lundi 28 juin 2010

Pas de latex, mais du plastique. (La propagation du sida chez les migrants en Chine)

Confronté à l’épidémie du sida, le gouvernement de Pékin réagit… par un film documentaire. C’est l’accroche de l’article du Mail & Guardian consacré au risque d’infection chez les migrants chinois. Le quotidien sud-africain s’intéresse à une question depuis longtemps centrale en Afrique sub-saharienne pour les mêmes raisons [Une Poignée de Noix Fraîches]. L’acteur principal du court-métrage s’appelle Zhang Xiaohu et joue le personnage d’un mingong : un parmi 200 millions d’autres que compte la Chine. Ce migrant un peu particulier souffre du sida. Ces compagnons d’infortune le mettent de côté. Hier, semblent dire les autorités, la maladie frappait les homosexuels, les prostituées et les malchanceux donneurs de sangs et transfusés. Mais les années 1990 appartiennent au passé. Les stastistiques officielles tablent sur un taux d’infection de 0,05 %, c’est-à-dire 700.000 Chinois porteurs du virus. Le technocrate du ministère de la Santé interrogé par Lucy Hornby ne rassure malheureusement pas le lecteur. Au contraire, son discours brouillon donne la nausée. Qu’est-ce qu’une épidémie « peu répandue » si elle est en même temps « très courante » parmi les travailleurs clandestins ? De quelles régions veut-il parler lorsqu’il explique que certaines sont plus touchées que d’autres, et pourquoi ? [1]. Face au fléau, les autorités ne restent pas les bras ballants et veulent le faire savoir. Le doute s’insinue pourtant. Comment espèrent-elles toucher des hommes qui ne respectent pas les lois en vigueur ? Ils s’expatrient et dépensent une partie de leur paie chez les prostituées : l’article n’évoque pas la question taboue de l’homosexualité en milieu ouvrier. Les préservatifs coûtent en tout cas trop cher. La journaliste sud-africaine retranscrit toutefois une scène qui laisse rêveur. Sur un chantier, un fonctionnaire s’adresse aux ouvriers. « N’allez pas chez les putes ! » dit-il en substance. Fermez le ban [2]. A juste titre, la journaliste rappelle que les migrants courent plus que d’autres le risque d’attraper et de transmettre le sida. L’Afrique australe illustre largement cette catastrophe, dans laquelle beaucoup d’hommes célibataires travaillent dans les mines d’Afrique du Sud. Isolés et peu entourés affectivement, les migrants cachent (et se cachent) leur éventuelle séropositivité. Ils craignent de perdre leur emploi, d’être exclus du groupe, de ne pouvoir payer les médicaments nécessaires. Lorsque l’ignorance sur la maladie et sur ses modes de transmission s’ajoute au reste, l’épidémie s’auto-entretient. Les technocrates chinois luttent contre la propagation du sida ? Cette affirmation sous-tend l’article du Mail & Guardian mais ne convainc pas. Le Premier Ministre Wen Jiabao aborde la question en conférence de presse et promet des financements pour les anti-rétroviraux. Le ministre des Ressources Humaines et de la Sécurité Sociale, en collaboration avec le Bureau International du Travail - on y revient - sponsorise un court-métrage : le sida c’est dur et le rejet c’est mal… Le message s’avère en complet décalage avec l’urgence du moment. Deux questions planent de surcroît, par delà un constat cruel. La Chine a la taille d’un continent. Que des mingongs travaillent à des journées de train de chez eux ne constitue ni une nouveauté ni un fait révolutionnaire. On peut noter cet obstacle géographique. Nul ne peut y remédier. En revanche, pourquoi ne circule-t-on pas librement quand on est rural, alors que la clandestinité favorise la prolifération du sida ? L’Etat liberticide prétend mener une campagne de santé publique à l’Occidentale sur la nécessaire ouverture des esprits et le rejet des discriminations. Or il ne vient pas au secours des migrants malades puisqu’ils les déclarent clandestins : au nom d’un illusoire contrôle des populations et d’une régulation ratée des populations urbaines. A la faveur de la