mardi 29 juin 2010

Village gaulois. (Des arguties autour du ‘rattachement’ de la Loire-Atlantique à la région Bretagne)

Pour mes lecteurs étrangers - Dieu sait combien de cohortes ils forment (...) - j'évoquais récemment le cas du fantôme des Tuileries. Il illustrait à mon sens un aspect essentiel du village gaulois. Pour résumer, les villageois prêtent une attention distraite à des enjeux majeurs, aux engagements internationaux de la France dans le cadre de l'Otan, aux conséquences macro-économiques de la crise qui dévaste nombre de pays occidentaux avancés, à la faillite du modèle familial, au déclin du sacré, à la disparition des appartenances collectives, à la remise en cause du modèle urbain étalé et du tout-voiture, etc. Aucune de ces grandes questions n'occupe durablement leurs esprits. En revanche, des débats ne mobilisant que les initiés et dont la majorité se désintéresse, comblent les colonnes de journaux et servent d'arguments électoraux à des hommes politiques en mal de légitimité.
Dans le cas précis des Tuileries, s'entredéchirent des partisans d'une reconstruction coûteuse, difficile à mettre en œuvre, mais potentiellement réalisable, à des opposants tout aussi farouches. Ces derniers plaident pour la sauvegarde des jardins depuis créés, et s'insurgent contre la construction d'un pastiche jugé à l'avance inesthétique. Le micro-débat passionné, voire violent, passe par un engagement forcené des participants, comme si l'avenir du monde tournait autour de la question traitée. Mais il implique aussi paradoxalement l'omission des effets de telle ou telle décision. Dans le village gaulois, personne ne sait s'il y a un besoin d'espace construit à cet endroit, face au musée du Louvre, et ce que l'on compte faire de ses salles vides si l'ancien Palais ressurgit. Au fond, la reconstruction assez hypothétique des Tuileries à l'époque de la Troisième République aurait fait grincer des dents. Elle serait cependant intervenue dans une ville encore populeuse et ouvrière. En 2009, au cœur d'un Paris embourgeoisé, une seule question me semble pertinente : l'ouverture d'un chantier de réédification n'apparaîtra t-elle pas comme un cadeau supplémentaire offert aux riches et aux puissants, alors que les cités remuent et que les banlieusards pataugent dans leurs difficultés (Pas de hasards à Saint-Lazare). Il est des symboles moins encombrants politiquement.
Un nouvel épisode se déroule sous nos yeux ébahis, dans la lignée des contreverses du village gaulois. Le comité Balladur divulgue en ce début du mois de mars 2009 ses vingt propositions pour simplifier l'empilement administratif français [Le Monde]. De fait, l'expression simplification territoriale introduit la possibilité d'une fausse interprétation, car on ne peut au mieux que déplacer des frontières administratives. La réforme vise pourtant à réaffecter les personnels, et à supprimer les compétences croisées. Cette démarche est crédible grâce à la flexibilité des propositions. En substance, se prononcera qui voudra. Ainsi, l'ancien premier ministre et ceux qui l'ont entouré ont évité de diaboliser le département ou la région, laissant entendre que l'un peut s'imposer ici, et l'autre ailleurs.
A la faveur de ce contexte, néanmoins, les défenseurs d'un département basque (voir ici), d'une autonomie alsacienne (ici) ou d'une réunification normande s'engouffrent dans la faille. Leurs alter ego ne manquent pas dans le reste de l'Europe [1]. L'intérêt général est le cadet de leurs soucis. Les particularistes voient surtout l'occasion de scander leurs vieux slogans. Les partisans du rattachement de la Loire Atlantique à la Bretagne rentrent dans cette catégorie. Et le vieux bûcher de s'enflammer à nouveau... Pierre Méhaignerie, une des têtes pensantes de l'UMP (...), et une personnalité de poids dans le sérail politique de l'Ouest, scandalise jusqu'à ses plus chauds partisans : dans la région, a t-il glissé à un journaliste, « le référendum est dans les têtes » [Ouest-France].
Sur Internet, les tenants du pour et ceux du contre s'écharpent copieusement : ici ou . L'histoire sert de réserve d'arguments, mais ne bénéficie jamais d'un traitement séparé, dans sa linéarité. On se jette à la figure la Seconde Guerre Mondiale. Les uns clament que le décret publié à Vichy le 1er juillet 1941 marque le crime ultime de la France contre la Bretagne, tandis que les autres dénoncent la collusion entre les autonomistes bretons et l'occupant allemand. Or le décret cité ne mentionnait pas plus le nom de la Bretagne que ceux de l'Anjou ou de l'Orléanais, tandis que la création des régions date de 1960. Les collabos - pour reprendre l'injure de l'époque - se répartissaient d'autre part sur l'ensemble du territoire, sans concentration spécifique dans la péninsule bretonne. Pour prendre un autre exemple d'histoire mise à contribution, les partisans du rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne portent une affection particulière à la période médiévale et à ses figures politiques. Mais quel sens donnait-on à la nation à l'époque de la querelle de succession, dans la première moitié du XIVème siècle ? Certes, la Bretagne exacerbait alors les rivalités entre les couronnes de France et d'Angleterre, au point de se transformer en un théâtre d'opération secondaire de la guerre de Cent-Ans : aller au-delà relève de la pure spéculation.
