mardi 29 juin 2010

Comme si la désunion faisait la force… ! (De l’intolérance linguistique dans le BHV, et ailleurs)

Recapitulons. A la mi-décembre 2006, des journalistes montent à la télévision belge un canular sur une pseudo-indépendance des Flandres. La presse française monte en épingle ce qui n'est au fond qu'une plaisanterie. Au pire reprend-elle l'argumentaire des plus enragés. Au même moment, les nationalistes flamingants font leur miel de l'imbloglio institutionnel, de la fragilité de la monarchie, du coût des transferts financiers vers les régions francophones, ou encore de la corruption des élus wallons (Belges, belgitude, belligérance). Le charbon ne sort plus de la mine et les hauts-fourneaux tournent au ralenti. A Charleroi, la reconversion s'est étalée sur plusieurs décennies, à la fois coûteuse et peu efficace au regard des forts taux de chômage (Admirer la Sambre filer vers Namur et Maastricht).
De façon générale, dans la dynamique démographique belge, seule l'agglomération bruxelloise connaît une croissance positive, au contraire de ce que l'on observe dans le reste du pays (Les 'divorces de raison' plus rares que les mariages d'amour). La capitale souffre cependant de sous-investissement, faute de capter les ressources fiscales des ménages aisés résidant à l'extérieur, en banlieue. Le chômage y frappe plus qu'ailleurs, les jeunes bruxellois issus de l'immigration se heurtant au mur du bilinguisme, difficulté supplémentaire dans la recherche d'un emploi (En Belgique, ne pas confondre 'arène politique' et 'panier de crabes').
Geographedumonde revient donc à la Belgique après une jachère de dix-huit mois. Entre temps, l'ancien président de la région flamande Yves Leterme ayant remporté les élections générales a péniblement constitué un gouvernement, pour trébucher sur un obstacle imprévu. En s'immiscant dans le dossier de la fusion entre les banques Fortis et BNP-Paribas, Yves Leterme achève de liguer contre lui les moins défavorables à son égard. Il remet à la mi-décembre 2008 sa démission, cédant la place au démocrate-chrétien flamand (CD&V) Herman Van Rompuy. Albert II appelle un proche d'Yves Leterme issu de la même formation politique, en attendant un reconfiguration du paysage politique belge lors des élections de juin 2009.
Pour appâter les électeurs, les partis durablement déconsidérés cherchent à attirer sur eux caméras et micros, en faisant figurer sur leurs listes des vedettes du petit écran, des journalistes en quêtes de reconversion, des anciens sportifs, ou une ex-miss (Le Monde). Le personnel politique belge semble usé, apparemment assez inconscient des enjeux du moment (Le Progrès). Au cours du même mois de décembre, la fédération nationale de football profite de son côté de l'élimination des Diables Rouges pendant les phases préparatoires des dernières grandes compétitions internationales (Euro et Mondial) pour autoriser la création d'une ligue flamande ; comme si la désunion faisait la force. Les dirigeants de clubs de la région - capitale hésitent depuis sur la conduite à tenir, tandis qu'à Liège, certains anticiperaient une rentrée dans la Ligue 1 française... (Voir Le Monde).
Jean Quatremer se penche ce lundi 4 mai sur un point chaud de la campagne électorale lancée depuis quelques jours. Dans la circonscription de Bruxelles - Hal -Vilvorde (parfois réduite à l'acronyme BHV), la volonté des flamingants les plus déterminés d'aller à la confrontation ne fait pas de doute. Plusieurs élus probablement mis sous pression ont finalement décidé d'interdire l'affichage ou les tracts dans les boîtes aux lettres. A Affligem, le maire censure tout bonnement les affiches en français. Certains bureaux de votes n'ouvriront peut-être pas, à cause du refus des autorités belges de rattacher le BHV à la région des Flandres (Jean Quatremer). Ici ou là, des élus bafouent le droit en toute impunité. Cependant, « Lors d’une question orale posée mercredi dernier au parlement flamand par M. Van Eyken, le ministre flamand des Affaires intérieures, Marino Keulen, a expliqué que l’affichage était libre et n’était pas soumis aux lois linguistiques. Tous les partis se présentant aux élections devraient disposer d’un espace identique afin de respecter l’équité et la démocratie, a fait remarquer le député. L’UF [les quatre partis francophones] mettra dès lors tout en œuvre pour que les règles soient respectées. Elle usera de toutes les voies de recours possible dès qu’elle constatera qu’à tout le moins dans les deux communes précitées, les autorités publiques entravent l’affichage électoral des partis francophones. »
Même si l'absence de recensement depuis 1960 laisse planer un doute, l'immigration francophone dans la région capitale de Bruxelles - pourtant au milieu de la région flamande - a transformé les néerlandophones en minorité. Les résultats des listes francophones, les actes de l'Etat civil, les déclarations fiscales ou encore les demandes d'immatriculation automobile placent les néerlandophones à un niveau compris entre 10 et 20 % du million d'habitants que compte la région [source]. Les dix neufs communes du BHV situées dans la périphérie de Bruxelles - six sont dites à facilité, c'est-à-dire néerlandophones mais acceptant le recours au français - valent-elles que les Belges s'entredéchirent ? Y vit une population plus fortunée que la moyenne nationale, qui a modifié l'équilibre démographique préexistant à la périurbanisation du secteur autrefois rural et agricole. Cette banlieue dispose de plusieurs atouts, parmi lesquels l'université de Leuven, les aéroports (Zaventem et Brucargo spécialisé dans le fret).
