mardi 29 juin 2010

Les créoles au secours des békés. (De la crise sociale en Guadeloupe et en Martinique)

Il y a d'abord un potentiel agricole. Dans les Antilles, les conditions physiques sont favorables, même s'il convient immédiatement de les relativiser. Les sols volcaniques (Basse-Terre) se combinent rarement avec des surfaces planes. Le climat tropical antillais ne connaît aucune saison sèche à cause des alizés humides soufflant d'Est en Ouest. A Fort-de-France, les précipitations diminuent à partir de décembre pour en arriver à un plancher élevé (65 mm) au début du printemps. Le maximum de 255 mm correspond au mois de septembre, lorsque s'ouvre la saison des cyclones [source].
En 2009, l'agriculture guadeloupéenne illustre l'importance des plantations. La banane domine encore aujourd'hui, même si l'on perçoit une désaffection dans les deux dernières décennies. Sur 51.000 hectares de SAU, elle occupe environ un quart des surfaces, contre plus d'un tiers vingt ans plus tôt. La canne arrive après, avec 11 % de la surface agricole. On dénombre 5.700 exploitants (pour 9000 emplois directs) : en moyenne moins de 5 hectares.
Vingt-et-une zones agricoles structurent l'île de la Guadeloupe, avec un microfundio très répandu (cartes). Basse-Terre (surtout sa façade au vent, méridionale) garde davantage sa vocation de polyculture complétée par la banane : 5.000 hectares (10 % de la SAU) / 120.000 tonnes en moyenne. Le bananier servait au départ à protéger du soleil les plants de cacao et de café. Le grand cyclone de 1928 et l'inauguration d'une messagerie maritime assurant les liaisons entre l'île et la métropole ont lancé ce fruit en Guadeloupe. En 1962, Paris met en place un système de protection bientôt accepté par Bruxelles. La banane, premier fruit consommé dans le monde, en particulier dans les pays du Nord, a supplanté par la suite les autres productions. L'activité souffre aujourd'hui des cyclones, de la concurrence de la banane - dollar, des coûts de main d'oeuvre, de la remise en cause des pesticides. Dans les deux dernières décennies, la filière a entamé une phase de déclin relatif.
Ailleurs en Guadeloupe, sur Grande-Terre et à Marie-Galante, domine la canne. L'apogée date des années 1945 - 1965. Depuis, surfaces et productions régressent. 50 à 60.000 tonnes de sucre roux partent à l'exportation chaque année. Seules deux usines tournent encore, dont celle de Gardel qui totalisent 80 % de la production. Neuf distilleries transforment la canne pour le rhum, dont trois à Marie Galante. Le jus de canne soumis à fermentation donne du vin de canne faiblement alcoolisé (4 à 5 °C). Ce dernier est distillé et chauffé. Le produit à 70 ° est coupé avec de l'eau de source ou de l'eau distillée. Les meilleurs distillats vieillissent ensuite dans des vieux fûts de chêne, préalablement utilisés pour le whisky ou le cognac. Pour un rhum agricole on n'utilise pas la mélasse, résidu de la canne à sucre broyée. Au total, la filière fait vivre 30.000 personnes directement ou non. Les planteurs ne jouissent cependant plus des prérogatives longtemps considérées comme naturelles. [Chambre des métiers et de l'artisanat]
En Martinique, la canne à sucre perd du terrain, au point que les distilleries se ravitaillent en mélasse guadeloupéenne pour la fabrication de rhum industriel. Mais l'île produit deux à trois fois plus de rhum agricole. Elle subit cependant durement la stagnation de la consommation d'alcools forts dans les pays du Nord et la concurrence de rhums bas de gamme. La banane martiniquaise continue en revanche de progresser, du point de vue des surfaces plantées depuis 1981 (de 7.200 à 8.250 hectares). Les exploitations sont en moyenne plus étendues qu'en Guadeloupe : 4,1 hectares contre 2,2. Mais cette situation provient des 181 gros planteurs possédant les deux tiers des bananeraies (sur des surfaces moyennes supérieures à 30 hectares). Ananas et melon se développent également, ainsi que l'élevage... [source]
Le président du Conseil Régional de Martinique résume bien le paradoxe de l'agriculture antillaise qu'il dénonce parce qu'elle pollue, en même temps qu'il la subventionne au nom du soutien à la filière banane. Le Conseil Régional achète des terres par l'intermédiaire d'une SAFER pour contrer les effets négatifs de la pression immobilière, mais la constitution d'une telle réserve foncière fait monter les prix et n'agit pas sur l'octroi des permis de construire. Le personnel politique créole au secours des békés ? [source]
Chantal Maignan - universitaire rentrée récemment en politique [via Montray Kréyol] - assume ces contradictions. Elle met en doute la pertinence d'une production bio qui leurre une partie des professionnels, car rien n'empêchera à terme les exploitants africains ou américains de répondre au même cahier des charges et de dominer ensuite les marchés du Nord. De toutes façons, le chlordécone - principal pesticide utilisé dans les bananeraies - ne se diluera pas dans les nappes phréatiques avant de longues années, même si on le substitue par un autre produit moins polluant. Mais la femme politique ne remet pas en cause les aides publiques en elles-mêmes. Elle désire au contraire les réserver aux producteurs raisonnés et - lorsqu'elle existera (?) - à ceux qui répondront aux critères de qualité d'une future Appellation d'Origine Contrôlée. Elle réclame donc la protection des propriétaires martiniquais (pompeusement appelée droit du sol), et le renforcement des barrières douanières camouflées : par l'instauration de normes sanitaires sur les produits importés ou d'une TVA sociale « au profit de l'économie sociale agricole martiniquaise. » [source] Pour des îles sans frontières terrestres, quelle prouesse...
Les Guadeloupéens et les Martiniquais subissent les conséquences des politiques précédentes. La vie chère à l'origine de la grève générale qui paralyse la Guadeloupe depuis la mi-janvier 2009 résulte en partie de la présence saisonnière ou à l'année d'Européens à fort pouvoir d'achat, des fonctionnaires bénéficiaires de primes spéciales, ou encore des taxes sur les produits pétroliers. Toutes ces causes apparaissent dans la presse, si l'on lit par exemple Béatrice Gurrey dans le Monde. Il convient d'ajouter la politique migratoire (les habitants de la Dominique ne peuvent facilement travailler en Guadeloupe ou en Martinique) ainsi que l'impact de l'économie souterraine. Dans Quillards et cocaïne, il y a deux ans et demi, geographedumonde relevait l'impact de la navigation de plaisance sur les déplacements de personnes dans les Caraïbes, et les liens manifestes entre transit de drogue et cabotage dans les Petites Antilles (carte).
Mais la vie chère signifie surtout l'échec de l'interventionnisme en matière agricole. La pollution des eaux courantes l'illustre au plan environnemental. Du point de vue économique, la banane - et secondairement la canne - en bénéficiant d'aides et de subventions ont en partie déstabilisé les autres activités agricoles, en monopolisant les terres arables et en gonflant artificiellement les coûts de la main d'oeuvre agricole. Les produits courants extra-antillais coûtent cher dans les DOM, au contraire des deux décennies précédentes (1980 - 2000). Le problème est toutefois moins dans ces importations que dans la faiblesse du secteur productif et dans la dépendance vis-à-vis des transferts financiers de la métropole.
PS./ Geographedumonde sur les questions agricoles : Le bonheur est-il dans le pré ?

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