mardi 29 juin 2010

Paris capitale du monde ? (Du film 'Taken', succès dans les salles non françaises).

Alors que les Québecois ont traduit consciencieusement le titre par L'Enlèvement, la version projetée en France a gardé son titre international, Taken. Mieux valait probablement le slogan lapidaire qui n'éveille aucune compréhension pour un Français, plutôt qu'un équivalent qui édulcorerait le message et diminuerait l'attractivité du film. Il n'empêche que Taken n'a pas déplacé les foules hexagonales, contrairement à ce que l'on a observé ailleurs en Europe ou en Amérique du Nord. C'est à l'occasion d'une diffusion par Canal + que j'ai découvert le film, plus d'un an et demi après sa sortie. Même si Pierre Morel a réalisé Taken, Luc Besson l'a produit après avoir écrit le scénario. L'un et l'autre doivent se réjouir du montant des recettes engrangées, qui place le film français par ses auteurs plus que par ses acteurs dans la liste des bonnes exportations.
Taken ne surprend à aucun moment le spectateur du point de vue artistique. On retrouve un peu du film Frantic de Polanski, à la nuance près que Liam Neeson ne parvient pas à exprimer un tiers du jeu d'Harrison Ford. Le premier vole d'un truand à un autre en expert alors que le second se révèle déterminé mais gauche. Le premier ne se repose à aucun moment tandis que le second se fatigue au fur et à mesure que semble s'éloigner la perspective d'une retrouvaille avec l'enlevée ; en l'occurrence, sa femme et non sa fille. Dans Frantic tout désarçonne le spectateur. Dans Taken, il faut seulement compter les coups pour patienter jusqu'aux retrouvailles finales entre le héros et sa fille. Luc Besson lorgne aussi du côté de Nikita mais perd dans l'allusion le charme de l'original, dans lequel les personnages se heurtaient à la violence d'Etat, et tentaient de se révolter. Le scénariste de Taken fait en revanche l'économie des doutes et des interrogations. Même la magie des nouvelles technologies et la séduction des armements sophistiqués ont été gommées, au nom de la sobre efficacité.
L'objectif de l'auteur est autre, de captiver l'attention sans que celle-ci ne retombe à aucun moment, même si le cimetière du Père-Lachaise n'aurait pas assez de place pour enterrer tous les cadavres abandonnés au fil du récit. Un père jeune retraité de la CIA mène une enquête au pas de charge pour retrouver sa fille enlevée par une bande organisée à Paris. Une fois ces éléments communiqués au spectateur, la caméra suit les pérégrinations du héros. Le héros pose peu de questions parce que ses interlocuteurs s'entêtent à lui tenir la dragée haute. De toutes façons, rien ne le fait reculer. Et puis, il recherche essentiellement une confirmation de ce qu'il sait déjà. Je ne me lancerai pas dans une étude poussée des dialogues et des images, mais de nombreuses scènes forment un ensemble aussi cohérent que détestable. Comme une sorte de plaidoyer pro domo de la brutalité. Je n'ajoute pas l'adjectif ambigu du fait de l'épilogue : le héros a ramené sa fille au bercail et sourit aux anges, satisfait du devoir accompli. Si Luc Besson désirait condamner la violence, comment a-t-il réussi à dissimuler aussi parfaitement sa critique ?
Tout porte au contraire à croire qu'il recherche à plaire au plus grand nombre, avec raison malheureusement. En cela le film me semble intéressant et inquiétant à la fois. L'ex - agent Bryan Mills se distingue nettement de James Bond. Il travaille pour son compte, comme une sorte de Charles Bronson en expédition punitive dans la capitale française et non au service de sa majesté. Il s'aide de ses connaissances personnelles sur place, mais agit en solitaire. C'est un homme au physique passe-partout, sans grâce ni élégance. Bryan Mills va droit au but et renvoie l'agent des services secrets britanniques à une sorte de dilletante dont les réussites tiendraient en partie au hasard. Le Nord-Américain applique froidement sa méthode, méprisant le haut fonctionnaire français sur lequel il ne peut pas compter. Le reste en découle.
Pourquoi faut-il regretter un succès à l'étranger du film de Besson ? N'est-ce pas au fond une affaire de goût ? En 2008, à l'heure où le président G.W. Bush achevait son second mandat, le cinéaste français a donné à la violence d'Etat une sorte de publicité, si ce n'est de légitimation. Il ne fait preuve d'aucune originalité compte tenu des dizaine de films et de séries portant sur ce sujet, dont rafole Hollywood. En choisissant de mettre en scène un agent de la CIA, il ne peut ignorer la détention de dizaines de prisonniers étrangers à Guantanamo, et les polémiques autour des interrogatoires musclés de l'Agence de renseignement américaine. Sauf que dans Taken, l'argument essentiel de la lutte contre le terrorisme disparaît. L'ex - agent Bryan Mills se bagarre pour récupérer sa fille enlevée. N'est-ce pas la plus noble des missions, qui autoriserait toutes les exactions ?
