mardi 29 juin 2010

Et si le sujet de l’épreuve de géographie pour le baccalauréat 2009 était…

Fort des prévisions de sites spécialisés (L'Etudiant), et deux jours avant l'épreuve officielle de géographie prévue le mercredi 24 juin 2009 pour les séries générales du bac, j'ai décidé de me lancer sur le thème Une interface Nord-Sud : le bassin méditerranéen. Voilà qui est dit, personne n'en doute, à l'exception des sceptiques. Evidemment, il me faut commencer par contourner la règle selon laquelle le candidat doit écrire sans l'aide de document. Mais la novlangue bloquant chez moi les synapses, je dois m'enquérir de la bonne définition. Qu'en dit le dictionnaire de Brunet (Les mots de la géographie / Reclus - La Documentation Française (1992) ? Je le promets, j'essaierai pour ceux qui me lisent sans penser au bac, de ne pas multiplier les assauts ennuyeux...
Interface : « Plan ou ligne de contact entre deux systèmes ou deux ensembles distincts. Nom féminin. Il s'y passe en général des phénomènes originaux : d'échanges entre les deux parties : de modification de l'une par l'autre ; d'exploitation de la différence par des entreprises, des villes, des populations entières. Les principales interfaces auxquelles la géographie a affaire sont l'interface entre air et terre, qui est le lieu de vie de l'humanité ; entre terre et mer, ou littoral ; entre montagne et plaine ; entre ville et campagne ; les sahels sont aussi des espaces d'interface ; les frontières et les fronts peuvent être à certains égards considérés comme interfaces. Le terme est également employé pour les espaces abstraits d'échange entre deux sciences différentes. Il peut se produire d'intéressantes innovations aux interfaces, par transfert, analogie, complémentarité, fertilisation croisée. »
Avec un zeste d'honnêteté, on admettra que la définition précédente n'est d'aucune utilité, ou presque. Il faudrait peut-être relancer la vieille discussion autour de la nouvelle géographie, et sur ses concepts tellement novateurs qu'ils ont fini par perdre leur acception première. Dans le sujet retenu en introduction, chacun notera que le mot interface pourrait céder la place au mot zone (ou espace) d'échange. Il ponctue ici un discours qui se donne l'air, l'expression visant à camoufler la gigantesque absence d'originalité du thème. Car les migrants, les commerçants, et les guerriers ont sillonné depuis des millénaires la Méditerranée, mer au milieu des terres. Je ne saurais trop recommander aux candidats de ne pas retranscrire dans le détail la première partie de ce paragraphe. Le correcteur apprécie généralement un ton révérencieux, et juge avec bonhommie celui qui lui donne l'impression d'enseigner LA chose primordiale entre toutes. Ce que le candidat pense du mot interface n'entre donc pas dans les limites supposées de ses attributions !
Ainsi donc la Méditerranée renvoie depuis des lustres aux héros, à la fondatrice de Carthage, à Ulysse et les sirènes, ou encore à Enée. Des peuples y commercent - les Phéniciens, les Egyptiens, etc. - d'autres essaiment le long de ses rivages de nouvelles cités - les Grecs. Certains transforment cette mer en chasse gardée, les Carthaginois d'abord, suivis des Romains. Et hop ! A peine entamé, le sujet fait glisser insensiblement de la géographie à l'histoire antique. Il faut s'en prémunir absolument. Le commerce ? Marseille, Barcelone, Gênes, Naples, Le Pirée, Thessalonique, Alexandrie, Alger sont autant de ports méditerranéens, recevant sur leurs quais des dizaines de millions de tonnes de marchandises. Pendant des siècles Venise a exercé son emprise sur la Méditerranée centrale et orientale. Du point de vue militaire, la Méditerranée a retrouvé au XIXème siècle son importance, avec la renaissance des ambitions impériales françaises (Maghreb), anglaises (Egypte, Malte, Chypre) et italiennes (Libye), puis avec l'ouverture du canal de Suez. Elle constitue même pendant trois ans, entre fin 1941 et juin 1944 le principal théâtre d'opération pour les Alliés occidentaux : combats contre l'Afrikakorps de Rommel en Libye et en Tunisie, débarquement en Sicile et combats dans la péninsule italienne.
Yves Lacoste donnait récemment sa propre synthèse sur le bassin méditerranéen, en montrant que l'adjectif méditerranéen dissimulait une hétérogénéité des climats et des paysages. « Cent-cinquante millions de personnes vivent sur les bords de la Méditerranée, dans des régions unifiées par les mêmes caractéristiques de sols et de climats. En passant de la rive septentrionale à la rive méridionale, l’été sec devient aride, commence plus tôt (dès mai) et termine plus tard (en octobre) : ce phénomène s’observe en Libye, en Egypte ou en Israël, pour lesquels un rapprochement avec le climat sahélien paraît presque plus indiqué. En Méditerranée, les précipitations ne se répartissent pas équitablement : les orages violents et les inondations qu’ils provoquent constituent une menace à la fois grave et banale.
