lundi 28 juin 2010

Des provinciaux à Paris. (Des collectivités locales confrontées à une explosion de leur endettement)

Avez-vous goûté le spectacle du cirque médiatique autour de la crise financière, les déclarations à l’emporte-pièce devant les caméras ou dans les journaux, les numéros d’équilibristes d’experts ignorants ? Vous redoublerez de plaisir à la lecture des papiers de Localtis.com, un site consacré aux collectivités locales sponsorisé par Dexia. Deux d’entre eux ont retenu mon attention, qui s’aventurent sur le thème du risque des déséquilibres financiers. La tonalité ne varie pas, comme dans la chanson d’avant - guerre Tout va très bien… Point de marquise, mais quelques laquais : « Attention à ne pas tomber dans l’amalgame ! » recommandent en effet les spécialistes des finances locales.
L’un d’entre eux – cité par Localtis – recourt tout bêtement à l’argument d’autorité : « La crise financière, aujourd’hui c’est la crise bancaire, ce n’est pas la crise des collectivités locales, dont la situation financière est satisfaisante. » Tout juste s’attend-il pour les dites collectivités à « une restriction et un renchérissement du crédit ». Et si les banques manquaient à l’appel dans les prochaines semaines ? « C’est ‘quelque chose sur lequel on travaille’, a indiqué Jean-Christophe Moraud [le sous-directeur à la Direction Générale pour les Collectivités Locales] » Malheureusement, les journalistes exagérant toujours – on sait à quel point ce défaut handicape cette corporation en France (…) – les rumeurs vont bon train. Mais Jean-Christophe Moraud n’en démord pas. Du point de vue de l’endettement, « Avec les produits structurés, il n’y a pas de risque, si ce n’est un renchérissement des prix ». Mais que peut-on craindre de plus catastrophique en empruntant de l’argent, qu’une fin de remboursement retardée et un loyer renchéri pour cause de hausse des taux d’intérêt ?
Le vice-président de l’Association des maires de France ne se contente pas de reprendre à son compte les arguments précédents. « Les 5 milliards promis lundi par le gouvernement ne sont pas destinés ‘à sauver les collectivités de la faillite‘, a-t-il indiqué. ‘Le seul risque’ de la crise financière, c’est que le crédit ‘coûte plus cher’ aux collectivités, a-t-il déclaré, en ajoutant d’ailleurs qu’il n’était ‘pas certain que cela dure’. Pour Philippe Laurent, la crise financière est ‘l’arbre qui cache la forêt’ ». En bref, les flammes montent mais l’incendie restera circonscrit : en fermant les yeux et en se bouchant les oreilles. Dans une page du site un peu plus ancienne qui remonte à la mi – septembre, Clémence Villedieu nuance : « Les premiers effets du ralentissement économique se font sentir sur les budgets locaux ». Elle tire sa conviction de l’analyse de deux cadres de la banque Dexia. L’un deux évoque une crise intervenant sur un corps en bonne santé. La journaliste en arrive cependant vite à la faille centrale des collectivités territoriales, leur médiocre capacité d’autofinancement « En septembre 2007, la note de conjoncture mettait déjà en avant le tassement de la croissance de droits de mutation lié à une inflexion réelle de la hausse des prix de l’immobilier. Après des années de très forte augmentation (+16% en 2004, +14% en 2005 et +13% en 2006), pour la première année, en 2008, le produit des droits de mutation (DMTO) pourrait enregistrer une baisse évaluée à 3%. »
Les DMTO (Droits de Mutation à Titres Onéreux) perçus sur chaque transaction immobilière ont été une poule aux oeufs d’or pour les collectivités depuis que les prix de l’immobilier grimpent. Entre 2000 et 2005, le montant total est passé de 3,7 à 7 milliards d’euros : + 10 % par an en moyenne depuis 1997. Les bénéficiaires se répartissent comme suit : le département (72 %), la commune sur laquelle se situe le bien (32 %) et l’Etat (6 %). La part prise par les droits de mutation dans les recettes des conseils généraux atteint dans certains cas 32 % [source]. Clémence Villedieu s’égare par la suite dans l’exposé des dépenses. Cherche-t-elle à ménager son lectorat ? Elle justifie en tout cas leur augmentation par le transfert de compétences de l’Etat (gestion des agents d’entretien gérés jusqu’à aujourd’hui par l’Education Nationale ou des personnels de la DDE) et par la hausse des prix de l’énergie. S’y ajoute tout de même le service de la dette. « Les intérêts de la dette augmentent cette année de 10 %. […] Cette année, l’encours de dette s’établirait à 126 milliards d’euros fin 2008 et enregistrait une progression de 5,6% par rapport à 2007. Pour la sixième année consécutive, les collectivités sont en situation d’endettement. » Alors l’Etat ne donne pas suffisamment ? On reste sur sa faim en s’arrêtant à cette question trop souvent posée.
