mardi 29 juin 2010

Déviations obligatoires (Du chômage des jeunes et du chômage des vieux, à travers deux titres de la presse française)

Le supplément Economie du Monde daté du mardi 19 mai 2009 consacre son dossier central au chômage des jeunes en France et en Europe. Antoine Reverchon refuse l'alarmisme : il ne faut pas que les jeunes actifs se désespèrent. Il commence par les chiffres du mois de mars, et l'augmentation forte du nombre de chômeurs de moins de vingt ans, de 330.000 (03/08) à 450.000 (03/09). De façon perfide - pourquoi s'en priverait-il ? - le journaliste se moque ensuite d'une tradition gouvernementale vieille d'une trentaine d'années. On ne sait combien de gouvernements ont annoncé de Plans Jeunes. Le premier remonte à 1977, à l'époque de feu Raymond Barre.
En France, des débats furieux précèdent et / ou suivent généralement l'annonce de ces plans, les uns espérant une réforme du lycée en vue de l'adapter à l'entrée dans la vie professionnelle, les autres fustigeant toute concertation entre monde de l'enseignement et monde de l'entreprise. Antoine Reverchon dépasse ces querelles pour montrer le caractère occidental du problème. Il ne dissimule pas son scepticisme vis-à-vis de politiques englobant une population hétéroclite, du fait de l'âge, des compétences et des attentes. Car moins on est qualifié, plus on a de risque de chercher longtemps un emploi, et plus cet emploi sera précaire et mal payé. « Dès lors, une formation générale solide suivie d'une entrée progressive dans le monde du travail par la voie de l'alternance semble être le moyen de concilier ce qui paraissait inconciliable. » [1]
Polémique, Antoine Reverchon dégonfle un certain nombre de baudruches. Oui, un jeune actif sur quatre est au chômage, mais ce pourcentage n'a pas sensiblement évolué depuis trois décennies. Il reflète une situation vécue par les personnes en manque d'expérience ou non diplômées, davantage que par les jeunes en général. Six sur dix poursuivent en moyenne leurs études entre 15 et 24 ans. Non, les jeunes Français ne souffrent pas plus de leur âge que leurs voisins européens. Il se trouve qu'à l'étranger, nombre de pays rangent leurs jeunes en formation professionnelle dans la catégorie des actifs et non des scolaires. Oui, le diplôme continue de donner à son titulaire un avantage irremplaçable. « En 2007, la proportion de jeunes au chômage dans la génération 2004 était cinq fois plus importante pour les non-diplômés que pour les titulaires de masters. » Oui, l'importance des emplois précaires s'accroît. La part des contrats à durée déterminée est passée d'un quart en 1984, aux trois quarts en 2004. L'abaissement de la fiscalité pour les entreprises embauchant un jeune et l'autorisation du travail non (ou sous-) rémunéré ont produit l'effet inverse à celui recherché, par effet d'aubaine. « Pourtant, trois ans après la sortie de l'école, les deux tiers de la génération 2004 travaillaient en CDI, et 87 % à temps complet. »
Non, les diplômés, n'ont pas d'emplois déqualifiés. Après une phase probatoire d'une durée moyenne de trois années -le Cereq (Centre d'Etude et de Recherches sur les Qualifications) évalue à un quart les ouvriers qualifiés bacheliers, et à près de la moitié les employés / OS titulaires d'un diplôme du supérieur - les entreprises tiennent compte des compétences des uns et des autres, souvent dans une direction bien éloignée de la filière choisie au départ par le diplômé. Non, les grandes entreprises n'ont pas cessé de recruter, au contraire même. A la fin de la décennie 1990, le bilan des PME françaises a cependant été négatif, avec plus d'emplois perdus que créés. Depuis une vingtaine d'années, les entreprises liées à des grands groupes, soit juridiquement soit par le carnet de commandes, ont plus que d'autres contribué à créer des emplois en France. Ainsi les grands groupes ont allié stratégies externes (sous-traitance) et internes, caractérisées par un recrutement minimaliste qui exclut au maximum les carrières longues : les quinquagénaires en sont pour leurs frais, j'y reviendrai. De toutes façons, Antoine Reverchon conclut sur un espoir vain. Le départ des Baby-boomers ne produira pas d'effets globaux, mais éventuellement sectoriels - l'industrie automobile vieillissante risque par exemple d'embaucher moins que le secteur informatique - et en fonction des gains de productivité : « nombre de secteurs peuvent pallier les départs par le recours aux technologies, aux délocalisations ou à l'immigration. » [2]
Pour le lecteur insatisfait par le remarquable travail d'Antoine Revenchon, le supplément du Monde consacre deux autres articles à la situation des jeunes actifs en dehors de France. Au Royaume-Uni, Virginie Malingre indique que 676.000 jeunes actifs de 18 à 25 ans cherchent un emploi aujourd'hui, c'est-à-dire près d'un jeune actif sur six. Il est à craindre que la situation déjà politiquement périlleuse pour le gouvernement ne devienne explosive [voir aussi La crise à London]. La journaliste évoque des projections particulièrement sombres : trois millions de chômeurs en 2010, parmi lesquels 40 % âgés de 18 à 25 ans. N'en déplaise à la journaliste, les diplômés sortent quand même leur épingle du jeu. Selon l'OCDE en 2007, 55 % des jeunes actifs sans qualifications sont au chômage un an après leur sortie du système scolaire, au Royaume-Uni. Or la part des Britanniques ne poursuivant aucune étude supérieure a progressé au cours des années 1990 et 2000.
