mardi 29 juin 2010

Quelle étrange époque ?! (A l’occasion du mariage d’H. et B.)

« Deux prénoms dominent les conversations un jour de mariage, de l'entrée à la mairie jusqu'à la fin du dîner, en passant par l'église, pour ceux qui s'y rendent. Ceux d'H. et de B. me donnent l'occasion d'osculter notre époque à travers son principal médiateur, un moteur de recherche bien connu. Il faut garder une mémoire de ce qui se passe en France en ce début d'avril 2009, pour qu'en 2019 ou en 2059, il soit possible de reconstituer ce contexte. Une rétrospective, des commémorations, que sais-je encore, s'appuieront sur ces quelques lignes pour établir une trame. J'ai donc travaillé en pensant aux historiens du futur, posant un jalon pour témoigner de l'air du temps, des grandeurs et petitesses de ce petit bout d'Occident, la France et Paris. Dans l'ordre, ou dans le désordre.
A première vue, rien n'apparaît de spécial si l'on entre les deux prénoms 'Hervé + Béatrice' sur Google. Une quinquagénaire retraitée de la métallurgie portant un nom de garçon cherche des anciens copains de collège, quarante ans après l'avoir quitté. Dans une colonne créée ad hoc, elle en revendique un seul pour l'instant. Arrivent ensuite une référence de centre équestre, puis un chapitre de roman mis en ligne sous format Pdf. L'histoire semble ne pas s'éloigner du cœur du génie littéraire français du moment, puisqu'un personnage masculin est sèchement évincé par une Béatrice qui lui préfère un Hervé. 'On ne doit jamais avoir l’air de relancer. On ne doit jamais, oui, mais le fait est qu’on ne peut pas s’en empêcher. Ça vous grille les doigts, ça vous grille les neurones. Résultat, on se fait jeter. Si ça se trouve, elle était avec ce connard d’Hervé, Béatrice. En train de boire un scotch aux chandelles. Ou pire. Mais non. Si le pire avait été en train de se passer, elle n’aurait pas décroché.'
Après cet extrait si riche, le quêteur de mots tombe sur la première page d'un coiffeur prénommé Hervé. L'homme de l'art non rasé et vêtu d'un long tee-shirt noir se tient avec sa Béatrice, en arrière de ses collaboratrices, invitant par cette photo posée à pousser la porte de son salon. On ne vient pas se couper les cheveux, mais assister à une représentation. L'heure de gloire est arrivée. En continuant, on tombe sur le forum Guide du Routard - Pays de Loire. Une dame portant le nom d'Hervé revient d'un hôtel de Noirmoutier où elle a résidé durant le week-end de la Toussaint 2007. Elle ne cache rien de son mécontentement, se répandant sur les lieux jugés démodés et défraîchis, la piscine trop froide, l'espace détente qui 'fait vraiment bricolage', les chambres tapissées de moquettes, les radiateurs bruyants et l'odeur d'égoût au petit-déjêuner. Il faut croire que l'accent circonflexe renforce la dimension olfactive de la chronique. Heureusement, elle a apprécié l'accueil et 'la restauration en buffet correcte et copieuse, à condition d'arriver à 19 heures'. On ne trouve en revanche aucune mention des sommes versées pour ce séjour. Le client doit payer le minimum tout en souhaitant qu'on le prenne pour Leonardo Di Caprio.
Aux élections municipales de Plufur en 2008, dans les Côtes d'Armor, Hervé et Béatrice ont obtenu sur leur liste 'Bien vivre à Plufur' la majorité des voix, avec 84 % des suffrages exprimés. Un peu plus loin, en Vendée, d'autres Hervé et Béatrice animent une association vendéenne spécialisée dans la découverte des merveilles de la nature. L'accroche du site ne laisse pas insensible. 'Chaque commune de Vendée ou d'ailleurs possède des espaces naturels encore préservés, que ce soit une simple mare, un bosquet, une friche, un petit tronçon de haie, etc. . Les animateurs de l'association se déplacent et font découvrir aux enfants ces espaces préservés près de leur lieu de vie.' Ces écologistes bocagers éditent de surcroît une revue au titre évocateur, Les Crachats de Coucou.
Echouant dès le début de la troisième page du moteur de recherche sur une entrée Facebook, j'arrête là. Car il ne faudrait tout de même pas imaginer que cette entrée en matière me serve de porte de sortie sur l'essentiel. Quels sont les Hervé et les Béatrice qui comptent ? Détissons pour cela la Toile...

Première de toutes les célèbres Béatrice, la présentatrice d'un journal télévisé s'est mariée en secondes noces avec un ministre ancien avocat reconverti sur le tard dans l'écologie. La filière recrute. Le ministre encarté dans le parti présidentiel remplace un chanteur - compositeur dont la journaliste a divorcé précédemment. Elle a reçu en 2000, des mains d'une ministre de la Culture et de la Communication socialiste, l'Ordre National du Mérite au grade de chevalier. Depuis que son mari tient un maroquin, elle a cependant dû abandonner son rôle de femme - tronc.
La deuxième Béatrice vient de Bretagne. A quarante cinq ans, elle cherche toujours à renouveler son succès obtenu dans le film 37°2 le Matin. De nombreux cinéastes l'ont dirigée, mais sans jamais vraiment parvenir à renouer avec l'image première de l'égérie. Elle dit pourtant se fier à ses intuitions. 'Je ne lis jamais les scénarios, je ne connais pas le casting d'un film avant de le choisir : la seule chose qui compte, c'est le metteur en scène qui me demande de le rejoindre. Je veux des fortes personnalités, c'est mon seul critère de choix.'
La troisième Béatrice porte le nom de son mari, célèbre animateur du paysage audiovisuel français réputé particulièrement insolent. Cela consiste pour quelqu'un d'intelligent - personne ne doute qu'il le soit - à jouer au nigaud, et à rallier le maximum de télespectateurs sous un dénominateur commun, celui de la vulgarité. La femme du trublion travaille dans un secteur original, en tant qu'illustratrice sonore. Son métier consiste à 'créer des ambiances, des thèmes musicaux, remixer des vieux tubes pour en faire des nouveaux, et faire d'un son une marque de fabrique'. Depuis qu'il a questionné un ancien premier ministre socialiste sur 'sucer c'est tromper', je considère que son peut s'écrire sans cédille.
Placée en quatrième position par Google, une sénatrice du Nord porte le même prénom de Béatrice. Cette ancienne enseignante cumule les fonctions de maire et de Présidente de la Communauté de communes rurales des Monts de Flandres. Au palais du Luxembourg elle participe aux travaux sur la pêche et la chasse, ainsi que sur la gestion des déchets. On passe ensuite à des personnalités de notoriété régionale, une écrivain de romans policiers, ou encore la vice-présidente de la région Centre, adjointe au maire de Vendôme. Le 31 mars 2009, elle décrit ses objectifs du moment. 'Dans le cadre de l'Agenda 21 régional, la Région Centre organise des forums territoriaux à l'échelle de chaque bassin de vie de la région Centre et invite tous les habitants à y participer. Après Vierzon le 30 mars dernier, le second forum territorial se déroulera ce vendredi 3 avril à Issoudun dans l'Indre. Ces forums sont des moments d'échanges et de dialogue avec les habitants'.