crise, beaucoup aujourd’hui perdent leur emploi : l’immobilier ralentit et de nombreuses industries exportatrices (jouet, habillement, sous-traitance automobile) ferment leurs portes. Le retour des mingongs infectés dans leurs villages d’origine risque fort de s’accompagner d’une recrudescence de la maladie. Pour quelles raisons en outre l’autorité morale fait-elle défaut à ceux qui discourent et se chargent de la prévention ? Alors que des milliers de vies humaines sont en balance, personne ne semble suffisamment prêter attention en Chine aux campagnes de santé publique. Une hypothèse s’impose. Les donneurs de leçons n’appliquent guère leurs préceptes. Ainsi Chen Liangyu, haut responsable de Shanghai, a avoué au moment de son arrestation entretenir rien moins qu’onze maitresses : a-t-il eu temps de leur dire adieu, l’histoire ne le précise pas ?! Il a également révélé que cette pratique était courante autour de lui… (Chine informations) De fait, les Chinois ne disposent d’aucun moyen pour distinguer le bon grain de l’ivraie dans les informations officielles : comment entendre la bonne alerte au milieu de la mauvaise propagande ? Qui sait si les Chinois dans leur majorité n’associent pas toujours le sida aux marginaux et aux exclus de la société ? Le sida signe aussi évidemment la misère morale et un manque d’amour caractéristiques d’une société obsédée par la réussite personnelle et les signes extérieurs de richesse. Les migrants parqués dans des baraquements n’en sortent souvent que pour se rendre sur leurs chantiers. Croient-ils assez en l’avenir pour se prémunir contre la maladie ? La confiance n’existe pas dans un pays où la corruption règne en maître. S’il fallait s’en convaincre, un autre article arrive à point nommé. Le Far Eastern Economics a en effet envoyé une journaliste pour enquêter sur le Sichuan six mois après le tremblement de terre du 12 mai dernier (numéro de novembre). Kathleen E. McLaughlin dresse un bilan accablant. Rien ne bouge. Les amoncellements de gravats ponctuent le paysage de Beichuan, la ville la plus ravagée par le séisme. Les sauveteurs ont déserté les rues. Des touristes obscènes les remplacent. La journaliste tente bien d’expliquer que leurs dépenses soutiennent un peu l’économie locale, mais eux se contentent de prendre des photos. Certaines touristes se promènent bien maquillées et en talons aiguilles, au milieu de leurs compatriotes survivants, qui attendent la reconstruction de leur maison ou une indemnité [3]. Les sinistrés interrogés par la journaliste maintiennent quand même leur confiance dans l’autorité centrale. Tous se plaignent en revanche des détournements de fonds publics à l’échelon local. Décembre commence et va frapper bientôt des Chinois vivant sous bâches (inquiétude valant l’hiver précédent) : Pas de latex, mais du plastique en pagaille…

PS./ Dernier papier de Geographedumonde sur la Chine : Le beurre, l’argent du beurre et la crémière.



[1] « ‘The epidemic is lowly prevalent in general but it is highly prevalent among specific groups such as migrant workers, and in some regions particularly remote areas and the countryside,’ said Wang Weizhen, deputy director of HIV/Aids prevention and treatment at the Ministry of Health, according to state media. » / Lucy Hornby / Mail & Guardian / 1er décembre 2008. [2] « ‘You must stay away from these women and keep yourself out of trouble, especially when you are working away from home,’ said Liu Guilin (38) at a dusty construction site in eastern Beijing. ‘There are many dark corners now in Beijing. There are always women coming up to you and trying to drag you away.’ » / Id. [3] « One group of young and middle-aged women in party dresses and heavy makeup teeter on high heels across the field of debris to pose for pictures as men in sport coats gesture and discuss the collapsed building. » / Kathleen E. McLaughlin / Far Eastern Economics / novembre 2008.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire