mardi 29 juin 2010

‘Le Nouveau Monde’, comme une ode à l’Ancien Monde. (Du film de Terrence Mallick)

Trois ans après sa sortie dans les salles de cinéma, The New World passait hier soir sur le petit écran. J'ai pu grâce à France 2 combler une lacune et savourer ce chef d'œuvre. La version traduite trahit probablement les dialogues originaux, ce qui va m'inciter à acquérir le DVD du film afin de l'apprécier sa juste valeur. Pour les béotiens qui - comme moi - ne connaissent pas encore l'histoire, je rappelerai les grandes lignes de ce film qui se déroule au XVIIème siècle, pour les trois-quarts dans la future colonie de Virginie et pour le dernier quart en Angleterre. Les adjectifs généralement accolés tombent ici à plat. Le film porte en majesté la nature sauvage, entre terre et eau, plutôt que des costumes. Certes, une partie du film se déroule au milieu d'une tribu d'Amérindiens vêtus de peaux de cuirs et de plumes. Mais ceux-ci semblent appartenir à la forêt dans laquelle ils se confondent.
Un Anglais pourtant protégé par une armure et armé d'un pistolet tombe dans un guet-apens, dans l'impossibilité d'imposer sa supériorité. Celle-ci ne lui sert à rien dans la forêt. La fente de son heaume ne laisse entrevoir qu'un rai de lumière insuffisant pour distinguer les mouvements habiles et rapides de ses agresseurs qui ont tôt fait de le ligoter. Plus tard, dans un mouvement empreint de majesté, le chef Powhatan reniant sa fille bien aimée, fait volte-face et présente à la caméra sa cape en fourrure. Il n'est pas seulement roi dans son royaume. Il incarne la nature elle-même. Une fois sortis de cet environnement, au milieu des grandes herbes environnant le camp anglais, les Amérindiens doivent reconnaître leurs faiblesses.
Leurs silhouettes brunes tranchent dans le vert tendre de la prairie. Mais le lien avec la nature ne se distend guère, comme l'illustre un autre passage. Transporté de l'autre côté de l'Atlantique pour être présenté à la cour du roi d'Angleterre, un soldat indien se promène sous l'œil de la caméra dans un jardin classique, à la française. L'obscurité gagne les plates-bandes. Il pleut. Mais il passe sous des arbres sculptés en caressant les premiers branchages, comme s'il s'amusait de leur connivence. Tout au long de sa courte existence, la princesse amérindienne et héroïne principale s'adresse sans distinctions ni difficultés, au monde animé autant qu'au monde inanimé. Terrence Mallick ne filme pas l'homme vivant dans la nature. Il réalise une symbiose, dans laquelle le spectateur finit par prendre l'un pour l'autre.
Faut-il affubler Le Nouveau Monde du qualificatif d'historique ? Le film ne détourne certes pas les quelques traits de la brève chronologie transmise par les sources. Pocahontas, amérindienne âgée de onze ou douze ans en 1607 a bien existé. Elle a peut-être sauvé un Anglais du nom de John Smith qui a ensuite décidé de revenir vivre en Angleterre. Pocahontas a vécu parmi des colons européens après avoir été vendu par une tribu alliée à celle de son père. En 1614, elle s'est mariée à un certain John Rolfe. Les mémorialistes ont rapporté les principaux événéments du voyage de John Rolfe avec sa femme et leur enfant métis, l'accueil respectueux à défaut d'être très chaleureux imaginé pour promouvoir l'émigration anglaise à destination de la Virginie. Pocahontas meurt sans revoir le Nouveau Monde [source].
Le cinéaste ne se passionne pourtant pas pour ce qui enflamme généralement les amateurs de bluettes. Les rebondissements à l'eau de rose ont alimenté la chronique et assuré le succès de l'adaptation de l'histoire par les studios Disney. Ceci est une autre histoire. Qu'a éprouvé John Smith à l'encontre de la belle jeune fille ? Cette dernière a t-elle été amoureuse ? Terence Mallick - tout en tenant en haleine les spectateurs - ne laisse planer aucun doute. Dans le film, Pocahontas a choisi un homme en conscience. Lorsqu'elle comprend qu'elle s'est mépris sur la mort de John Smith, elle juge nécessaire de crever l'abcès éventuel. L'héroïne entend ce que lui dictent à la fois son cœur et sa raison. Elle revient alors à John Rolfe. Le cinéaste ne perd pas de temps sur des routes déjà balisées. La difficile confrontation des cultures se résout par le personnage féminin qui parvient à une synthèse harmonieuse des deux mondes. Le cinéaste filme sa conversion comme une étape naturelle. Pocahontas si souvent dans l'eau pour se baigner, reçoit un jour l'eau du baptême.
Dans Le Nouveau Monde, on retrouvera les premières heures de la fondation de Jamestown, les tensions entre colons bagarreurs, la capture de John Smith par les Amérindiens, Pocahontas intercédant auprès de son père pour que les soldats épargnent l'Anglais. Le chef accepte à condition que les colons promettent de repartir dès le retour des beaux jours. Le captif séjourne par la suite au milieu des Amérindiens, et s'acclimate au point de s'enamouracher de la fille du chef. De retour à Jamestown, John Smith s'impose à la tête de la colonie affaiblie par la faim et les désertions. Seul le ravitaillement de la belle Amérindienne leur évite l'anéantissement. Elle a toutefois contourné le projet paternel. Quand il s'en rend compte, le père de Pocahontas la renie et puis l'exile, ce qui enclenche les réactions en chaînes décrites plus haut. Au jour des retrouvailles sur le vieux continent, John Smith avoue en même temps son mensonge - il est vivant - et son échec : il est revenu en Angleterre sans avoir découvert la route des Indes. « Tu les trouveras », dit-elle.
« Peut-être suis-je passé près sans les voir... » Cette réplique résume bien des personnages de cette histoire, au-delà de l'ambitieux John Smith prêt à tout pour suivre son ambition de nouvelles terres, de richesse et de gloire. Il me semble qu'elle décrit aussi les Amérindiens belliqueux, mais incapables de rejeter les Européens à la mer. Cette société non primitive, humainement et technologiquement à la hauteur des envahisseurs, ne cherche pas à s'emparer des instruments (boussoles) ou des armes européennes, ni à combler ses méconnaissances. Sûrs de leur supériorité, les Amérindiens ne voient pas où se trouve leur intérêt : non pas bons sauvages, mais Amérindiens présomptueux...
Bien sûr, je me suis émerveillé de l'image et des jeux de lumière. Les personnages principaux jouent avec délicatesse. Tout cela trouve sa place dans une critique de film. Tel n'est pas ici mon propos. Le Nouveau Monde me pousse simplement à tirer deux conclusions plus personnelles. Terrence Mallick me pousse sur ce terrain avec son titre. Il ne me semble pas choisir celui-ci par hasard, montrant par là qu'il utilise la vie de Pocahontas pour réfléchir sur les origines de son pays. La Virginie (carte) compte en effet parmi les plus vieilles colonies de la Nouvelle-Angleterre. Le décor du film correspond au décor même de l'histoire américaine. Les cours d'eaux côtiers prennent dans cette région leur source dans le massif appalachien tout proche. Chaque fleuve donne toutefois naissance à un large estuaire, de la largeur d'un bras de mer dans le cas de la Chesapeake Bay.
Le niveau marin ayant connu une élévation continue au cours des 15.000 dernières années, les fonds de vallées - pour certaines creusées par les glaciers laurentiens - ont été immergées, offrant aux premiers Européens un littoral ponctué d'indentations entre terre et mer. La Virginie littorale a par la suite servi de théâtre d'opération pour les armées sudiste et nordiste pendant la guerre de Sécession (à la fin du mois de mai 1862, lors de la bataille de Fair Oaks). Au début du XVIIème siècle, l'eau omniprésente ajoutée à la chaleur moite de l'été virginien permet évidemment la culture du tabac, mais fait des ravages dans les premières colonies. Terrence Mallick insiste sur l'extrême fragilité des premiers occupants, reclus dans leur fortin, les baraques séparées par un sol en terre battue constellée de flaques d'eau boueuse.
Le cinéaste apporte sa pierre à une réflexion sur la colonisation, sans tomber dans le manichéisme. La question qu'il se pose est plutôt comment ces dizaines de va-nu-pieds ont-ils réussi à fonder une colonie ? Car il n'affadit pas le portrait de la plupart d'entre eux : rebuts de la société anglaise, traîne-savates ou bandits de grand chemin, pour la majorité prêts à tuer tout être humain susceptible de leur barrer la route. Ils offrent un contraste saisissant avec les présumés sauvages, mais plus encore avec les Londoniens que l'on découvre vers la fin du film, à la ville comme à la Cour. Le Nouveau Monde sonne donc à mes oreilles comme une ode à l'Ancien Monde, tandis qu'il donne un éclairage sur la constitution du fond démographique des Etats-Unis, à l'encontre des livres d'histoire nationale.

PS./ Geographedumonde sur les Etats-Unis : Clint casse la baraque.
Incrustation : affiche du film de Terrence Mallick - The New World (blog)

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