La langue alimente elle aussi des discussions sans fin. Si l'on évoque le gallo, langue usuelle à Rennes et à Nantes avant le triomphe du français, les bretonnants enragés rétorquent répression, colonialisme... Florence Pagneux dans la Croix du 5 mars 2009 s'escrime à présenter les belligérants équitablement. Elle réussit seulement à donner la mesure de l'affaiblissement idéologique du Parti Socialiste, ici directement en cause. Car les hiérarques locaux du PS se disputent au vu et au su de tous, sur l'avenir de la Loire Atlantique. Patrick Mareschal - président du conseil général se range parmi les rattachistes. « Nous avons besoin d’un territoire conscient de son identité pour y développer des projets ». Le représentant d'une association ad hoc recommande le rattachement de son département à sa région fétiche, et le renvoi de la Vendée à la région Poitou-Charentes. A le suivre, il suffira d'adjoindre judicieusement (...) les restes de la région 'Pays de Loire' à la région 'Centre-Val-de-Loire' si chargée d'histoire (...). Ainsi, les départements de la Mayenne et de la Sarthe ne toucheront pas le fleuve éponyme, mais on retirera dans le même temps la Loire Atlantique du groupe des départements de l'ex-région Pays-de-Loire. Ceux qui ne résident pas à Nantes, allez comprendre !
Le président PS du conseil régional des Pays de la Loire, et maire de La Roche-sur-Yon (Jacques Auxiette) ne l'entend pas de cette oreille « Ce département de 1,2 million d’habitants a une réalité économique et industrielle sur l’estuaire de la Loire. Si on le rattache à la Bretagne, on tue la région Pays de la Loire et on raye cinquante ans de travail en commun. » Mais il ressort de la suite de l'entretien avec Jacques Auxiette l'impression que tout fonctionne aujourd'hui, à condition d'incorporer à la cuisine politique un zeste de gestion transversale. Au lieu de reconnaître que l'Etat assure par principe et en dernier recours le suivi des dossiers lorsque s'entredéchirent plusieurs collectivités locales, l'élu socialiste vend des châteaux en Espagne. Ce dernier se comporte en opposant non - proposant...
Cette histoire de cornecul resterait d'un intérêt mineur, en l'absence de Nantes, l'une des dix plus grandes agglomérations françaises. Il apparaît bizarrement que les rattachistes dithyrambiques sur le département en tant que territoire, ou sur la partie centrale et patrimionale de la ville (le château des Ducs) sont gênés par la réalité de l'agglomération, son extension et son dynamisme. Au cours des dernières décennies, l'aire urbaine nantaise a au minimum doublé, en lien avec son accroissement démographique. En 1946, l'aire urbaine telle qu'elle apparaît aujourd'hui regroupait 280.000 habitants. En 2009, on évalue la population à 590.000 habitants, selon les estimations de l'Insee. Le long de l'Erdre (La Chapelle sur E.) et surtout de la Loire (Saint-Herblain ou Couëron), des communes périurbaines ont vu le jour. Les grands axes ont provoqué les mêmes effets, au nord (Orvault) autant qu'au sud (Vertou ou Bouguenais). Dans les années 1960, on ne franchissait les bras de la Loire que par deux ponts successifs étranglant tout développement de la ville. Depuis, l'agglomération dispose des atouts des grandes métropoles, un contournement entier, des universités et grandes écoles, des services (gares, stades, zones commerciales, etc.) et des activités diversifiées.
En conclusion, Nantes ne présente pas plus un profil breton que vendéen. Nantes est nantaise, au milieu du pays nantais. Dans le village gaulois, combien ont pourtant noté que Nantes s'explique par elle-même, et que la Loire-Atlantique correspond au plus à une donnée administrative (voir les cartes Michelin qui suivent, successivement de 1965 et 2002) ? En même temps, et pour être juste, sans abuser de la position du faux sage, ce débat ouvre aussi des perspectives d'écriture !



[1] Le national-régionalisme en Europe : le cas de la Catalogne (Mirage catalan et béton rapide, Catalans lourds) soulève sans doute le plus d'interrogations. Dans le Monde du 7 mars 2009, Jean-Jacques Bozonnet signale par exemple qu'à « compter de 2011, la moitié, au moins, des films étrangers projetés dans les 795 salles de Catalogne devront être obligatoirement doublés en langue catalane. Un projet de loi, présenté mercredi 4 mars à Barcelone par le gouvernement socialiste autonome, a rouvert la bataille linguistique sur les grands écrans de la région. Les majors américaines avaient fait échouer une première tentative, il y a dix ans, menaçant de ne plus sortir leurs films en Catalogne. ».


Incrustation : Astérix dans Le choix du chaos...

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