lundi 28 juin 2010

Faire pipi dans les roseaux. (D’un éco-hameau en Charente-Maritime)

AM est née en 1948. Cadre administratif de l’Education Nationale, elle a pris sa retraite cette année, avant que la loi ne l’oblige à patienter jusqu’à 65 ans. Depuis une vingtaine d’années, elle vit à La Rochelle où elle a acheté un appartement après sa mutation. A la fin des années 1980, les prix bas autorisaient une belle transaction pour cette fonctionnaire en deuxième partie de carrière. Situé à une dizaine de minutes à pied du centre historique, leT4 accueillait au départ toute la famille. Ses deux enfants ont maintenant abandonné le domicile parental. L’aîné travaille à la mairie dans la maintenance des véhicules électriques utilisés par les employés de la commune depuis plus de vingt ans (grâce à l’initiative du maire de l’époque Michel Crépeau). La seconde arpente les couloirs de l’Université inaugurée par le président Mitterrand en 1993. Elle aurait souhaité poursuivre ses études à Poitiers, mais ses parents l’ont incitée à attendre un peu, sans doute dans l’espoir qu’elle n’entreprenne pas un deuxième cycle universitaire. A moins qu’un petit copain rochelais n’ait pesé dans la balance ?! Elle ne revient plus qu’épisodiquement chez ses parents, pour faire tourner la machine à laver. AM est arrivée à un tournant de son existence. Son mari retraité de La Poste s’ennuie en ville. Ils ont donc pris la décision de vendre leur appartement à la fin de l’année 2007. Ils l’avaient payé 700.000 francs (un peu plus de 100.000 euros) et le revendent vingt ans plus tard 350.000 euros à un couple de quarantenaires déjà établi. L’un est architecte et l’autre commerciale dans une agence immobilière, avec deux enfants scolarisés au primaire. Les premiers avaient signé un emprunt sur dix ans tandis que les seconds s’engagent pour trente ans. Cette vente illustre parfaitement des effets concrets du boom immobilier des années 1990 - 2000. A l’échelle de la nation, celui-ci a produit une redistribution des cartes et non un enrichissement collectif, un transfert financier inédit des 30 - 40 ans vers les 60 - 70 ans. Les futurs néo - ruraux sont sortis de l’anonymat par le truchement d’un article d’Agnès Marroncle dans La Croix [1]. Tout ce qui précède constitue une sorte d’extrapolation introduisant ce qui suit. Car AM s’est réveillée un matin une idée brillante dans la tête : partir vivre à la campagne dans une maison respectueuse de l’environnement. Elle a découvert les éco-hameaux. AM n’a pas fait les choses à moitié, puisqu’elle a ensuite créé une association réunissant connaissances et convaincus : Hélioterre. « ‘A plusieurs, nous pourrons plus facilement supporter certains coûts, prévoir des équipements communs’ Exemple : l’installation d’une phyto-épuration, soit des bassins de lagunage plantés de roseaux pour une épuration lente des eaux usées. Pour le reste, ‘nous aurons recours aux énergies renouvelables, solaire et petit éolien’, précise AR qui participe à ce projet d’éco-hameau.» Une douzaine de maisons Hélioterre se partageront dans quelques mois les 20.000 mètres carrés : douze fois un rectangle long de cinquante mètres et large de trente-cinq. En français courant, un énième lotissement sortira de terre, au sein duquel les pavillons répondront il est vrai à des normes environnementales jugées par leurs propriétaires idéales. Ceux-ci devront toutefois amener l’eau [De l’eau à la révolution], l’électricité, sans compter le gaz et d’autres services. AM et ses amis rentreront de surcroît dans une logique générale de consommation d’espace dont souffrent les campagnes françaises. La Charente-Maritime n’échappe pas à cette maladie du mitage, l’Aunis plus encore que la Saintonge… Car le département donne sur l’Atlantique. Sur cette portion du littoral, seuls trois ou quatre secteurs ont été pendant longtemps mis en valeur en vue du tourisme balnéaire. Royan - Saint-Palais, Fouras ou encore Châtelaillon se développent dès la fin du XIXème siècle. Les casinos de Fouras et de Royan ouvrent respectivement en 1886 et 1895. Les estuaires vaseux (Gironde et Seudre), les îles à bagnards et les forts du système Vauban offraient autant de secteurs inconstructibles jusque dans les années 1970. Les ponts qui relient l’île d’Oléron (1966) et l’île de Ré (1988) au continent, l’autoroute A.10 et en particulier le tronçon Poitiers - Bordeaux ouvert en 1981 (source) ainsi que l’apparition d’une classe moyenne prenant des vacances en bord de mer, se combinent pour transformer le littoral charentais en destination prisée. Les campings du début cèdent progressivement la place à des constructions en dur. Les frères Podalydès choisissent malicieusement ce littoral pour décor de leur film consacré à une famille qui achète une résidence secondaire et un bateau : Liberté - Oléron (ou ici). L’urbanisation du département de la Charente-Maritime s’accélère, même si une partie du bâti ancien retrouve soudain une deuxième jeunesse : restauration de fermes ou de cabanes de pêcheurs, réhabilitation de villages entiers en bord de mer ou à l’intérieur des terres. L’augmentation spectaculaire du prix des maisons témoignent de l’engouement général. Les amateurs ne font la fine bouche ni sur la rase campagne, ni sur les polders gagnés sur la mer après le départ de Samuel de Champlain pour les Amériques (Une Poignée de Noix Fraîches). La viticulture recule après les destructions du phylloxéra et la grande crise du cognac, et la céréaliculture se concentre sur les terroirs calcaires de Saintonge. L’agglomération de La Rochelle s’étend en tâche, bénéficiant d’atouts indéniables mais jouant aussi d’une image d’attractivité soigneusement entretenue. Y a-t-il saturation ? La réponse ne peut tenir en trois mots, parce que la Charente-Maritime présente un double visage : une campagne périurbanisée mais en même temps un patrimoine nettement mis en valeur. Le retournement s’avère spectaculaire à Rochefort sur mer. A.M. et son mari, vivront selon toute vraisemblance une vingtaine d’années à Bernay Saint-Martin pendant lesquelles ils dépendront étroitement d’un moyen de locomotion. Ils prendront leur voiture pour faire leur course, pour aller garder leurs petits-enfants éventuels, pour se baigner l’été, ou pour se distraire dans la grande ville la plus proche le reste de l’année. Comparé à une autre couple de retraité installé en coeur de ville, ils rejetteront aussi plus de CO2 à cause du chauffage d’une maison non mitoyenne. Peut-être ont-ils choisi le style de la hutte [L'idéal de la hutte]. Quand leur santé déclinera - les tables de mortalité ne laissent aucun doute sur cette éventualité - il leur faudra se résoudre à quitter leur habitat durable et songer à un logement plus adapté. Mais pendant vingt ans ils auront fait pipi dans les roseaux !
PS./ Geographedumonde sur les questions environnementales : Wild wet Midwest.
[1] « La paille, le bois, le chanvre, la brique de terre : depuis quelques mois, ces mots et ces techniques de construction sont devenus familiers à AM. ‘Je ne connaissais pas grand chose à l’écohabitat mais un matin, je me suis réveillée en pensant qu’il me fallait mettre en pratique mes belles idées sur la protection de l’environnement’ Jeune retraitée de l’Education Nationale, AM a commencé par vendre sa propre demeure à La Rochelle. ‘Comme çà, j’étais obligée d’avancer dans mon projet’. Une association est née, Hélioterre, en vue de la création d’un écovillage. ‘A plusieurs, nous pourrons plus facilement supporter certains coûts, prévoir des équipements communs’ Exemple : l’installation d’une phyto-épuration, soit des bassins de lagunage plantés de roseaux pour une épuration lente des eaux usées. Pour le reste, ‘nous aurons recours aux énergies renouvelables, solaire et petit éolien’, précise AR qui participe à ce projet d’éco-hameau. Il a fallu trouver un terrain. ‘A Bernay - Saint-Martin (près de Surgères en Charente-Maritime), la municipalité partageait peu ou prou notre souci écologique’, raconte PP, autre membre d’Hélioterre. Les associés y ont acquis deux hectares pour ériger une douzaine de maisons. ‘A mesure que nous avançons, nous découvrons que d’autres ont ce genre d’intention’, remarque AM. Hélioterre s’est notamment rapprochée d’une autre association de sa région, les Fourmis Colos, qui font la promotion de l’écohabitat. ‘Nous échangeons des conseils, nous organisons des chantiers participatifs. Nous faisons des groupements d’achats’ résume MG, des Fourmis Colos. » / Agnès Marroncle / La Croix / 2 décembre 2008. Une fois n’est pas coutume, je retranscris l’intégralité du texte original (non disponible en ligne) : l’auteur me pardonnera j’espère…

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