En Suède, Olivier Truc, relève qu'un quart des actifs de 15 à 24 ans sont au chômage, là aussi avec une courbe défavorable. L'Institut des statistiques suédois note que si l'on entrait dans la vie professionnelle à 21 ans en Suède en 1989, on y entre désormais à 26 ans, avec un emploi précaire quasi garanti. En Suède comme ailleurs, la vie des non-diplômés s'est nettement détériorée dans le même laps de temps. Les personnes interviewées par Olivier Truc, qu'il s'agisse d'un fonctionnaire, d'un syndicaliste ou d'un représentant du patronat suédois, manient sans vergogne les lieux communs dénoncés par Antoine Reverchon : diplômes inutiles, jeunesse opprimée, utilité des aides aux entreprises embauchant des jeunes ! Et à Stockholm ? [Du couple improbable ville - voitures (un péage urbain à Stockholm)]
Donc les gouvernants mentent lorsqu'ils prétendent remédier au problème du chômage des jeunes actifs. Avec La Croix, il me faut néanmoins boire le calice jusqu'à la lie. Le quotidien traite en page deux et trois du chômage des seniors. Des deux articles périphériques, il n'y a pas grand chose à redire : d'un côté un électricien de 58 ans bénéficie d'une loi l'autorisant à poursuivre une activité comme artisan (pourquoi pas...), de l'autre la présidente du mouvement Ethic (Entreprises de taille humaine indépendante et de croissance) critique le système français de pré-retraite. Elle se félicite d'une mesure récemment annoncée par le gouvernement pour taxer les entreprises licenciant des seniors, alors que celle-ci risque fort de bloquer davantage le recrutement des quinquagénaires. Bref.
Marie Dancer s'embrouille un peu malheureusement. L'emploi des seniors se dégrade sous l'effet de la crise annonce t-elle en effet. Une nouvelle catégorie de victimes serait née. « Après les jeunes, les seniors ? Les salariés de 55 ans et plus vont-ils à leur tour faire les frais de la crise, aux côtés des moins de 25 ans, des intérimaires et des personnes en fin de contrat à durée déterminée (CDD) ? » Les spécialistes dûment consultés abondent dans son sens, en mettant soigneusement de côté la question de la qualification, l'un expliquant que les jeunes et les seniors souffrent de la hausse du chômage (sic.), l'autre convoquant toutes les ressources de la sociologie de comptoir (« réflexe culturel ancré dans la société française »). Et tout le monde larmoie sur la France à la traîne, en se référant aux données statistiques : les quinquagénaires français travaillent moins, mais qu'en était-il des mêmes personnes il y a trente ans ? Quelle est la productivité moyenne d'un actif en France et dans d'autres pays européens ? etc.
Ne voulant heurter personne, Marie Dancer veut montrer un gouvernement combattif et compatissant vis-à-vis des actifs les plus âgés. Et voilà justifié le renvoi aux calendes grecques de la suppression de l'Allocation Equivalent Retraite. Car la pré-retraite co-financée par l'Etat arrange à la fois les chefs d'entreprises satisfaits de ne plus payer des salaires peu compétitifs et flatte des syndicalistes soucieux de plaire à leurs troupes. « Lors des derniers plans de licenciement que j’ai contribué à établir, raconte ainsi une avocate d’employeurs citée par Marie Dancier, ce sont les organisations syndicales qui m’ont pressée de prévoir des conditions de départ particulièrement attractives pour les plus âgés. Et les personnes directement concernées étaient elles-mêmes demandeuses. » Que le départ des préretraités n'apporte aucune solution au chômage des jeunes semble n'intéresser personne. Les quinquagénaires pré-retraités de demain viendront gonfler les rangs des travailleurs non déclarés et concurrenceront ceux qui travaillent légalement. En France, l'Etat s'endette donc pour se priver dans un second temps de ressources fiscales. Alors que le financement des retraites suscite de nombreuses interrogations.
En Allemagne, pays autrement alerté par le vieillissement [Ne pas confondre Allemande et Albanaise], le correspondant de La Croix raconte que les trois quarts des Allemands interrogés se sentent en forme. Le nombre de retraités actifs a cru fortement au cours des dernières années : de 506.000 à 702.000, depuis 2002. En Allemagne, le ministre du travail de la Chancelière Angela Merkel a lancé un programme destiné aux actifs âgés, baptisé perspective 50 ans +. Plus de la moitié (53 %) des 55 - 64 ans occupent d'ores et déjà un emploi, contre un peu plus d'un tiers (38 %) en France. Je dois bien avouer que le plan pré-retraite fonctionne mieux que les plans - jeunes... Comme dans cette incrustation.

PS./ Geographedumonde sur le vieillissement en France : Des lendemains qui chantent.
[1] Jeunes : le chômage n'est pas forcément une fatalité / Le Monde / Antoine Reverchon / Mardi 19 mai 2009.
[2] Dix idées reçues sur le chômage des jeunes / Le Monde / Antoine Reverchon / Mardi 19 mai 2009.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire