dimanche 27 juin 2010

L’homme de la pampa, modèle familial ? (D’un rapport de l’Insee sur les familles monoparentales)

Certains sujets favorisent l'approche par un biais. Il en est ainsi des familles monoparentales. Le sujet incite les journalistes à se sustenter du vécu. Ce qui arrive à ces familles monoparentales – en bien ou en mal, peu importe – sert alors très souvent d'illustration : la vie quotidienne, l'accompagnement des enfants à l'école ou encore les courses. Mais il y a un hic : les passages obligés de la vie domestique touchent toutes les familles. Certes, la tâche paraît moins lourde si elle est partagée. Il reste cependant à démontrer que dans un couple normal, les conjoints se répartissent le labeur.
Lâchons le mot, qui n'a jamais assisté au spectacle d'un homme rentrant chez lui après une journée de travail, quittant son costume et ses chaussures de ville pour s'affaler dans un canapé disposé devant la télévision du séjour ? Imaginons le cas extrême du goujat qui esquive les bains, la leçon des enfants ou encore la préparation du repas du soir, sous le fallacieux prétexte de la fatigue. Non seulement il n'apporte aucune aide mais représente une bouche supplémentaire à nourrir, souvent la plus difficile à satisfaire. En un mot comme en cent, la vie domestique inclut autant de grandeurs que de servitudes. Aucun parent n'y échappe : rien ne permet par conséquent d'isoler la famille monoparentale des autres.
L'éducation des enfants menacée par le conseil de l'Europe (?!) apparaît comme un autre biais pour parler de la famille monoparentale. Le rôle du père sert généralement de fil directeur, soit que la mère isolée supplée l'irremplaçable – a t-elle le choix ? – soit qu'elle éprouve les plus grandes difficultés à inculquer la politesse à sa progéniture. Mais le nombre d'adulte(s) dans une famille ne modifie en rien le caractère primordial de l'éducation. Qu'il soit plus facile à deux que seul d'obtenir quelque chose d'un enfant se discute ! Notons d'abord que les enfants mal élevés ne datent pas d'aujourd'hui. Les moins convaincus penseront à des familles dans lesquelles le père s'efface. Le suractif accaparé par son métier, rentre à son domicile pour poser un dernier baiser sur le front de ses enfants. Il perd une dizaine d'heures par semaine dans les trajets pendulaires, quand il ne prend pas l'avion pour un déplacement qui l'éloigne de chez lui. Le suractif ne voit pas ses enfants grandir ; en week-end, ne préfère-t-il pas jouer au grand frère plutôt qu'au père fouettard ? Yves Mourousi résume ainsi les Compères.
Le dépassé reste cloîtré chez lui une grande partie de la semaine. Chômeur, il touche les minima sociaux. Il se sent encore plus disqualifié s'il ne maîtrise pas le français et ne comprend pas grand chose aux codes et aux comportements des jeunes de sa banlieue. Ceux-ci lui semblent impolis ou mal attifés. Confronté à des grands enfants plus à l'aise que lui dans la société, il se tait de peur d'une rebuffade blessante. S'il lève le coude trop souvent, l'homme prononce l'indicible et commet l'irréparable. Les petits spectateurs occupent alors les premières places, quand ils ne revêtent pas les habits de figurants.
A l'inverse, des mères célibataires parviennent à se faire respecter et à transmettre des valeurs, malgré les difficultés quotidiennes. Il ne faut pas voir dans ce qui précède une apologie de la destruction de la famille traditionnelle. Bien sûr, un enfant trouvera matière à se construire dans un environnement sûr, vrai et transcendé par l'amour. Mais un Charles Péguy a su se passer de ce modèle, pour ne prendre que cet exemple. De toutes façons, les familles monoparentales ne sortent pas de nulle part ! Dans plus de cinq cas sur six (voir INSEE), même à l'échelle de quelques mois, un couple procréateur et stable précède l'arrivée d'un enfant. Les familles monoparentales comptent 1,6 enfant contre 1,9 pour l'ensemble des familles (id.)
Dernier biais enfin, les familles monoparentales seraient mal vues. Réclamer le statut de victimes confère des lettres de noblesse, quitte à noircir le tableau. Les enquêtes sur la famille témoignent surtout d'un certain relativisme vis-à-vis du choix des adultes. Une confusion règne donc entre un sentiment de culpabilité qui reste à évaluer, et les attitudes culpabilisantes des tiers. Telle jeune femme se plaint, car ses parents lui mènent la vie dure pour qu'elle fonde un foyer. Mais que sait-elle de ce que pensent d'autres ? Telle autre déplore de ne plus être invitée chez des amis. Ceux-ci préfèreraient la compagnie de leurs semblables, vivant en couple. Le problème est que d'une part la vie sociale tend à se restreindre avec l'âge, et d'autre part que la quête d'homogénéité sociale dépend du niveau de revenus, autant que de la situation matrimoniale. Au fond, chacun porte en lui un sentiment d'incompréhension et la peur du jugement des autres... C'est insuffisant pour extrapoler !
Pour aborder au contraire sous le bon angle la situation des familles monoparentales, rien ne vaut l'étude parue dans la revue de l'INSEE du mois de juin, n°1195. Les trois auteurs (Olivier Chardon, Fabienne Daguet et Emilie Vivas) ont synthétisé cinq points essentiels. 1. Le nombre des familles monoparentales augmente rapidement en France, avec une multiplication par 2,5 en quarante ans. 2. Les veufs et veuves ont perdu toute place particulière, ne représentant que 10 % des familles monoparentales alors qu'elles étaient majoritaires dans les années 60. A l'époque, l'homme de la Pampa essayait de transmettre des principes d'éducation à une nièce turbulente (allusion aux Tontons Flingueurs)
3. Un profil type se dégage, avec une femme comme chef de famille dans six cas sur sept (85 %), moins diplômée que celles vivant en couple. 4. L'éclatement du couple avec enfants conduit à une paupérisation. Pour la femme ne bénéficiant plus du salaire d'un tiers, un métier en moyenne moins qualifié implique des rémunérations moindres, et une plus forte exposition au risque de licenciement. 5. Les conséquences les plus immédiates concernent les logements. 36 % des familles monoparentales habitent dans une maison, c'est-à-dire deux fois moins que la moyenne (68 % des couples avec enfants).
Il faut évidemment conclure sur ce point qui touche au marché du logement en France. L'offre suscitant la demande, le marché de l'immobilier favorise t-il le développement du phénomène ? Cette question n'a de sens qu'appliquée aux politiques publiques. Le gel des plans d'urbanisme dans les parties centrales d'agglomération a alimenté une progression des prix du m² et forcé la parcellisation des grands appartements et maisons. Les incitations aux placements dans la pierre ont quant à elles stimulé l'achat de logements de moins de 100 mètres-carrés destinés à la location. Aux Etats-Unis, des études ont même démontré que l'éclatement de la cellule familiale modérait l'inflation des coûts de main d'oeuvre et facilitait la mobilité géographique... Gageons que le retournement du marché de l'immobilier et le niveau des cours du pétrole qui incite à une densification des aires urbaines provoquent en retour une diminution du nombre de familles monoparentales. De quels thèmes s'inspireront alors les scénaristes ?

PS./ Geographedumonde sur la question du logement : L'idéal de la hutte.

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