dimanche 27 juin 2010

Après l’Or du Rhin, l’argent des lacs de Saxe. (De la coûteuse réhabilitation des friches minières en Allemagne orientale)

En Allemagne, le respect de l'environnement implique à la fois la mise au ban du nucléaire et l'utilisation à grande échelle du lignite dans des centrales thermiques classiques. Celles-ci envoient dans l'atmosphère des gaz de combustion et des particules. Elles brûlent chaque année plus de 150 millions de tonnes de ce charbon terreux à faible pouvoir calorifique. Pour éviter le moindre surcoût, les centrales transforment le minerai en électricité au plus proche des bassins d'extraction. Bien sûr, les réserves minières allemandes garantissent un approvisionnement énergétique et une exploitation pérenne pour les décennies à venir : en maintenant ce niveau de consommation, pendant trois siècles. Seule la technique de creusement à ciel ouvert permet de dégager de telles quantités au prix du marché. Les excavatrices ont transformé des milliers d'hectares de pâturages et labours en cuvettes stériles, ponctuées de bourrelets de déchets.
Trois régions d'extraction se distinguent : en Rhénanie, à l'ouest de Düsseldorf et de Cologne (100 millions de tonnes), en basse – Lusace au sud de Berlin (50 millions), et dans le bassin de l'Elbe autour de Leipzig (autour de 20 millions). Ces friches minières ont suscité dès l'après-guerre l'intervention des pouvoirs publics en RFA. La République Démocratique d'Allemagne, en revanche, ne se souciait guère de la reconversion de ces vastes espaces abandonnés du jour au lendemain. Dans ce pays, modèle économique pour le bloc de Varsovie, les autorités communistes ont favorisé le développement industriel (en particulier la chimie) et aménagé les villes (électrification et chauffages collectifs) en s'appuyant sur une utilisation illimitée du lignite, unique ressource énergétique du pays. A elle seule, la RDA produisait en 1979 un peu plus de 250 millions de tonnes, ce qui plaçait le pays au premier rang mondial, devant la Chine. Dans le but de produire toujours davantage d'électricité, les autorités ont déplacé des dizaines de milliers d'Allemands, 26.000 pour la basse – Lusace, dans laquelle quatre-vingt villes et villages ont disparu.
Au même moment, en République Fédérale, l'extraction décline à cause de la main d'oeuvre trop chère, et des coûts de reconversion des sites. Pour autant, nombre de mines à ciel ouvert continuent à fonctionner. Mieux même, les chocs pétroliers des années 1970, ou plus tard la flambée des années 2000 rendent au lignite une part de son intérêt économique, malgré les conséquences humaines et écologiques de l'extraction. Les organisations et partis hostiles au nucléaire favorisent cette politique énergétique assez paradoxale, qui chasse l'agriculteur par engloutissement des sols. On va le voir un peu plus loin, les réhabilitations réussies ou en passe de l'être jouent un rôle indirectement pernicieux. La végétalisation et la mise en eau généralement choisies donnent la fausse impression d'un retour à la nature primitive. Or on ne reconstitue pas les paysages : on panse les plaies. Et même s'il s'agit de louer l'inventivité des aménageurs, les espaces obtenus sont beaux à l'oeil, et peuvent donner lieu à des activités de loisir. En revanche, ils ont perdu toute valeur foncière ou agricole, dans un pays où la densité moyenne est le double de la densité française : 230 habitants au km².
Certains acharnés pressent sans doute Berlin d'interdire l'extraction du lignite et les centrales thermiques brûlant ce minerai. Or il faut remettre en perspective la question. Le rapport coûts – bénéfices n'a manifestement pesé sur la consommation de lignite que dans la décennie qui s'achève. Jusqu'à la fin des années 1990, comme partout ailleurs dans le monde, le gouvernement allemand a favorisé l'offre plutôt que la demande électrique, par la multiplication des centrales autant que par les subventions allouées au secteur charbonnier. Michel Deshaies le notait en 2005 au FIG de Saint-Dié : « c'est donc au prix de subventions gigantesques, de l'ordre de 4,5 milliards d'Euros par an que l'on continue à extraire du charbon, le parlement ayant décidé de prolonger ces aides à l'industrie charbonnière jusqu'en 2005. » Encore aujourd'hui, la TVA représente moins de 20 % du montant d'une facture d'électricité en Allemagne. Entre 1979 et 2003, la production électrique cumulée des deux Allemagnes (RFA, 366 et RDA, 97) a cru d'un sixième : de 463 à 540 milliards de kWh (+ 16,7 %) [source]. Dans le même temps, la population a quasiment stagné : de 78 (61 + 17) à 82 millions d'habitants ! Cette hausse efface en outre les changements profonds relevés en Allemagne récemment. Le prix moyen du kWh a régulièrement augmenté en Allemagne depuis la libéralisation du marché de l'électricité, surtout au début des années 2000 [source]. Les Allemands paient le kWh aujourd'hui environ 50 % plus cher que les Français [source].
Dans l'Allemagne réunifiée, les sites miniers de basse – Lusace laissés à l'abandon commencent tout juste à changer de physionomie. Le land de Saxe vieillit. Ses densités rurales s'affaissent et les déplacés d'hier ne reviendront plus [1]. Michel Deshaies estime à 20 % les terres rendues à l'agriculture dans le secteur. Le chantier de reconversion des paysages – Rekultivierung – s'avère titanesque. Entamé au début des années 1990 pour terminer en 2020, il s'étend sur 800 km². « Sur les 215 sites exploités à ciel ouvert, 163 disparaîtront sous un réseau d'une trentaine de lacs reliés par des canaux. Ces 14.000 hectares constitueront alors la deuxième superficie d'eau douce du pays, après le lac de Constance.» Dépollution et aménagements des berges ont d'ores et déjà coûté huit milliards d'euros au contribuable allemand. Marcasite et pyrite remontées à la surface à la faveur de l'exploitation du lignite acidifieraient dans plusieurs secteurs les eaux de surface, sans une intervention préalable. Il faut en outre contrebalancer le remplissage des anciens bassins d'extraction par l'apport d'eaux de surface détournées des rivières Neisse, Spree et Elster [2]. Après l'or du Rhin, l'argent des lacs. Pour une vue complémentaire sur l'Internationale Bauausstellung [Exposition Internationale de la Construction] consacrée à ce chantier paysager de la Saxe orientale, il faut lire cet article du Temps.


PS./ Geographedumonde sur l'Allemagne : Ne pas confondre Allemande et Albanaise. Sur les questions environnementales : Les villes boulimiques se nourrissent des campagnes anorexiques.

[1] " Les premières destructions de villages ou de hameaux se produisent dans les années 20 en Lusace (Neu Laubusch, 1924) et en Allemagne centrale, au sud de Leipzig (Rusendorf, 1928/1933), ainsi qu'à Geiseltal (Rundstädt 1929/1931), en conséquence de la constitution des grandes exploitations en découverte. Mais, jusqu'aux années 50, ces déplacements de population restent encore très limités. Tout change avec le développement d'une exploitation intensive qui étend considérablement les surfaces des mines et multiplie les destructions de villages. Jusqu'au milieu des années 60, 80 hameaux ou villages de RDA ont ainsi été détruits, nécessitant le déplacement de 32700 personnes, dont la moitié dans le seul Bezirk de Halle, en particulier dans l'exploitation de Geiseltal qui est à l'époque encore la principale du pays. En Basse Lusace, moins densément peuplée et où l'exploitation est alors moins développée, le phénomène est plus limité puisque moins de 7000 personnes ont alors été déplacées. Au cours des années 70 et plus encore des années 80, les destructions de villages, et même de petites villes dépassant 3000 habitants se multiplient, en particulier dans le bassin de Leipzig où l'exploitation progresse sur la bordure sud de l'agglomération. Les villes de Magdeborn (3100 habitants) et de Bösdorf-Eythra (3200 habitants) sont ainsi déplacées entre 1977 et 1987. Les projets de développement de l'exploitation du lignite en RDA prévoyaient même le déplacement de villes plus importantes. Si la réunification n'était pas venue remettre en cause le rôle du lignite dans l'économie, c'est 70 000 à 90 000 personnes supplémentaires qui auraient dû être déplacées entre 1990 et 2030 pour permettre la poursuite de l'exploitation. » / Deshaies.
[2] Marie Verdier / l'Allemagne ses mines en lacs / La Croix / jeudi 29 mai 2008 / P.25

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire