lundi 28 juin 2010

Révolution en Chine : le compte à rebours a commencé. (Du préambule de la Charte 08)

Le document ouvre des perspectives insoupçonnables. Il réunit trois cents Chinois ayant des responsabilités administratives, ou se distinguant par leurs qualités intellectuelles et artistiques. Les signataires mettent en péril leur avenir professionnel, éventuellement leur intégrité physique. Jusque là, peu occupaient le devant de la scène. Il en résulte que les autorités de Pékin auront quelques difficultés à taxer la Charte 08 de document anti-chinois rédigé par des dissidents haineux stipendiés par l’Occident. Dans ce texte, la société civile semble parler d’une voix unanime, sans verser dans la polémique. Aucun mot n’arrive au hasard. Le document impressionne par ses attendus. Remémorant l’histoire de la Chine communiste, les signataires s’autorisent à un inventaire qui n’épargne rien ni personne. Le lecteur cherchera en vain un argument qui disculperait tel ou tel, qui atténuerait les crimes commis par le régime. Leur tranquille réquisitoire est paradoxal, sans noms - même celui du Grand Timonier n’apparaît pas - et surtout sans référence systématique à l’idéologie officielle. En n’utilisant qu’une fois l’adjectif communiste, les signataires montrent qu’ils n’estiment même pas nécessaire de discuter de ses prétentions. Il ne fait aucun doute qu’à leurs yeux le communisme appartient à un passé révolu. Au moment d’évoquer l’Ouverture qui a suivi la mort de Mao en 1976, ils en tempèrent tout de suite les effets par l’évocation des bénéficiaires : non pas le peuple chinois dans son ensemble, non pas une majorité. En Chine, si beaucoup (many) s’enrichissent, écrivent-ils, cela n’indique pas grand chose en terme de répartition. Une minorité se dénombre par millions. Evidemment, en choisissant une poignée de dates pour ponctuer la démonstration, les trois cents Chinois s’exposent à la critique. Or le singulier qui prévaut pour qualifier le peuple chinois et la Chine fait réfléchir. Un gage de foi nationaliste conditionne sans doute la bonne réception de la Charte auprès d’un public un peu élargi. L’ex - empire englobe toutefois plusieurs marges plus ou moins liées à la Chine des Hans. Les Mandchous ont donné des dynasties régnantes, dont celle des T’sing (Qing) qui s’est éteinte avec Pu Yi, le dernier empereur. Une frontière internationale sépare depuis la même époque les Mongols intérieurs de leurs frères indépendants. En Asie centrale ou au Tibet, Pékin a purement et simplement procédé à une annexion brutale (Une Poignée de Noix Fraïches). Si le groupe majoritaire des Hans compte près d’un milliard d’individus, des dizaines de peuples gravissent autour, qui forment une mosaïque hétérogène, en particulier dans la partie sud du pays, aux confins de la péninsule indochinoise (source) ou près de la mer de Chine. A côté des boudhistes, il faut en outre compter les groupes religieux minoritaires, le christianisme s’est répandu en Chine en même temps qu’en Europe du Nord ou en Russie (source) ; les musulmans chinois se réfèrent à une origine bien antérieure aux musulmans noirs africains (source). Un Hongkongais ou un Shanghaïen ont peu en commun avec des riziculteurs du Bassin Rouge. En se référant à une Chine unifiée, les auteurs de la Charte 08 n’ont pas osé aborder la question de l’impérialisme chinois. L’analyse d’un retard de la Chine par rapport à l’Occident au XIXème siècle révèle justement un pays au centre du monde, sans voisins. La référence à l’échec des réformes de l’été 1898 (source) gomme le déclenchement de la guerre des Boxers quelques mois plus tard, sujet toujours sensible en Chine (Une Poignée de Noix Fraîches). Or celle-ci révèle que l’empire ne souffrait pas seulement d’archaïsme politique, mais aussi d’un retard des structures économiques, parfois d’obscurantisme : le racisme ou le millénarisme des Boxers séduisent les foules et pas uniquement des puissants de la cour impériale (source). Dans l’histoire retenue n’apparaissent ni l’intervention en Corée, ni la guerre de 1979 contre le Vietnam (source), ni le soutien aux Khmers rouges (source) ou au régime birman. L’unique allusion aux Nationalistes passe également sous silence la question de Taiwan. Un repentir ne s’impose pas forcément. Il n’en reste pas moins que ces décisions passées empoisonnent toujours les relations de la Chine avec ses pays voisins, et au-delà. La reconnaissance d’un contexte géographique et historique éclairerait un tableau à mon sens excessivement noir. Que l’on rende les Seigneurs de la guerre responsables de tous les malheurs du pays ne doit pas effacer par exemple l’impact de la crise économique mondiale des années 1930 ou de la Seconde guerre mondiale : [après 1911] « la Chine a cependant basculé dans l’anarchie, la carte du pays ressemblant bientôt à un puzzle, chaque pièce correspondant à un territoire contrôlé par un Seigneur de la guerre. […] L’échec conjoint du renforcement intérieur et de la rénovation politique a amené nos anciens à se demander si une tare d’ordre etho-culturelle n’affligeait pas notre pays. Cela a conduit au mouvement du 4 mai à la fin des années 1910, qui pronait de concilier science et démocratie. Pourtant, cette tentative fut sans lendemain, à l’instar des précédentes, par l’effort conjugué des Seigneurs de la guerre. » [voir à la fin] Plutôt qu’une plate paraphrase de la Charte, et en repensant à Jan Potocka (ici), porte-parole des Tchécoslovaques de 1977, j’ai choisi d’en faire la traduction partielle via la version anglaise de Perry Link. Mon intérêt s’est porté sur le préambule davantage que sur l’exposé des principes et des dix-neuf doléances terminales. J’en ai quand même rappelé les grandes lignes, et en retiens les allusions à la corruption endémique des fonctionnaires (Point 5. Un contrôle public des fonctionnaires), au traitement injuste réservé aux ruraux (Point 8. L’égalité entre ruraux et citadins), à la sous-évaluation du yuan (Point 15. Une réforme des finances publiques et des impôts) et à la destruction de la nature, qu’il s’agisse de la désertification ou de l’aménagement des Trois-Gorges (Point 17. La protection de l’environnement). L’appel au respect des libertés religieuses et au fédéralisme méritent également d’être mentionné pour nuancer les critiques précédentes. On retrouvera l’ensemble à la fin de ce papier. De toutes façons, le doute n’est plus permis. Concernant la révolution en Chine, le compte à rebours a commencé !

PS./ Dernier papier sur la Chine : Le beurre, l’argent du beurre et la crémière (De la nourriture comme élément consolidateur du pouvoir chinois) / Photo : Liu Xiaobo


Charte 08. Traduit du chinois par Perry Link [et traduit de l’anglais par GEOGRAPHEDUMONDE]. Le document ci-joint, co-signé par 300 citoyens sortant de l’ordinaire [prominent chinese citizens], trouve son origine et reprend les principes de la Charte 77. Celle-ci émanait de plus de 200 intellectuels tchèques et slovaques, qui, malgré leurs divergences, s’associaient pour réclamer le respect des droits de l’Homme et des libertés politiques dans leur pays et à travers le monde. Le document chinois n’appelle pas à un dépoussiérage du système politique chinois actuellement en place, mais à sa mutation irréversible passant par l’abandon du parti unique. Il appelle de ses vœux l’apparition d’un nouveau système, à la fois démocratique et respectueux des droits de l’Homme. Les citoyens sortant de l’ordinaire qui ont apposé leur signature appartiennent pour certains d’entre eux à la structure - fonctionnaires provinciaux et chefs locaux - et pour d’autres non, mais ils débordent du cadre habituel des dissidents et intellectuels. Ils ont choisi le 10 décembre, date anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, pour faire connaître leur désir profond de voir s’installer un Etat de droit démocratique. Ils gagent que cette Charte servira de document de départ pour mener une réforme fondamentale de la Chine continentale. Les signataires formeront à l’avenir un groupe prêt à s’élargir à tous les hommes de bonne volonté, mais convaincu de l’objectif à poursuivre : la démocratisation et la protection des droits de l’Homme en Chine et au-delà. Le 8 décembre, Zhang Zuhua et Liu Xiaobo [photo] deux des signataires les plus reconnus ont été arrêtés. Pour l’heure, seul le premier a été libéré. Préambule. Cent ans se sont écoulés depuis la rédaction en Chine de la première Constitution, 2008 marquant également le soixantième anniversaire de la promulgation de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le trentième anniversaire de l’érection du mur de la démocratie à Pékin et le dixième anniversaire de la signature par la Chine de la Convention Internationale des Droits Civils et Politiques. Nous fêterons par ailleurs l’an prochain les vingt ans du Printemps de Tiananmen durant lequel furent massacrés les étudiants réclamant plus de démocratie. Le peuple chinois, qui a subi dans la même période une régression des droits de l’Homme et une agression constante se rallie désormais à ceux qui considèrent que la liberté, l’égalité et les droits de l’Homme sont valables pour toute l’humanité, que la démocratie et un gouvernement constitutionnel constituent les données de base pour protéger ces valeurs. En s’affranchissant de ces conditions minimales, la politique de « Modernisation » pronée par le gouvernement s’est révélée désastreuse. Au nom de celle-ci, on a dépouillé les gens, foulé aux pieds leur dignité, et perverti toutes les relations sociales. Nous posons la question : quelle direction prend la Chine au XXIème siècle ? Verra-t-on se poursuivre la « Modernisation » à marche forcée ou au contraire la Chine se réconciliera-t-elle avec les valeurs humaines universelles pour rentrer dans le concert des nations civilisées et construire une société démocratique. Ces questions, il faudra bien y répondre. La confrontation avec les Occidentaux au XIXème siècle a mis en lumière les failles d’une monarchie décadente. Elle a provoqué un cycle inédit de changements en Chine. Le rattrapage qui a suivi s’est limité toutefois aux matériels militaires ou encore au savoir scientifique. La défaite navale de 1895 face au Japon a montré le retard politique de la Chine. Le premières tentatives de réforme de l’été 1898 ont malheureusement avorté par la faute des ultra-conservateurs complotant à la Cour impériale. Lors de la révolution de 1911, la première république asiatique de l’histoire a renversé l’ordre ancien censé résister à l’épreuve du temps. Mais les tensions sociales dans notre pays et la réalité du monde extérieur en ont décidé autrement ; la Chine a cependant basculé dans l’anarchie, la carte du pays ressemblant bientôt à un puzzle, chaque pièce correspondant à un territoire contrôlé par un Seigneur de la guerre. La République était morte-née. L’échec conjoint du renforcement intérieur et de la rénovation politique a amené nos anciens à se demander si une tare d’ordre etho-culturelle n’affligeait pas notre pays. Cela a conduit au mouvement du 4 mai à la fin des années 1910, qui pronait de concilier science et démocratie. Pourtant, cette tentative fut sans lendemain, à l’instar des précédentes, par l’effort conjugué des Seigneurs de la guerre. L’invasion japonaise en Mandchourie en 1931 survint alors, révélant la crise nationale. La victoire sur le Japon en 1945 a ouvert une perspective quant à l’instauration d’un gouvernement moderne, mais la défaite des Nationalistes face aux Communistes a précipité la nation dans l’ornière du totalitarisme. La « Nouvelle Chine » née en 1949 a certes annoncé que le « peuple était souverain ». Dans les faits, le parti a capté à son profit tous les pouvoirs. Le Parti Communiste Chinois a investi tous les échelons de responsabilité, tant politiques, qu’économiques et sociaux. De là, il a ensuite déclenché des réactions en chaîne, les désastres humanitaires se succédant les uns aux autres : la chasse aux Droitistes (1957), le Grand Bond en Avant (1958-1960), la Révolution Culturelle (1966-1969) et les massacres de juin 1989 à Pékin. S’y ajoutent les persécutions contre les religions interdites et l’interdiction du mouvement des droits du Weiquan [celui-ce se propose de défendre les droits du citoyen, tels que consignés dans la Constitution Chinoise et dans les conventions internationales officiellement approuvées par le gouvernement de Pékin]. Au cours de cette période, le peuple chinois a payé le prix fort. Des dizaines de millions de personnes ont perdu la vie et plusieurs générations ont vécu privées de liberté, de bonheur, leur dignité humaine systématiquement bafouée. Pendant les deux dernières décennies du XXème siècle, la ligne politique baptisée « Réforme et Ouverture » a sorti le peuple chinois d’une misère généralisée et du totalitarisme maoïste. On a observé une amélioration des revenus et du niveau de vie pour beaucoup de Chinois, en même temps qu’une timide restauration des droits et libertés économiques. Une société civile a éclos, avec une demande insistante pour davantage de droits et de libertés. Comme les autorités ont fait un pas en faveur de la propriété privée et de l’économie de marché, elles ont contre leur gré infléchi leur approche des droits fondamentaux. En 1998, le gouvernement a approuvé deux importants conventions internationales ; en 2004, il a amendé la Constitution pour incorporer une notion de « respect et de protection des droits de l’Homme » ; cette année 2008 marque l’engagement de lutter en faveur des droits de l’Homme à l’échelle nationale. Malheureusement, ces quelques avancées sur le papier ont rencontré peu d’échos dans la réalité. Le bilan est désespérant : la corruption endémique, l’Etat de droit sans cesse moqué, les droits de l’Homme négligés, l’éthique collective inexistante, le capitalisme réduit à un cercle d’initiés, le fossé entre riches et pauvres toujours plus grand, l’environnement naturel et patrimonial systématiquement saccagé, les conflits entre officiels et particuliers chaque jour plus nombreux. Comme cette spirale semble ne jamais s’arrêter, que les cercles dirigeants continuent d’en rire tout en refusant au simple citoyen le droit d’être libre, propriétaire, heureux, nous voyons les petits et les sans-grades se rebeller : les plus fragiles, ceux que l’on a intimidés ou baillonnés, que l’on a frappés et torturés sans recours juridiques possibles. Tous détiennent le pouvoir de déclencher des conflits aux conséquences désastreuses. FIN du PREAMBULE. Suivent un exposé des principes fondamentaux retenus par les signataires de la Charte 08 (Liberté, Droits de l’Homme, Egalité, Référence au système républicain, démocratique et constitutionnel) et une liste de doléances non négociables en 19 points : 1. Une Nouvelle Constitution. 2. La séparation des pouvoirs. 3. Un pouvoir législatif indépendant. 4. Un pouvoir judiciaire indépendant. 5. Un contrôle public des fonctionnaires. 6. L’affirmation des droits fondamentaux. 7. L’élection des fonctionnaires. 8. L’égalité entre ruraux et citadins. 9. La liberté d’association. 10. La liberté de créer un parti. 11. La liberté d’expression. 12. La liberté religieuse. 13. Le droit à l’éducation. 14. La protection de la propriété privée. 15. Une réforme des finances publiques et des impôts. 16. La sécurité sociale. 17. La protection de l’environnement. 18. Une république fédérale. 19. La vérité pour la réconciliation. Conclusion

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