dimanche 27 juin 2010

Les evzones de mer. (Des migrants sur les îles grecques de mer Egée orientale)

En ce 9 juin, un evzone fait les cent pas à deux doigts de mon ordinateur (voir L'idéal de la hutte). Il me fait penser aux Dupondt déguisés pour pénétrer dans le site spatial du professeur Tournesol. L'éphéméride Géo – Y.-A. B. m'indique que les evzones montent la garde jour et nuit devant le Parlement grec. Ils portent une ceinture, une jupe plissée et un chapeau en drap rouge orné d'une houppe de soie noire. Peu de couturiers confectionnent les uniformes des evzones. La jupe des evzones comporte 400 plis symbolisant les 400 ans d'occupation turque. » Nicolas Sarkozy s'est justement arrêté à Athènes avant de se rendre à Beyrouth le 6 juin dernier. Il s'est exprimé devant les parlementaires grecs. J'imagine qu'il a salué en passant l'evzone en patrouille. Fort de tous ces éléments, et sûr de coller à l'actualité la plus récente, j'emmène donc mon lecteur sur les rivages de la mer Egée. La Grèce deviendrait un des points de passage des candidats non sollicités à l'entrée dans l'Union Européenne. Le passage de la frontière maritime séparant le pays de la Turquie prend de court les autorités locales. La garde grecque présente des lacunes.
D'après La Croix, le HCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés) accuse en effet le gouvernement grec de maltraiter ses immigrés illégaux (P.8). Athènes n'aurait pas dégagé les moyens humains et financiers suffisants pour accueillir les migrants. Brice Hortefeux, le ministre français de l'immigration et de l'identité nationale n'a néanmoins rien relevé d'anormal en février 2008. Il s'est rendu à Samos lors d'un déplacement destiné à témoigner de l'intérêt que Paris porte à la question de la surveillance de la frontière avec la Turquie. Beaucoup de migrants passent entre les mailles du filet. Un grand nombre rallient ensuite le port de Patras, au nord-ouest de la presqu’île du Péloponnèse, point de passage vers les ports italiens de l'Adriatique. Les cigarettes et les stupéfiants suivent bien entendu le même itinéraire.
Thomas Jacobi rappelle les estimations officielles : « 4.000 immigrés clandestins ont débarqué sur les côtes des îles grecques de la mer Egée comme Lesvos, Leros, Kos ou Samos, soit cinq fois plus que l'année dernière. » Les autorités grecques orientent leur communiqué en insistant sur l'origine lointaine (Africains, Afghans, Kurdes) et sur la nécessaire participation des Européens à la défense de leur frontière orientale. Dans le même temps, Ankara minimise le flux : 12.000 clandestins aurait quitté illégalement la Turquie par la mer entre 2002 et 2007 (le Figaro).
Le journaliste de La Croix reprend toutefois à son compte les critiques émanant du ministère grec de la marine marchande, sur la mauvaise volonté des garde-côtes turcs. En interrogeant ceux d'en face, je gage qu'il aurait obtenu un autre son de cloche ! En 2002, Christophe Chiclet sous-entendait un forte implication des Pontiques, ces Grecs originaires des bords de la mer Noire descendants de colons antiques ou byzantins. Grâce à leurs patronymes, ils ont bénéficié de conditions de naturalisation très favorables pour s'installer en Grèce après l'effondrement de l'URSS (Caucase et Ukraine) et la chute des régimes communistes en Roumanie et Bulgarie. Les mafias d'Europe de l'Est auraient trouvé dans cette communauté bilingue des accointances afin d'organiser le trafic de clandestins.
Depuis l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie, la Grèce est reliée au reste de l'UE par voie terrestre. Tout porte à croire que les courants migratoires s'intensifieront, les arrestations et les noyades également. Thomas Jacobi consacre toutefois la deuxième moitié de son article au périple de Judith, une Congolaise de 28 ans arrivée il y a quatre ans en Grèce. De Léros, les autorités l'ont transférée à Alexandroupolis, en Thrace, à 900 kilomètres plus au nord. Elle s'est esquivée et a finalement échoué à Athènes : même distance parcourue, mais cette fois de l'autre côté de la mer Egée : l'odyssée de Judith.
Dans Une Poignée de Noix Fraîches, j'ai décrit l'artificialité de la frontière entre la Grèce et la Turquie, les conditions politico-historiques et non géographiques de son tracé : voir carte. Léros se distingue parmi les quatre îles évoquées par Thomas Jacobi. Entre Kos au sud et Samos au nord, elle s'efface derrière beaucoup d'autres par sa superficie et son éloignement relatif de l'Asie mineure. Trente kilomètres constituent un bras de mer difficile à traverser pour un esquif de fortune. Mais l'île reçoit un camp de réfugiés. Kos, Samos (476 km²) et Lesbos (1.600 km²) sont en revanche avec Chios et Rhodes, les cinq plus grosses îles de mer Egée orientale, classées parmi les Sporades ou dans le groupe des îles du Dodécanèse (Kos et Rhodes). Toutes partagent une même proximité avec l'Asie mineure.
Quelques centaines de mètres seulement séparent par exemple Samos du territoire turc. Au Vième siècle avant notre ère, preuve que l'île a depuis longtemps une histoire commune avec la Turquie actuelle, le tyran Polycrate s'allia avec les Perses pour résister à l'armée dépêchée sur place par Sparte et Millet. Le corps expéditionnaire éloigné de ses bases se heurta en vain aux soldats de Polycrate. Comme toutes les îles précédemment citées, Samos se situe de l'autre côté de la mer Egée, distante d'Athènes de plus de 200 kilomètres. Lorsque les sources d'eau se tarirent après le tremblement de terre de 1475, ses habitants ont dû quitter l'île. Quelques mois plus tard, le repeuplement s'effectua à partir des deux bords de la mer Egée... [source]
Alors la Grèce est-elle mal préparée pour affronter l'immigration illégale ? En réalité, la frontière maritime est caduque. Elle délimite un espace euro très recherché en dehors de l'Union. Les garde-côtes, sortes d'evzones de la mer Egée chassent peut-être les embarcations suspectes, mais les migrants saisonniers abondent dans les restaurants, hôtels, clubs ou magasins .
A l'extrêmité orientale de cette mer quasi exclusivement grecque, on va et on vient. Les touristes recherchent les plages et les villages de pêcheurs. Les plaisanciers affectionnent ces îles qui réduisent leurs déplacements à un cabotage sans péril. La fréquentation touristique connaît un pic estival : plus d'un million de personnes visitent chaque année la seule île de Kos. Or il faut financer le coût de l'activité touristique, la protection de l'environnement (exemple de la disparition du phoque moine et des îles dévastées par les incendies), et le maintien des résidents confrontés à une hausse du coût de la vie : subventions à l'agriculture (oliveraies de Lesbos), ou encore au transport maritime. Il est vrai qu'Athènes sait obtenir le concours de Bruxelles [1]

PS./ Geographedumonde sur la Grèce : Ne pas confondre tête de pont et plaque tournante.


[1] Voir Georges Prévélakis / Géopolitique de la Grèce – Editions Complexe / 2006.

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