mardi 29 juin 2010

Pensée reprisée. (’2009, après la crise… la reprise’: titre de ‘l’immobilier - support d’information édité Nexity’)

Au cours d'un déplacement à Vincennes depuis ma lointaine Bretagne, ma journée a été éclairée par un prospectus distribué dans le train. Il ne s'agit pas d'un journal, comme son modeste sous-titre le précise, mais d'un support d'information édité par Nexity. Le mot publicité arrache les yeux et fait sans doute baver l'encre à l'impression. Car la maison ne lésine ni sur le papier, assez épais et légèrement glacé, ni sur les couleurs et les photos. En quinze pages, toutes numérotées comme dans une revue de médecine sur le traitement des hémorroïdes par les plantes, je ne décompte qu'un tiers de réclames à la gloire de Nexity. Les dix autres pages - quel luxe - traitent du sujet du moment, l'immobilier en Bretagne. La première page varie d'une région à l'autre, mais précède des pages intérieures fixes.
Le lecteur reconnaît sans mal la presqu'île bretonne puisqu'apparaissent les remparts de la cité malouine à moitié cachés par les mats de monocoques amarrés, en arrière-plan du titre, 2009, après la crise... la reprise. Un breton digne de ce nom, l'objet des convoitises de ses cousins de la Loire-Atlantique [Village gaulois], s'habille en effet le week-end avec un bermuda bleu, un tee-shirt rayé de marin, et met des chaussures-bateaux. Sur la photo, le ciel est bleu, ponctué par le clocher de la cathédrale de Saint-Malo. En tendant l'oreille, on devine les mouettes qui criaillent.
Outre les titres d'articles, un éditorial décore le bas de la première page, intitulé « Bretagne, pourquoi il ne faut pas attendre ! » Plus le temps de réfléchir, la maison brûle... Le directeur-général de Nexity-George V Bretagne donne ses lettres de noblesse à la démonstration par l'absurde. Sa photo ornant le coin opposé, je suppose en effet qu'il a rédigé les quelques lignes suivantes, non signées. « Selon le sondage Sofres (à découvrir en pages centrales), 11 % des personnes interrogées en début d'année ont l'intention d'acquérir un bien immobilier dans les douze prochains mois (contre 8 % en janvier 2008). Hausse continue des loyers, baisse des prix à l'achat, chute du coût du crédit... Les Français ont compris que, par-delà la morosité ambiante, cela faisait bien longtemps qu'autant d'éléments favorables n'avaient pas été réunis pour devenir propriétaire ! » Nous voilà donc arrivés à un stade sans précédents, dans lequel 90 % des Français se désespèrent d'acheter un nouveau bien. Est-ce parce que leur épargne ne permet pas de l'envisager, ou les prix dépassent-ils les limites de ce que la grande majorité peut acquérir en s'endettant sur trois décennies ? Ces deux questions n'intéressent pas l'éditorialiste, obnubilé par les trois points gagnés, de 8 à 11 %. Je m'étonne qu'il n'ait pas joué à fond son avantage : en mettant en avant une hausse de 40 % des intentions d'achat de janvier 2008 à janvier 2009, il pouvait truffer son omelette d'un pourcentage à deux chiffres. Quel dommage !
En même temps, page deux, « Les prix ont déjà baissé. » Le supplément d'information recommande d'acheter, on l'aura deviné, pour le plaisir d'économiser, de défiscaliser, d'arrondir sa retraite, en bref pour le plaisir de posséder de la pierre. Le singulier implique en effet qu'il n'y a qu'une pierre, sur la margelle de la boîte aux lettres. Pour tout le reste, rien ne remplace le béton. « Des avantages à saisir de suite. » Deux suites pour le prix d'une ? Page trois, les dix bonnes raisons d'acheter maintenant se déclinent. Les taux d'intérêts, les matériaux, le bruit et le froid - merci les normes d'isolation - et tout ce qui coûte s'écrase. On ne compte plus en revanche les gains. C'est bien simple, pour qui parcourt cette liste enchanteresse, l'impression est que l'acheteur remplit son porte-feuille : crédit d'impôts, prêt pour trois cacahouètes, exonération de la taxe foncière, etc... Plusieurs pages enfoncent le clou un peu plus loin. « Taux de crédit : mieux qu'accessibles, ils redeviennent attractifs ! » (Page cinq). « Nouveau prêt à taux zéro, doublement et parfois plus ! » (Page sept). « Dispositif Scellier-Carrez, ou comment payer significativement moins d'impôts et se constituer un patrimoine pour moins de 200 € par mois ? » (Page onze).
Deux couples se prêtent au jeu du témoignage, page quatre. Ils apprécient beaucoup Nexity, évidemment, et se préparent à revendre chacun un appartement. Le supplément d'information aurait-il oublié ceux qui deviennent pour la première fois propriétaires, généralement baptisés primo-accédants ? Le trentenaire explique avoir acheté son studio en 2006 à Montpellier pour 114.000 euros : merci papa - maman ?! Il aspire à fonder une famille avec sa fiancée et songe par conséquent à déménager dans un autre logement. Les quadragénaires ont quant à eux délaissé Paris lors de la vente de leur appartement en 2005, et vivent désormais dans un immeuble de Boulogne, la banlieue à risque des Hauts-de-Seine. Tous quatre représentent une facette séduisante de l'histoire de la bulle immobilière occidentale. Celle-ci n'a pas encore dégonflé. Page huit et neuf, le supplément d'information consacre deux pages au sondage annoncé, en reprenant les chiffres de l'éditorial, puis en surlignant deux réponses.