Pourtant le chômage reste élevé. Pour justifier son volontarisme linguistique, le Gouvernement flamand met en avant les 38,5 % de demandeurs d'emplois non néerlandophones. Il fait mine d'ignorer une logique européenne d'abaissement des frontières et nie une vitalité démographique et économique des grandes agglomérations qui fait peu de cas du mono-linguisme (Lille - Courtrai ou Bâle - Mulhouse). Les partisans d'une complète séparation entre Flandres et Wallonie restent peu diserts sur le devenir de la sécurité sociale ou la concurrence fiscale entre zones [voir ici]. Même si l'on en perçoit que de faibles échos dans la presse parisienne, la question du BHV sert de prétexte à quelques excités pour discuter d'une frontière à la région des Flandres, comme les apparatchiks yougoslaves s'écharpaient à la fin des années 1980 à Belgrade.
Une longue interview de Paul-Henri Gendebien me servira de conclusion. Car on aurait tort de prendre trop à la légère l'argumentaire d'un wallon rattachiste, au prétexte que sa coterie - le Rassemblement Wallonie - France - ne pèse que 1 à 2 % aux élections belges. Il s'en vante lui-même, ses idées plaisent à un grand nombre de ses concitoyens francophones. Ma première remarque est d'ordre général. L'homme politique belge parle de la France comme d'une sorte de toile de fond évidente. A aucun moment, il ne mentionne toutefois que son souhait d'une intégration de la Wallonie n'intéresse pas grand monde dans l'Hexagone, qu'elle n'a donné lieu à aucune déclaration diplomatique à Paris ; outre le côté incongru et finalement fantaisiste d'une telle option. Non, la Belgique a toujours été une fiction, citation du député socialiste Jules Destrée en 1912 à l'appui. Oui, les nationalistes flamands portent l'intégralité de la faute du futur démembrement de la Belgique, explique Paul-Henri Gendebien la main sur le coeur. « À l’instar des Serbes de la fin des années 1980, les Flamands estiment que l’on ne négocie pas avec un faible, mais qu’on lui impose sa volonté. J’appelle cela de la violence politique par le recours abusif à la loi du nombre. On ne discute pas avec celui qui veut détruire l’objet même de la négociation, à savoir l’État belge lui-même. » Quel sens de la nuance.
La France attire parce que « les deux peuples appartiennent à la même aire culturelle, partageant une histoire et des valeurs communes. » Un peu plus loin, il invoque les mânes de Jules Michelet et de Charles de Gaulle. La France d'avant 1830 ramenée à rien, on trouvera la pilule un peu grosse à bon droit. Dans tous les cas, la Belgique ne conviendrait plus à l'urgence du moment, pays - mouchoir en papier jeté à la faveur d'une crise. « On voit bien que l’État belge ne possède ni les structures, ni la volonté, ni le personnel politique adéquats et encore moins les moyens financiers pour faire face à une crise qui accroît les inégalités sociales, le chômage et la dette publique. À cet égard, la saga Fortis a porté un coup fatal à la belgitude en déconfiture et a écorné ce qui restait de crédibilité internationale à la Belgique. On a nettement ressenti une méfiance – fort légitime – de la part de la France et des Pays-Bas vis-à-vis des autorités belges, qu’elles fussent politiques ou bancaires. » L'Etat redistributeur ou la France des valeurs communes ? L'un n'exclut visiblement pas l'autre ! Comprend-il seulement qu'Anvers souffrira par la contraction des échanges internationaux bien davantage que Charleroi, et que les nationalistes flamingants perdront bientôt l'argument d'une Flandres supportant économiquement la Wallonie ?
Paul-Henri Gendebien poursuit par une salve antiparlementariste pour mieux déconsidérer les partisans de l'indépendance de la Wallonie. A l'entendre, les hommes politiques belges ne brillent que par leur incompétence et leur corruption. Mais s'agit-il d'une spécificité belge et n'est-ce pas aussi ce que souhaitent les Belges eux-mêmes lorsqu'ils votent ? Pourquoi n'est-il pas parvenu à réunir sur son nom plus de suffrages ? Il pare en outre sa région d'attache d'oripeaux peu ragoûtants. « Nous sommes un conglomérat d’anciennes principautés ballottées par l’Histoire au gré des conflits et des traités. Au bout du compte, tout cela ne fait pas une nation, mais deux régions : la Wallonie et Bruxelles, la région wallonne étant elle-même tiraillée entre ses différentes sous-régions. Un Tournaisien ou un habitant de la province de Luxembourg ne se sent pas wallon, au même titre qu’un Liégeois ou un Namurois. Il n’existe pas de conscience nationale belge francophone. » Mais qu'à cela ne tienne, le rattachiste affiche sa certitude devant le mouvement de l'histoire. Peut-être espère t-il glaner quelques miettes dans le cas fort improbable d'une disparition de la frontière entre la France et la Wallonie. Il ne fait cependant aucun doute que les imbéciles qui cherchent des poux dans la tête des francophones du BHV assurent une publicité gratuite pour le Rassemblement Wallonie-France...

[1] Asse, Beersel, Dilbeek, Drogenbos (à facilité), Grimbergen, Hoeilaart, Kraainem (à f.), Linkebeek (à f.), Machelen, Meise, Merchtem, Overijse, Rhode-Saint-Genèse (à f.), Sint-Pieters-Leeuw, Tervuren (dépendant de Louvain), Vilvorde, Wemmel (à f.), Wezembeek-Oppem (à f.) et Zaventem.
Incrustation : La carte de la région - capitale, avec les communes du BHV à facilités en bleu ciel / les femmes réformatrices.

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