Yves Lacoste récuse le caractère restrictif de la climatologie. Pour lui, le climat méditerranéen ne constitue qu’un élément secondaire, car il tient à considérer chacun des Etats donnant sur le bassin, dans sa globalité. Peu importe à ce titre qu’ils possèdent des marges désertiques (en Afrique) ou océaniques (en Europe occidentale). Ce biais lui permet en outre d’inclure la mer Noire dans son étude. Or celle-ci s’avère impuissante à contrecarrer les rigueurs du climat continental. A ce titre, en Bulgarie, en Ukraine ou dans le Caucase, l’été concentre une part importante des précipitations annuelles : à l’exact opposé de ce que l’on peut observer dans la zone méditerranéenne stricto sensu. » (Tintouin en Méditerranée) On notera que le désert progresse sur plusieurs territoires bordant la Méditerranée, en Espagne, en Sicile ou dans le Péloponnèse, autant que dans certains pays d'Afrique du Nord. Le pompage des nappes phréatiques en Libye, ou la salinisation du delta du Nil en Egypte résultant de l'urbanisation de la moyenne vallée et de la construction du barrage d'Assouan sont deux exemples récents de l'action néfaste de l'homme sur le milieu.
Pour que l'on se rapproche de la notion d'interface, il faut cependant partir du principe que l'étendue maritime ne sépare pas le rivage nord du rivage sud, et que la Méditerranée forme une frontière parmi d'autres : sa largeur maximale atteint tout de même 800 kilomètres. Les médias occidentaux ont certes forcé le trait. Les articles fleurissent sur les îles - étapes. A Lampedusa, les Italiens tentent de canaliser les courants migratoires. Malte se dépêtre tant bien que mal de clandestins tentant de rentrer en Europe. Quant aux îles grecques, beaucoup facilitent le passage entre l'Asie mineure et la péninsule balkanique, en dépit des efforts d'Athènes pour contrer le mouvement (Les evzones de mer). Il reste néanmoins à démontrer que la Méditerranée joue un rôle déterminant. Les faits démontrent autant le contraire ; beaucoup de bâteaux se renversent, ou se perdent en mer, précipitant leurs passagers vers une mort certaine. L'immigration par voie maritime est spectaculaire, mais ne concerne chaque année que quelques centaines de personnes. Les frontières orientales de l'Union offrent plus de recours pour les migrants. Jean Raspail avait évidemment senti le filon : Le Camp des Saints.
Ainsi, l'interface, la vraie, correspond à la frontière méridionale entre l'Union Européenne et le reste du monde. Pour prendre le cas de la Turquie, les candidats à l'entrée s'intéressent autant sinon plus (?) à sa frontière terrestre - et européenne (!) - avec la Bulgarie et la Grèce qu'aux îles grecques de mer Egée. La frontière - interface traverse de la même façon les Balkans, puisque se juxtaposent pays membres de l'Union et pays extérieurs à celle-ci : l'Albanie, la Croatie, la Macédoine, la Bosnie, le Kosovo et la Serbie. L'écart des législations et des coûts de main d'œuvre stimulent les échanges autant que le passage des clandestins. Du point de vue économique, la Méditerranée représente en réalité une zone d'échange relativement modeste, comparée à d'autres régions du monde.
Il y a des ports - voir plus haut - mais leur activité doit peu à l'interface. Si l'on prend le cas de Marseille (chiffres de janvier à mars 2009), les trois quarts du trafic proviennent des hydrocarbures. L'Algérie n'est qu'un exportateur parmi d'autres, au même titre que les pays du Golfe Persique ou que ceux du Golfe de Guinée. Les conteneurs (10 %) et le vrac arrivent du monde entier. Barcelone, avec moins de la moitié du trafic marseillais (environ 40 millions de tonnes), est un port davantage tourné vers les industries automobiles (Volkswagen), chimiques et électroniques. Les ports européens décrivent les réalités d'un commerce mondialisé plus que des échanges entre le nord et le sud de la Méditerranée. L'Algérie a perdu toute capacité industrielle (El Watan) et n'exporte que des matières premières (comme la Libye). Avec l'Egypte, elle reçoit des matières premières alimentaires, mais pas uniquement en provenance de l'Europe (Amérique du Nord). Deux pays pourraient éventuellement rentrer dans la catégorie recherchée : le Maroc (Au Maroc, le désert est si proche) et la Turquie (Au pays déraciné). Mais la Méditerranée ne les rejette pas loin de la rive nord. La Turquie rogne même sur le continent européen, tandis que Gibraltar sépare peu le Maroc du sud de l'Espagne. Et les échanges un temps suspendus entre les deux pays ont progressivement repris.
Alors la Méditerranée, interface ? Il reste au candidat du jour à broder sur les croisières pour touristes européens en goguette, à évoquer le trafic passager entre l'Espagne, la France, l'Italie d'une part, et le Maghreb d'autre part. La culture et les discours sur le dialogue euro-méditerranéen permettront d'agrémenter la conclusion. Mais je ne me vanterai pas en rendant ma copie. Conviction insuffisante, malgré un sujet passionnant, mais biaisé à cause de la formulation. Et si vous me lisez en tremblant à la pensée de l'épreuve d'après-demain, je vous conjure de ne rien prendre au pied de la lettre. A vous d'en tirer le meilleur, et bon courage !

Incrustation : aide-scolaire skyrock.

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