dimanche 27 juin 2010

L’idéal de la hutte. (De la collaboration entre un grand nom du BTP et Yann-Artus Bertrand pour la vente de pavillons ‘écologiques’)

Yann-Artus Bertrand s'illustre du haut de son hélicoptère, en photographiant les quatre coins de la planète. Il donne de la valeur à l'inestimable et s'approprie ce qui n'appartient à personne. Cette activité pour laquelle il a montré un talent incontestable lui a permis de se ménager une niche dans le monde des médias, à mi chemin entre le commandant Cousteau et Nicolas Hulot. Il a vite saisi les ficelles du métier de communiquant et de publicitaire pour développer son affaire. Car il ne manque pas d'idées. J'ai cependant commencé à percevoir les limites de sa démarche en contemplant son éphéméride Géo – Yann Artus Bertrand offert par un oncle de ma femme un soir de Noël 2006. Depuis un an et demi, mon regard part chaque jour vers une nouvelle destination. Mon émerveillement primitif s'est cependant émoussé. Les commentaires accolés à la photo quotidienne m'obnubilent désormais. Censés éclairer, ils sont en fait plats et pesants. L'envie de me débarrasser du pesant cadeau monte insensiblement, mesure de représailles extrême, je le confesse.
Photo du 5 juin. Une poignée de Pygmées posent au milieu de la forêt, les pieds dans l'eau, armés d'arcs et de flèches. Ils se prêtent au jeu de mauvaise grâce, et renvoient au photographe capteur de pittoresque pour carte postale, des visages renfrognés. Ce dernier propose sa photo d'autochtones comme autrefois les montreurs d'ours exhibaient leur animal dans les fêtes foraines. Un commentaire savant [...] agrémente le cliché. Je le cite : « Les Pygmées du Zaïre [...] forment le peuple le plus petit du monde : leur taille n'excède généralement pas 1,50 m ! Chasseurs – cueilleurs de la forêt équatoriale, ils se montrent endurants et habiles à composer avec un environnement hostile. » Yann Artus Bertrand s'inspire sans le savoir de Pierre Desproges.
Pour tenir compte de l'histoire coloniale de l'actuelle RDC, je suggèrerais pour la prochaine réédition une insertion Pygmée dans l'article traîtant des Belges. « Les Belges, expliquait l'auteur des Etrangers sont nuls, s'appellent ainsi parce qu'ils prêtent à rire... L'histoire de la Belgique est aussi insipide qu'une pensée de Bernard Hinault. » Le 9 juin, le calendrier de Yann-Artus Bertrand m'enverra chez les Grecs avec ce commentaire : « Au centre d'Athènes, les evzones montent la garde jour et nuit devant le Parlement grec. Ils portent une ceinture, une jupe plissée et un chapeau en drap rouge orné d'une houppe de soie noire. Peu de couturiers confectionnent les uniformes des evzones. »
Le photographe défenseur de la planète a su également mettre de côté ses objectifs à des fins pécuniaires. Il prête généreusement son nom à un industriel du bâtiment pour lancer un projet fédérateur, la mise au point d'un pavillon écologique. Geoxia se targue de son classement de premier constructeur de logements individuels de France, mais le grand public connaît mieux le groupe sous le nom de sa marque fétiche. Les maisons Phénix ont ainsi recouvert en quatre décennies une partie non négligeable des couronnes périurbaines françaises, conjuguant qualité du bâti et intense originalité de l'architecture... Avec le partenariat de l'agence Coste Architecture, et en y adossant le nom de Yann Artus Bertrand, le groupe Geoxia espère commercialiser ce logement révolutionnaire, très judicieusement appelé La Bonne Maison. Enviro2b lui consacre une page web.
En un mot comme en un seul, l'environnement est content [1]. La Bonne Maison est bien. Et puis elle ne va pas coûter cher à produire, puisqu'elle recycle la vieille technique des maisons Phénix : « elle bénéficie d'un procédé de construction exclusif, breveté Phénix, qui consiste à associer acier et béton. La structure (charpente) de la maison, en acier recyclable, est habillée de dalles de béton fibrées de bois (bois issu de forêts certifiées). » Le chauffe-eau chauffera au soleil et le poêle brûlera du bois venu d'ailleurs ; le jardin ne dégagera en effet pas la biomasse nécessaire à son fonctionnement. Avec La Bonne Maison, le futur propriétaire enfile les économies comme d'autres les perles. Il acquiert pour trois têtes d'épingle une merveille estampillée Effinergie, un label ad hoc. [2]
D'autres sites font écho de la révolution promue par Yann Artus Bertrand. Certains pratiquent la réclame aussi efficacement que l'agence Chine-nouvelle la propagande communiste. La Vie Immobilière précise quant à elle que le constructeur a choisi un village d'Eure-et-Loir pour exposer sa maison-pilote. On trouve là un renseignement précieux concernant les clients visés : un couple gagnant autour de 2.000 euros, prêts à s'endetter sur trois décennies pour faire construire leur Bonne Maison tout en continuant à travailler à Paris ou en banlieue parisienne. Les autoroutes A10 et A11 irriguent l'est du département de l'Eure-et-Loir, tandis que la N12 dessert sa partie septentrionale, au-delà de Dreux. Les futurs acquéreurs bénéficient là de prix fonciers plus raisonnables que dans les Yvelines ou dans l'Essonne.
Un blog dévoile le nom du village choisi. La commune de Boutigny-Prouais borde justement les Yvelines, à cinq kilomètres au sud d'Houdan, de l'autre côté de la frontière départementale. Non contents de rembourser leur emprunt, les heureux propriétaires rouleront 66 kilomètres pour se rendre dans Paris, pour la modique somme de 15 euros l'aller-retour (environ 10 litres de carburants / itinéraire calculé Mappy). En se contentant d'un seul véhicule – soyons optimiste – ils consacreront 300 euros en moyenne chaque mois à leurs déplacements domicile-travail, l'équivalent de deux mois de salaire par an. S'ils souhaitent prendre les transports en commun pour éviter les embouteillages, ils prévoieront quarante-cinq minutes pour rallier Paris en train à partir d'Houdan. Ils engloutiront vite l'énergie chichement économisée grâce à la Bonne Maison. Les bonnes intentions pavent le paradis environnemental de Yann-Artus Bertrand.
Sur la toile, les adeptes déçus de la maison Phénix récriminent et cherchent des épaules sur lesquelles il voudraient s'épancher. L'un évoque les retards, l'autre gémit contre les multiples et anciennes malfaçons. Mais le nombre de commentaires témoigne d'un succès durable qu'il serait malhonnête de cacher. Le géographe tient cependant avec le groupe Geoxia l'un des principaux artisans de l'étalement pavillonnaire en France. On aurait tort pourtant de placer en tête des griefs l'esthétique. Le problème des maisons Phénix réside dans les milliers d'hectares de tissu urbain lâche. Ces couronnes concentriques gelées forcent les derniers arrivants à bâtir de plus en plus loin des coeurs d'agglomération. Les municipalités peu regardantes ont sans complexe encouragé la tendance à l'éloignement entre domicile et lieu de travail. Le carburant cher et le retournement des prix étranglent finalement les propriétaires pavillonnaires.
Des architectes ont accompagné ce qui a constitué la négation même de l'urbanisme, qui est organisation de la cité et non juxtaposition d'îlots isolés. Dans cette succession uniforme de pavillons, un seul cabinet d'architectes peut travailler à l'échelle d'un pays, reproduisant à l'infini le même modèle. Pendant ce temps, des centaines de leurs jeunes confrères connaissent des fins de mois difficiles, ou le chômage. Le Monde signale une reconversion dans la magie : les architectes d'intérieur, agrandissent l'espace sans repousser les murs. Au sein des habitations, la lumière doit inonder et le vide l'emporter. L'architecte d'intérieur rationalise, chasse l'inutile et ruine les ébénistes et menuisiers, car le meuble contemporain rêvé est minimaliste, coulissant, escamotable ou pliant. Dans l'espace, les pièces se ressemblent et communiquent. L'architecture intérieure popularisée par la télévision maximalise le vide. L'art a cédé la place à la décoration, et le vieux bois au plastique jetable. « Ces solutions permettent de se débarrasser des armoires, des commodes, des coffres et des caisses qui grignotent l'espace vital. » [Philippe Demougeot] Lumière et espace ne valent que pour un lieu et une tranche de vie : rien à transmettre, tout à racheter. « La convention cède le pas à un pragmatisme hédoniste. » Sur un mur trône un poster de Pygmées ou d'evzone. Le chat Grenelle se dore au soleil traversant une baie vitrée. La Bonne Maison, c'est un peu revenir à l'idéal de la hutte...
PS./ Geographedumonde sur la périurbanisation : En pays briochin, les merveilles n'existent pas

[1] « 'La Bonne Maison' répond aux exigences de 'l'éco-conception' qui implique l'utilisation de nouveaux choix techniques visant notamment à la diminution de la consommation d'énergie et à la prise en considération de l'environnement immédiat. » / Enviro2b.
[2] « [M]odèles de 80 à 150 m2 au prix de référence de 125 000€ pour 100m2 (hors terrain). En plus de sa certification NF démarche HQE, 'La Bonne Maison' est la première maison individuelle en France à se voir attribuer le tout nouveau label Effinergie (soit bâtiment basse consommation). Ce label Effinergie, à l'initiative de l'association éponyme créée en mai 2007, a pour objectif la promotion des constructions à basse énergie (consommation maximum de 50kWh/m2/an en énergie primaire selon les régions). 'La Bonne Maison', n'est pas seulement une maison contemporaine, confortable et soucieuse de l'environnement. En dépassant les exigences de l'ensemble des normes actuelles, elle ouvre la voie vers les normes environnementales et économiques de demain. » / Id.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire