lundi 28 juin 2010

Aider les vieux, ou armer le bras du crime ! (Au Japon, des politiques publiques concernant le vieillissement)

Karyn Poupée a rédigé dans un numéro du Monde d’octobre une chronique sur l’avenir rose des Japonais. Le vieillissement touche universellement. Dans l’Archipel cependant, les industriels et les aménageurs en ont atténué les désagréments. On y perd la vue, l’ouie s’affaisse et l’agilité des personnes âgées régresse, mais les Japonais transforment pourtant une faiblesse en une force. La journaliste rappelle que la population japonaise comporte 20 % de personnes âgées de plus 65 ans. Cette proportion doublera d’ici à 2050. Ainsi, l’espace public évolue au fur et à mesure des besoins. Dans les grandes villes en particulier, les aménageurs cherchent à écarter les difficultés. La démarche baptisée universal design - barrier free pourrait se traduire comme suit : conçu pour tous et sans obstacles. Il s’agit de réduire les gênes occasionnées aux personnes se déplaçant avec difficulté, du fait de l’âge et / ou d’un handicap. Les concepteurs de l’u.d.b.f. s’attaquent aux obstacles physiques mais également à ceux d’ordre financier. « Rues, gares, aéroports, magasins ou autres espaces publics s’équipent en conséquence : guides vocaux, marquages au sol, panneaux d’affichage à caractères agrandis et indicateurs en braille, couloirs et portes élargis, toilettes avec barres de soutien, zones de repos sont monnaie courante. » [1] Les magasins repensent leurs rayons, les industriels leurs conditionnements, les promoteurs leurs immeubles, et les fabricants de sanitaires débordent d’imagination. Cette recherche de confort maximum relève toutefois de politiques publiques elles-mêmes inspirées par le législateur. Les décisions impliquent des dépenses supplémentaires assumées par la collectivité. La journaliste confond à tort ces politiques publiques avec des stratégies elles purement commerciales. Car les entreprises japonaises désireuses de gagner des parts de marché, ou souhaitant simplement fidéliser une partie de leur clientèle, misent sur des marchandises susceptibles de plaire aux plus âgés. « Les fabricants d’électroménager conçoivent des lave-linge, plaques de cuisson et autres appareils munis de gros boutons et signaux sonores plus explicites et enrichis de nouveaux modes de sécurité. Les outils de surveillance, capteurs et automatismes se multiplient : détecteurs de présence pour activer et éteindre les lumières, le chauffage ou la télévision. » [2] Si les touches colorées et les écrans simplifiés ne coutent a priori pas plus cher, les systèmes de reconnaissance, d’aide ou de filtrage des parasites peuvent au contraire peser sur le prix final. C’est ici que le bât blesse dans l’article. Car les politiques publiques valent à un autre titre que les offres commerciales. Ces dernières sont aléatoires. Si les personnes âgées refusent de payer le prix souhaité, les entreprises se reportent sur des produits moins cher… Et non profilés. Karyn Poupée se hâte toutefois de plaider - de façon fort peu originale - le triomphe de la science sur les mœurs. Non seulement les vieux ne souffriraient plus de leur dépendance, mais ils ne craindraient plus le regard des autres. Mais s’ils sont seuls, ce progrès ne les arrange guère. Or les individus se plaignent autant de leur solitude que de leur dépendance, comme on le verra un peu plus loin. Philippe Mesmer ne cache pas à ce sujet son pessimisme. L’indice conjoncturel de fécondité laisse peu de place à l’incertitude. Avec en moyenne 1,34 enfant par Japonaise en 2007, « le Japon pourrait passer sous la barre des 100 millions d’habitants d’ici à 2050 et sous celle des 50 millions d’ici à la fin du siècle. » [3 / voir aussi Geographedumonde]. Les observateurs s’accordent sur les causes, mais le journaliste insiste surtout sur le travail des femmes et sur l’inopérance des politiques publiques. L’argent ne déclenche pas le désir d’enfants, explique-t-il en substance, en s’appuyant sur des exemples d’aides municipales ou de crèches montées par de grandes entreprises. Ici, les politiques publiques ne rencontrent pas le succès escompté. Elles fonctionnent même à l’encontre des intérêts supérieurs de la nation, puisque les fortes barrières migratoires bloquent tout rééquilibrage par apport de main d’oeuvre extérieure. Philippe Mesmer constate dans l’édition datée du 9 décembre que les dettes des régimes de retraite s’élèvent à 5.300 milliards d’euros, c’est-à-dire plus que le PIB annuel du Japon. Les autorités ont par conséquent décidé de ponctionner davantage les actifs tout en réduisant le montant des pensions. « Le niveau de remplacement devrait baisser, de 59,2 % aujourd’hui à environ 50 % en 2023. » [4] Les erreurs commises par des fonctionnaires de l’Agence de la sécurité sociale ont entraîné la chute du gouvernement Abe en septembre 2007 : cela indique bien la sensibilité des Japonais à la question de la prise en charge des personnes âgées. On s’inquiète de la santé financière des complémentaires de retraite. Certaines de ces sociétés n’osent sans doute avouer le montant total de leurs pertes en bourse. Au total, les Japonais inactifs attendent toujours une augmentation du nombre des actifs. Un certain nombre ont pris les grands moyens, raconte Philippe Mesmer dans son article principal. Ils agressent des passants ou volent à l’étalage, le tout au grand jour. Car ils cherchent à se faire arrêter, au contraire de jeunes malfrats fuyant à tous prix l’incarcération. « Le nombre de personnes âgées reconnues coupables de crimes et délits a été multiplié par cinq en vingt ans. Dans le même temps, cette population a ’seulement’ doublé, passant de 13,7 millions à 27,5 millions. » [5] Même spectaculaire, la progression ne préjuge néanmoins en rien de la part prise dans le total des crimes et délits. En d’autres termes, s’ils étaient anecdotiques au début de la période considérée, ils n’atteignent pas aujourd’hui des seuils intolérables. La proportion des condamnés âgés de plus de 65 ans (environ 50.000) est d’1 pour 560 personnes âgées normales ! Il faut rappeler à ce sujet que la criminalité concerne généralement une population de jeunes adultes de sexe masculin. Le vieillissement de la population japonaise explique de ce fait le recul général de la criminalité observé dans l’archipel depuis le début des années 2000. Les vieux criminels se noient cependant moins dans la masse. Le ministère a donc diligenté des enquêteurs pour prendre le pouls de cette population aussi indigne que sénile. Parmi les 368 personnes interrogées à la suite d’une décision de justice, une majorité avance comme excuse la faim et le manque d’argent. Près d’un million de foyers précaires touchent au Japon une aide sociale : dans un cas sur deux, il s’agit d’un couple âgé. Mais Philippe Mesmer omet au passage de mettre en corrélation le vieillissement de la population avec la cherté des logements. La conurbation du Kanto (Tokyo - Yokohama) regroupe à elle seule environ trente millions d’habitants ; nombreux vivent dans des quartiers où le prix du mètre-carré ne connaît pas d’équivalent dans le monde. Le manque de main d’œuvre pousse également les salaires vers le haut, y compris pour des services dont ne peuvent se passer les personnes âgées. Le journaliste oublie en outre combien la croissance molle de l’économie japonaise a détérioré la situation des retraités de l’Archipel, à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Les enquêteurs du ministère de la Justice relèvent que la solitude en désespère plus d’un. Beaucoup rechercheraient les repas préparés de la prison. Tomomi Fujiwara, auteur de Boso Rojin - Les Vieux en colère - met en avant comme facteur explicatif la disparition des garde-fou. Il faudrait davantage insister sur l’idée de solitude. La personne âgée sans descendance perd vite pied financièrement et peut se laisser séduire par des expédients. En fait, le ministère se préoccupe surtout du surenchérissement causé par le vieillissement de la population carcérale. « De moins de 10 000 en 2000, le nombre de détenus de plus de 65 ans approche désormais des 30 000. La progression a conduit le gouvernement à débloquer 8,3 milliards de yens (67,8 millions d’euros) pour construire trois centres pouvant accueillir 1 000 prisonniers âgés. » 6] Le phénomène prend visiblement de court les services concernés. Que faire ? « C’est toute la société qui doit se mobiliser et agir dans les domaines judiciaire, de l’aide sociale et de l’emploi, estimait, le 9 novembre dans un éditorial, le quotidien conservateur Yomiuri. Pour empêcher les personnes âgées de commettre des crimes, il est vital de ne pas les isoler de la société. » Sur Hokkaido, le gouvernement se félicite de l’ouverture de plusieurs maisons pour retraités esseulés. Mais la grande île du nord s’oppose aux autres îles de l’Archipel par ses faibles densités, à des centaines de kilomètres de la mégalopole d’Honshu (Tokyo - Nagoya - Kobe). Au fond les politiques publiques buttent sur le problème de l’isolement ou / et de l’absence de parentèle… Mais que l’on prenne garde à ne pas monter en épingle le problème des vieux délinquants. On pourrait ainsi en déduire que les autorités promeuvent le déplacement et l’indépendance des personnes âgées, et que celles-ci en profitent pour prendre leurs aises. Aider les vieux, ou armer le bras du crime !
PS./ Geographedumonde sur le Japon : Des cerfs sans châtaignes.
[1] « Le Japon à l’avant-garde d’un art de vivre vieux » / Le Monde / 10 octobre 2008 / Karyn Poupée. [2] Id. [3] « Le gouvernement japonais ne parvient pas à relancer la natalité » / Le Monde / 24 octobre 2008 / Philippe Mesmer. [4] « Menace sur les retraites » / Le Monde / 9 décembre 2008 / Philippe Mesmer. [5] « Ils volent pour retourner en prison » / Le Monde / 9 décembre 2008 / Philippe Mesmer.

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