la Corrèze, l'Aveyron, la Lozère, la Haute-Loire, le Gers et l'Ariège. Malgré son caractère relatif, le déclin semble conjuré, en dehors des espaces les plus éloignés des grandes agglomérations.
Avant d'en venir aux zones les plus dynamiques, arrêtons-nous quelques instants sur la vingtaine de départements qui appartiennent à une sorte de ventre mou. Deux tendances s'y succèdent et s'y contredisent même parfois entre 1991 et 2006. Une hausse annule la baisse, ou l'inverse. Il s'agit des Vosges, du Tarn, des Deux-Sèvres, de Paris, de la Saône et Loire, des Hautes Pyrénées, de l'Orne, de la Marne, de la Lozère, du Lot-et-Garonne, de la Loire, de l'Indre, du Gers, de la Dordogne, des Côtes d'Armor, de la Corrèze, du Cher, de l'Aveyron, de l'Ariège et enfin de l'Aisne. Les années 2000 marquent semble-t-il un tournant. Plusieurs départements connaissent en effet une progression brusque entre 2001 et 2006, en particulier l'Ariège, les Côtes d'Armor, la Dordogne, le Gers, le Lot-et-Garonne, la Lozère, les Hautes-Pyrénées, Paris, les Deux-Sèvres et le Tarn.
Cette liste mêle deux types de territoires bien différents. Les Côtes d'Armor profitent visiblement de leur littoral considéré jusqu'à une période récente comme trop frais ou trop excentré. Les maisons et appartements face à la Manche sont moins inaccessibles qu'ailleurs. Dans la zone francilienne, Paris engrange depuis dix ans les effets de la gentryfication. Pour la première fois depuis l'entre-deux-guerres, le nombre de Parisiens s'accroît : + 20.000 habitants entre 1996 et 2001, et + 30.000 entre 2001 et 2006 à 2,17 millions d'habitants. L'embourgeoisement de Paris ne s'accompagne cependant pas d'une chute de la fécondité des Parisiens : 305.700 enfants de moins de quinze ans en 1991 contre 307.000 en 2005.
La zone restante correspond à un Sud-Ouest élargi, s'étendant de la Lozère (48) aux Deux-Sèvres (79). Ici l'activité agricole ne peut expliquer à elle seule le frémissement des statistiques. En revanche, de nouveaux arrivants viennent au secours des populations en déclin plus ou moins marqué. Ce ne sont pas forcément les étrangers rendus responsables de la poussée des prix de l'immobilier qui sont en cause. Les Britanniques ou les Hollandais - à supposer que cette installation débouche sur l'obtention de la nationalité française - tirent vers le haut le bilan démographique des départements concernés. Ils ne sont pas seuls, car l'effectif des plus de 60 ans varie peu.
Mais des familles quittent leur région d'origine pour habiter dans le Sud-Ouest. Ils viennent avec des enfants. D'autres naissent probablement, comme l'illustre la stabilité du nombre des moins de quinze ans entre 1991 et 2005, dans une région aux taux de natalité globalement faibles (voir Plus il y a de lois, plus il y a de moeurtres). En Dordogne, dans cette catégorie des moins de 15 ans, on dénombre 32.000 garçons (- 1.000 par rapport à 1991) et 31.000 filles (- 1.000), dans le Gers 14.000 (g / 0) et 13.000 (f / + 500), en Lozère 6.500 (g / 0) et 6.000 (f / 0), dans le Tarn 31.000 (g / 0) et 29.000 (f / 0). La stabilité démographique tient finalement à peu de choses. L'embellie ne se perpétuera qu'à une condition, le maintien du goût pour le Sud-Ouest à l'extérieur de la région. Dans le film Le bonheur est dans le pré (voir photo de tête) le personnage interprêté par Michel Serrault a abandonné jusqu'à sa propre femme (Sabine Azéma) pour répondre à cet appel... !
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La population française est passée de 56,8 à 61,2 millions. Or les quatre millions gagnés dans l'intervalle se répartissent, puisque sur les deux tiers du territoire hexagonal, on observe un taux de croissance supérieur à zéro. Rappelons qu'entre 1901 et 1954, seuls les départements accueillant les grandes agglomérations (Paris, Lyon, Marseille, Lille, Nice, Toulouse, Bordeaux, Nancy et Metz) connaissaient un croît positif. Ce trait demeure. Parmi les plus fortes augmentations de population, on trouve les départements de la grande Couronne parisienne. Chacun d'entre eux gagne plus de 100.000 habitants : le Val d'Oise, la Seine Saint-Denis, les Hauts-de-Seine (140.000 habitants de plus entre 1991 et 2006), l'Essonne, les Yvelines (84.000), la Seine-et-Marne (170.000) et l'Oise (60.000).
En province, les agglomérations citées plus haut assurent toujours le développement démographique de leurs départements respectifs. D'autres, de moindre importance produisent un effet équivalent, comme Nantes, Grenoble, Toulon, Strasbourg, Montpellier, Angers, Mulhouse, Bayonne-Anglet-Biarritz, Orléans ou Annecy... Tous les départements donnant sur la mer Méditerranée, l'Atlantique ou la Manche connaissent peu ou prou les mêmes évolutions. La Charente-Maritime gagne par exemple 65.000 habitants entre 1991 et 2006, et les deux départements corses 27.000 habitants dans la même période [1]. La pression démographique pèse sur le marché immobilier, avec des répercussions politiques dans l'île de Beauté.
Faut-il pour autant crier victoire ? L'étude de la natalité [Ined] indique que dans un nombre notable de départements, la population vieillit. Le seuil de renouvellement des générations (2,1 enfants par femme) n'est dépassé en 2004 que dans une poignée de départements. En dehors de la région parisienne (Val d'Oise, Essonne, et Seine-Saint-Denis), il s'agit de la Mayenne, de la Vendée et du Tarn-et-Garonne. Au cours de la décennie 2000, le croît naturel des Français repose sur un facteur éphémère, puisqu'il dépend en partie de la forte fécondité des 35 -45 ans : un enfant sur cinq en 2008 contre un sur six dix ans plus tôt [source]. Que la mode se perpétue importe peu. Car les filles du Baby-boom cèderont la place dans les années qui viennent à d'autres, nées après 1975, beaucoup moins nombreuses. De la même façon, la vitalité de bien des départements repose sur des mécanismes susceptibles de se retourner.
Les aires urbaines se sont étalées, par grossissement de communes rurales périphériques [Une Poignée de Noix Fraîches]. Elles signent une époque. Se sont conjugués une prospérité économique durable, un prix bas des carburants assurant l'essor de l'automobile individuelle, et un investissement public quasi continu dans les infrastructures. Mais la périurbanisation n'est qu'une redistribution des densités au sein d'aires urbaines représentant une petite partie du territoire. Le mouvement de reconcentration observé à Paris (voir plus haut) la contredit depuis au moins une décennie. Plus inquiétante sans doute, la crise économique qui s'annonce risque fort de remettre en cause ces évolutions, ne serait-ce que par désengagement de l'Etat. Viendra peut-être le temps d'une reconquête de territoires sacrifiés sur l'autel du tout citadin et du corporatisme agricole (Les villes boulimiques se nourrissent des campagnes anorexiques), transformés en réserves indiennes pudiquement baptisées parcs naturels dans lesquels les résidents sont priés de cohabiter avec des prédateurs réintroduits (ours, loups, rapaces, etc.) ou plus simplement abandonnés à la forêt de résineux : voir Une Poignée de Noix Fraîches.
Le mardi 13 janvier 2009, Geographedumonde fête son 100.000ème visiteur...