Qu'est-ce qui ne va pas a t-on demandé aux sondés ? La crise, ont-ils rétorqué. « Pour les Français, la crise actuelle de l'immobilier ne va profiter à personne, mais elle sera lourde de conséquences à commencer par : des suppressions d'emplois (83 %), une baisse du nombre de logements construits (72 %), une baisse du patrimoine des ménages (72 %), un renforcement des difficultés d'accès au logement (67 %). » Et si la baisse des prix permettait de susciter des envies d'achat chez ceux qui jusque là se retenaient ? Un pourcentage écrasant de sondés se satisfont en tout cas des mesures gouvernementales. Grand bien leur fasse. Elles conduisent néanmoins pour l'essentiel à bloquer la baisse des prix.
Mais y a t-il quelque chose de nouveau dans la communication de Nexity [Steack haché cerise] ? Faut-il même reprocher au groupe de tenter de vendre les logements qu'il a construit ? Malheureusement, la presse sérieuse ne tient pas un discours fondamentalement différent. Dans Le Monde daté du 20 mars 2009, Isabelle Rey-Lefebvre s'en donne même à cœur joie. Sonnez les trompettes, Le logement neuf profite des mesures de relance. Le représentant de la Fédération des promoteurs constructeurs frémit, par ce que çà va mieux. Il qualifie le quatrième trimestre 2008 de catastrophique (15.000 logements vendus). Le mauvais appartient au passé, et le meilleur ne devrait pas tarder à se produire sous nos yeux ébahis. Un promoteur se confie à la journaliste. Les prix ne collaient plus à la demande. Un réajustement de 10 % a suffi pour restaurer la confiance. Décidement, je plains les acquéreurs de 2008 à qui on a fait prendre des vessies pour des lanternes.
Et puis s'esquisse l'origine du déclic... « Les promoteurs peuvent remercier la panoplie de mesures de relance, qui semblent porter leurs fruits. Elles ont, d'ailleurs, été largement inspirées par les professionnels eux-mêmes, qui bénéficient de solides appuis au sein du gouvernement. Ainsi, Stéphane Richard, fondateur et ancien PDG de Nexity est le directeur de cabinet de Christine Lagarde, ministre de l'économie. Inversement, l'actuel directeur de l'habitat social chez Nexity, François-Xavier Schweitzer, vient du cabinet de Christine Boutin, ministre du logement. »
Grâce aux grands de ce monde, les bailleurs sociaux vont acheter 100 000 logements invendus. Quelle bonne idée ?! Les offices HLM en si bonne santé financière deviendront propriétaires de 100.000 logements acquis au plus haut du marché. Le gouvernement s'inquiète d'une détérioration des recettes de l'Etat en 2009 ? « C'est aussi et surtout le nouvel avantage fiscal accordé aux investisseurs, introduit par un amendement à la loi de finances rectificative pour 2008 baptisé amendement Scellier, qui dope les ventes. » L'acheteur d'un logement neuf louera pendant neuf ans au moins pour pouvoir réclamer une baisse significative de ses impôts [1] Il y a aura en outre un doublement des personnes pouvant prétendre à un prêt à taux zéro, pour un coût de 800 millions d'euros. La journaliste signale également l'engagement des collectivités locales, avec le Pass Foncier. Après la quincaillerie, l'orfèvrerie. C'est un vrai bijou appelé accession en deux temps : « achat du bâtiment puis, après vingt ou vingt-cinq ans, du terrain. La charge de paiement est ainsi étalée sur une quarantaine d'années, sans oublier la TVA réduite de 5,5 % sur ces programmes. »
Mais les mécontents râlent. Si j'osais, je parlerais presque de mauvaise volonté. La méchante crise agresse le marché de l'ancien. « La déduction des intérêts d'emprunts, introduite par la loi TEPA (travail, emploi, pouvoir d'achat) de 2007, n'a, malgré son coût de 2,4 milliards d'euros, guère d'effet. 'Nous préférerions que le doublement du prêt à taux zéro s'étende à l'acquisition dans l'ancien, ce serait plus efficace' propose Henry Buzy-Cazaux, délégué général de la Fédération nationale des agents immobiliers. »
Il n'y a par conséquent pas l'ombre d'un doute sur les causes de l'embellie. Elle est aussi peu liée à la mauvaise volonté des acquéreurs que dans les précédents reculs des ventes. Le gouvernement garde encore des ressources, il est vrai. La nationalisation des terres constructibles, la suppression de tous les prêts à intérêts positifs et l'achat de centaines d'immeubles par mois ou par an augurerait d'un nouvel âge réminiscent. Il sera toujours temps de réfléchir à la phase suivante. J'ironise encore, malgré moi. Parce qu'il faudrait pleurer. Un documentaire américain sur le krack du crédit donne toutefois une chance de sortir de cet étouffoir médiatique français. La Crise sur toutes les lèvres révèle, non l'effondrement du capitalisme fou, mais l'éclatement d'une bulle immobilière sans précédent dans le monde occidental. Avec quelques trimestres d'avance, les Etats-Unis prennent de plein fouet la crise : mortgage meltdown.
Le documentaire ouvre sur une vente aux enchères de maisons en Californie. La scène impressionne par le débit ininterrompu du commissaire priseur, et par l'assistance. Des centaines de badauds cotoient des chercheurs de bonnes affaires. En salle, des hommes en costumes cravates relaient les offres, des femmes attablées derrière des ordinateurs portables tapent les montants. Les maisons se négocient à 30 ou 40 % de leur prix d'achat. C'est un tourbillon sans gravité particulière ; on applaudit ici ou là. Et puis un professeur d'économie introduit vraiment le sujet. Pour Robert Shiller de l'université de Yale, le seul précédent connu au glissement des prix observé aux Etats-Unis remonte à 1941, l'année de l'entrée en guerre contre le Japon. La camera filme des panneaux d'agence plantés au milieu de jardins de maison. En voix off, le commentateur précise qu'à l'automne 2008, deux millions d'Américains ont été contraints de quitter leur logement.
Le premier témoin rencontré se définit comme anxieux. Ce Californien affirme avoir prévu le risque sismique, les attaques terroristes, les agressions de bandes organisées, ou simplement de concitoyens désorientés :il possède cinq armes à feux. Mais il a oublié le risque le plus simple, celui d'avoir à abandonner sa maison, sa voiture et tout ce qui faisait sa fierté. Un deuxième témoin emmene le présentateur en voiture pour lui montrer une ville surgie au milieu de nulle part, en plein désert. Dans cette lointaine banlieue de Los Angeles, s'étalent des maisons individuelles de bon standing. Les affaires de l'agent immobilier ont prospéré tant que le prix des biens augmentaient. Ils ont doublé en trois ans, et les gens continuaient à signer des chèques. L'automobiliste passe aujourd'hui en revue une succession de maisons vides, pour beaucoup précédées de la pancarte For sale. L'agent analyse fort justement cette période d'euphorie : il n'y avait aucun autre job possible pour gagner aussi bien sa vie, à l'origine d'une spirale que rien ne semblait capable d'arrêter. Les banques et les fonds d'investissement ont flairé le filon et mis sous pression les entreprises.
Robert Shiller associe sans sourciller la fin de la bulle des nouvelles technologies - qui correspond aux lendemains des attentats du 11 septembre et aux mesures libératrices décidées par la Federal Reserve pour éviter la récession qui couvait - et le gonflement de la bulle immobilière. L'universitaire compare le résultat à un événement majeur pour la Californie, Gold Rush. Les Occidentaux ont cru en masse pouvoir déterrer de l'or dans leur jardin, une fois leur achat réalisé. Peut-être n'est-il pas utile de détailler tous les ressorts du documentaire. Il recèle des trésors de pédagogie, avec ce qu'il faut de rythme pour captiver l'auditoire. Le reporter Paul Barry accouche littéralement les personnes interviewées. Celles-ci totalement mises en confiance décrivent cette tragédie américaine - et à n'en pas douter planétaire - avec humour et détachement. A qui tout cela est-il arrivé ? A n'importe qui et à tout le monde répond l'une d'entre elles. Car les banques ont prêté à tous, même à ceux qui possédaient moins que rien, ou dont le salaire se situaient bien en deçà des seuils les plus bas imaginables... Une publicité ponctue soudain les images, diligentée par une banque se vantant de prêter même à un chien.
Ce documentaire me fascine. Les images datent déjà d'il y a plusieurs mois, tournées et distribuées en fonction d'un public américain. Comme si aux Etats-Unis existait un droit à l'erreur, et en même temps une impérieuse nécessité de savoir, avec l'espoir de rebondir. Celui-ci paraîtra vain, mais il distrait incontestablement de la pensée reprisée dominante en France.

PS./ Geographedumonde sur la bulle immobilière : Le creux entouré du vide.


[1] « Si l'achat est réalisé en 2009, la réduction s'élève à 25 % du prix d'achat limité à 300 000 euros, soit, au maximum, 75 000 euros étalés sur neuf ans ; s'il intervient en 2010, elle tombe à 20 %, et plafonne à 60 000 euros. Le système est, en outre, simple et égalitaire envers tous les contribuables, puisqu'il s'agit d'une soustraction directe de l'impôt à payer, et non pas de l'assiette imposable. » / Le logement neuf profite des mesures de relance / Le Monde / 20 mars 2009 / Isabelle Rey-Lefebvre.
Incrustation : Mortgage meltdown.

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