De fait, le Monde ramène à peu de choses les théories de Localtis.com, dans une page consacrée le 5 octobre dernier aux fameux cinq milliards d’euros. Xavier Ternisien se penche sur le cas de la Seine-Saint-Denis [1]. « Un audit réalisé par le cabinet Klopfer a révélé que 97 % de l’encours de la dette de son département était constitué de produits structurés, autrement dit d’emprunts toxiques indexés sur des taux aussi exotiques que le change du yen, du dollar ou du franc suisse. Le président (PS) du conseil général de Seine-Saint-Denis estime que, dans le pire des cas, les intérêts de la dette de sa collectivité pourraient grimper de 21 millions d’euros en 2009 à 39 millions en 2011, pour un encours total de 808 millions. » Claude Bartolone prend beaucoup de pincettes parce qu’il ne souhaite manifestement pas accabler Hervé Bramy, son prédécesseur communiste, qui lui garantit probablement une majorité au conseil général.
Il dirige par conséquent ses piques sur les commerciaux de la banque Dexia. Vus les montants concernés, on imagine des vilains besogneux en costume trop serré et cravate acrylique, faisant le porte à porte pour vendre des encyclopédies en 21 volumes et contournant l’épargne de vieux retraités : un million par volume, voilà une bonne affaire ! Claude Bartolone fustige également la Direction Générale des Collectivités Locales. En dernier recours, il admet du bout des lèvres qu’Hervé Bramy a agi avec légèreté. Ce dernier ne souhaite pourtant pas faire amende honorable. La commission permanente qui comprenait des élus de l’opposition a en effet voté à l’unanimité les emprunts. Il affirme avoir fait baisser la dette, mais confond celle-ci avec les mensualités de remboursement. Sa conclusion mèle populisme et incantation : « Il n’est pas question que la population de Seine-Saint-Denis paye les frais de la crise bancaire. » Dans un entrefilet [2], le lecteur découvre qu’à côté de la Seine-Saint-Denis, la mairie de Paris a l’intention de lever plus d’impôt l’an prochain (+ 9 % ?). Elle emploie en 2007 8.000 agents de plus qu’en 2001.
En conclusion, les recettes vont diminuer, mais combien de responsables de collectivités prennent la mesure de la situation ? Les élus locaux sont en réalité nos élus nationaux. Les maires de Paris, les présidents de Poitou-Charente, l’ancien président des Hauts-de-Seine, et combien de ministres (aujourd’hui ou dans un passé proche) constituent autant d’exemples d’élus locaux parvenus ou ambitionnant de l’être. Ceux-ci se retrouvent dans les mêmes associations : celle des Maires de France en est une. Entre Paris et les collectivités, le donnant - donnant fonctionne à merveille, ce dont témoigne l’aide de cinq milliards d’euros prévue par le gouvernement. Le président de la région Aquitaine Alain Rousset l’annonce dans le Monde du 23 octobre : Etat et régions, ensemble face à la crise. A la veille d’une probable rupture du financement des collectivités locales, les provinciaux de Paris ne peuvent désormais cacher leurs défaillances. L’heure vient-elle d’une remise à plat ? Il s’agit sans doute d’une réforme impossible [3].

PS./ Geographedumonde sur la réforme des collectivités territoriales [Mettez vos bottes : province boueuse] et sur la bulle immobilière : Histoire drôle islandaise.


[1] « En Seine-Saint-Denis la quasi totalité de la dette est constituee d’emprunts toxiques. » / Xavier Ternisien / Le Monde / 21 octobre 2008.
[2] « A Paris, Bertrand Delanoë assume une hausse de 9 % des impôts locaux, sur fond de crise. » / Béatrice Jérome / Le Monde / 21 octobre 2008.
[3] « Collectivités territoriales, la réforme impossible ? » / Romain Pasquier / Le Monde / 16 octobre 2008.

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