PS./ Geographedumonde sur la périurbanisation : Faire pipi dans les roseaux,


[1] L'Yonne (343.000 / + 18.000), la Haute-Vienne (365.000 / + 11.000), la Vienne (419.000 / + 37.000), le Tarn-et-Garonne (223.000 / + 21.000), la Somme (559.000 / + 11.000), la Savoie (403.000 / + 51.000) , la Sarthe (555.000 + 40.000), la Haute Saône (235.000 / + 6.000), les Pyrénées Orientales (425.000 / + 57.000), le Puy-de-Dôme (623.000 / + 25.000), La Moselle (1.039.000 / + 28.000), le Morbihan (693.000 / + 71.000), la Meurthe et Moselle (724.000 / + 12.000), la Mayenne (299.000 / + 21.000), la Manche (489.000 / + 9.000), le Maine-et-Loire (759.000 / + 52.000), le Lot (168.000 / + 12.000), la Haute-Loire (218.000 / + 11.000), le Loir-et-Cher (322.000 / + 15.000), les Landes (359.000 / + 46.000), le Jura (255.000 / + 6.000), l'Isère (1.172.000 / 148.000), l'Indre-et-Loire (571.000 / + 39.000), l'Ille-et-Vilaine (938.000 / + 133.000), l'Hérault (992.000 / + 186.000), la Gironde (1.386.000 / + 163.000), la Haute-Garonne (1.169.000 / + 230.000), le Finistère (879.000 / + 41.000), l'Eure-et-Loir (419.000 / + 20.000), l'Eure (565.000 / + 48.000), la Drôme (466.000 / + 49.000), le Doubs (515.000 / + 29.000), la Côte d'Or (514.000 / + 18.000), la Haute-Corse (150.000 / + 17.000), la Corse du Sud (129.000 / + 10.000), la Charente-Maritime (596.000 / + 65.000), le Calvados (666.000 / + 44.000), les Bouches-du-Rhône (1.916.000 / + 148.000), l'Aude (339.000 / + 38.000), l'Aube (299.000 / + 9.000) et l'Ardèche (304.000 / + 25.000). Estimations du nombre d'habitants par département en 2006 (INSEE), accompagnées du solde positif (1991 - 2006) - geographedumonde

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