Au mot - clé Hervé, la récolte s'avère aussi fructueuse. A tout seigneur tout honneur, le secrétaire d'Etat chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services, chipe la vedette. Avec toutes ses attributions, on s'attriste qu'il ne reçoive pas le titre de ministre. Âgé de trente-trois ans, Hervé a été immédiatement propulsé au poste de PdG de son entreprise en 1982, quand d'autres perdent tant d'années à gravir laborieusement les échelons. Dans le gouvernement Chirac, entre 1986 et 1988, le ministre de l'Industrie reconnaît en lui l'homme idéal pour diriger son cabinet. Il s'est implanté depuis dans le département de l'Indre-et-Loire comme député.
Le pilier de la chanson française Hervé V., génial sexagénaire interprête de Capri c'est fini arrive juste après. Il a réuni sur son nom quelques géants parmi lesquels Didier Barbelivien, ou encore Michel Fugain. Le chanteur symbolise l'extraordinaire longévité des têtes d'affiche en France, quand des groupes anglo-saxons comme les Beatles doivent affronter les ravages du temps et l'oubli du public. Dans les années 1990, il parvient à relancer sa carrière grâce à une chanson engagée sur l'amour défendu sans préservatifs.
Le ministre de la Défense portant le prénom d'Hervé arrive en troisième position. Cet ancien proche de François Bayrou a depuis rallié l'UMP, à l'extrême - centre, perpétuant une tradition de fidélité politique née sous la Troisième République. Celle-ci impose que l'on reste toujours ferme sur l'idée que l'on a de soi, et des services que l'on doit forcément rendre à la nation. Il faut pour cela nécessairement ne s'attacher qu'à la personne la mieux placée pour le comprendre ; au risque de devoir changer d'écurie. Ce juriste de formation et amateur de chevaux a la charge des Armées, l'un prédisposant à l'autre.
Deux autres personnalités de la vie politique nationale se placent juste après, dans la liste des Hervé célèbres. Un ancien ministre député de Savoie remarqué par l'ancien président de la République ne cherche plus officiellement de responsabilités à Paris. Il a fait les frais d'une campagne médiatique féroce. Un scandale né d'un appartement fort opportunément acquis l'a en effet réduit à revenir dans ses montagnes alpines. Il partage à peu près la même côte sur le moteur de recherches qu'un député de la Drôme, lui aussi privé de poste à Paris.
L'ancien villepiniste tente de se faire introduire à l'Elysée. Sans doute pour se faire pardonner son attachement au dernier premier ministre de Jacques Chirac, il a bruyamment approuvé la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'Otan. Il conclut sur son blog, avec la solennité gaullienne qui sied aux circonstances : 'Notre identité se vit davantage par l'affirmation et l'ouverture. A cela cependant une condition, que nous le voulions, que nous ayions confiance en la France et son message universel. C'est une lourde responsabilité pour l'exécutif comme pour l'ensemble de politiques, c'est aussi un vrai choix pour notre peuple. Je crois assez en mon pays pour penser que, si nous le voulons vraiment, nous saurons changer l’OTAN, pour le meilleur du monde et pour la grandeur de la France.'

En avril 2009, les personnes remarquées par les internautes - ceux-ci fixent par leurs recherches la hiérarchie de Google - présentent une certaine homogénéité. Elles viennent des médias ou du monde politique, sans qu'une frontière infranchissable sépare les uns des autres. Certains élus s'estiment mal aimés et non reconnus. Ils trouveront dans cette modeste étude des raisons pour se rasséréner. Leurs mérites et talents apparaissent en bonne et due forme. A gauche de l'échiquier politique, on ne compte ni Hervé ni Béatrice importants. C'est peut-être le hasard des prénoms. Le rapprochement entre la politique et le spectacle heurte les esprits chagrins ? Il convient d'insister sur l'envie des uns et des autres d'être proches des Français. Les internautes francophones révèlent que l'on est célèbre parce qu'on l'est déjà. Des vies d'écriture, de peinture, de recherche scientifique ou de pensée ne permettent pas d'accéder aux premières pages du moteur de recherche. Les grands commis de l'Etat œuvrent dans l'anonymat. Faut-il le regretter ? Les goûts et les couleurs ne se discutent pas. En démocratie, l'opinion de la majorité tranche.
Et vous H. et B. qui vous mariez ce 4 avril, ne tombez pas dans le pessimisme. Au jour du commencement, tout renaît. Sachez que je souhaite vivement partager les joies d'un anniversaire de mariage, dans quelques (dizaines d') années, où nous dirons quelle étrange époque... ?! Que notre amitié passée se prolonge sans heurts. Qu'elle s'épanouisse même. »

PS./ Voir aussi Geographedumonde sur Comment être heureux sans suivre aucun cours !


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