Car il n'en manque pas beaucoup, et je gage que cette barbarie tranquille et décomplexée a précisément séduit le public occidental. Les grosses berlines allemandes circulent tous phares allumés un peu partout dans Paris, mais de préférence sur les voies sur berges et en sens interdit. Bryan Mills ne lutte pas seulement pour parer les coups ou pour neutraliser son (ses) agresseur(s). Il les achève, bruitage et caméra à l'appui, comme autant de sacrifices successifs destinés à soulager le spectateur coincé dans son fauteuil et vengé de toutes ses frustrations. Le sang gicle, les os cognent et les articulations du cou craquent. Une fusillade commence ? L'ex - agent ne reçoit aucune balle et ne rate pas une cible. Lieu commun du cinéma d'action ? Le héros se fait cependant plaisir à bon compte, tirant dans le dos d'un voyou qui ne cherche qu'à s'échapper. Un commanditaire du rapt tombe entre ses mains ? Il le blesse pour ob
tenir un dernier renseignement puis l'exécute froidement, de plusieurs balles.
A un moment, le spécialiste de la CIA bloque faute d'indices. Il lui faut alors interroger un bandit attaché qui veut rester bouche cousue. Qu'à cela ne tienne, Bryan Mills se métamorphose en électricien. Pendant ce temps, la caméra tourne la séance de torture, répugnante parce que ponctuée de commentaires apparemment cyniques. Que voulez-vous, le méchant barbu appartient à un réseau mafieux qui enlève les jeunes filles par milliers, les drogue et les prostitue. Alors si avec tout cela, on ne peut pas jouer au guestapiste et se distraire avec du 220 volts en toute tranquillité ? Car la fille de Bryan Mills est vierge, apprend-on soudain, ce qui ne peut qu'exciter la convoitise de riches vieux lubriques levantins.
La France qui sert de toile de fond à ce succès de box-office fait dresser les cheveux sur la tête, une sorte d'insulte à la carte postale du candidat UMP des dernières élections présidentielles. Je ne veux pas faire de procès d'intention à Luc Besson, s'il veut remercier à sa manière (...) les autorités françaises en contrepartie des nombreux laisser-passer obtenus pour tourner en plein Paris. Je comprend mieux ses prises de position au moment des émeutes urbaines (ici). Le succès au box-office m'interpelle davantage plus que les présupposés du producteur de cinéma. Que retient-on en effet de la France à l'extérieur de nos frontières, qui fasse un décor crédible ? Les deux seuls fonctionnaires présentés ne brillent pas par leurs mérites. L'ancien ami de Bryan Mills touche sa part de gâteau, et l'autre organise dans un sous-sol d'hôtel parisien des enchères d'un genre particulier, puisque l'on y vend des femmes - esclaves sexuelles. La police française balance entre soutien coupable aux chefs corrompus et absence quasi criminelle : à Paris, on vole, on trafique, on tue en plein jour... Que fait le ministre de l'Intérieur ?
Je passe sur les lieux mal éclairés, les hôtels louches, et la Porte de Clichy transformée en foire aux putes. Tirana a débordé sur le 10ème arrondissement, et les Albanais envahissent Paris, tous plus bandits et truands les uns que les autres. Ils sont cruels aussi, en particulier vis-à-vis des femmes. Parce qu'à Paris, l'enlèvement des belles étrangères menace à chaque coin de rue. On découvre également une gigantesque cimenterie à côté de Paris (?) dans laquelle la mafia albanaise a élu domicile, avec tous ses méchants basanés et armés, et ses containers compartimentées en petites cellules occupées par des prostituées : la France-Albanie, pays du sexe tarifé, de l'immigration non réglementée.
Les scènes nocturnes ne manquent pas de charme, et mettent effectivement en valeur une ville majestueuse et illuminée. Je repense à une bluette vue récemment, Tout peut arriver (2004) de Nancy Meyers, avec Jack Nicholson et Diane Keaton. Quelques scènes tournées à Paris sauvent quelque peu le film. On y admire la capitale nocturne, ses ponts légèrement réhaussés par les éclairages et les bateaux - mouches naviguant sur la Seine. Mais c'est la vision d'une ville - pied à terre pour millionnaire américain, qui viennent chercher la chaleur des brasseries où l'on s'asseoit sur les banquettes de cuir, le dos tourné aux miroirs, dans une atmosphère fiévreuse et excitante. Dans cette ville destination, le bourgeois en goguette vient des quatre coins de la planète pour déclarer sa flamme et se jurer fidélité.
Paris, capitale du monde ? La filmographie témoigne d'un rang maintenu. Les Français en tireront à tort fierté. Paris, capitale politique d'un Etat centralisé et admiré ? La Sorbonne, la bohème canaille et Saint-Germain des Prés ? De tout cela, il ne semble rien rester. Si Paris est une capitale, c'est d'un monde à double facette, hideux et violent pour l'une, convenu, lisse et finalement assez ennuyeuse pour l'autre...

PS./ Geographedumonde sur Paris : Au fond Dupuy, le Grand Paris.
Incrustation : Taken sur le blog kinomax

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