samedi 26 juin 2010

Séisme destructeur et certitudes inébranlables. (Du 12 mai au Sichuan, et de ce qu’on veut bien voir de la Chine)

Les séismes ébranlent les fondations d'immeubles davantage que les certitudes. Moins de deux semaines après le tremblement de terre du Sichuan, l'une des plus grosses catastrophes naturelles de l'histoire contemporaine a cessé de défrayer la chronique. Des dizaines de milliers de morts, une province à moitié rasée méritaient une couverture médiatique à la hauteur de celle suscitée par le tsunami de l'océan Indien en 2004, ou par le passage du cyclone Katrina au sud des Etats-Unis en 2006. La puissance exceptionnelle du séisme contraste étrangement avec le retour à la normale extrêmement rapide, les titres sur les cours pétroliers, le pouvoir d'achat en berne, la fin du festival de Cannes ou le démarrage du tournoi de Roland-Garros.
Cependant, je ne me satisfais pas de l'accusation d'égoïsme ou de xénophobie anti-chinoise (?) susceptible d'être proférée en Chine à l'encontre des étrangers. Je considère également comme secondaire l'hypothèse d'une collusion entre les médias occidentaux et le parti communiste chinois, même si celui-ci tente clairement de filtrer les images, et de contrôler les journalistes. Le ministre de la Propagande en visite au Sichuan livre sans fard ses conseils obscènes à qui veut bien les glaner. Bruno Philip, les rapporte dans le Monde du 22 mai : « le ministre de la propagande, le redoutable Li Changchun, commande de 'donner la priorité à une propagande positive', de réaliser des reportages exaltant 'l'unité nationale' et mettre l'accent sur le comportement émouvant des soldats-sauveteurs... » Pékin veut surtout sauver la face auprès de ses ressortissants, me semble-t-il.
Le tremblement de terre a terni l'image et sapé l'autorité du parti communiste ? Celui-ci se sert de la catastrophe autant qu'elle le dessert. Il veut démontrer qu'une fois la stupeur passée, les secours s'organisent, que le pays sortira renforcé in fine. Je ne vois pas davange qu'Hu Jintao et ses proches craignent une interprétation religieuse de l'événement, théorie défendue par Guy Sorman dans une tribune signée dans le même journal [1]. La répression anti-religieuse rentre simplement dans le cahier des charges du communisme instauré en Chine par Mao après 1949. Et si les futurs JO turlupinaient plus les organes de presse étrangers que les cercles du pouvoir ? A mon sens, il convient de prêter moins de machiavélisme et une marge de décision plus réduite au PCC. Mais peut-être me résouds-je au cynisme, à reconnaître que retourner l'événement dans le sens désiré est de bonne guerre...
En revanche, cette terrible épreuve révèle la corruption généralisée (celle-là que l'on retrouve dans une tout autre affaire, qui déstabilise cette semaine le groupe Danone), et l'exceptionnelle fragilité du miracle chinois. Sur ce point, Guy Sorman fait mouche, qui recoupe les témoignages. « Les journalistes sur place et les survivants constatent que les bâtiments qui se sont écroulés en premier et qui ont tué le plus grand nombre se trouvent être des bâtiments publics, les écoles et les hôpitaux. Chacun sait, en Chine, combien une forme de corruption commune dans les rangs du Parti consiste à économiser sur les matériaux et les normes de construction. Les enfants écrasés par les murs de leurs écoles sont les victimes de la corruption des bâtisseurs, des entreprises et des officiels, autant qu'ils sont les victimes du séisme. » Bruno Philip [2] relève qu'à Dujiangyan ou à Hanwang, des milliers [sic] d'enfants et d'adolescents ont péri, écrasés par l'empilement des toits et des étages de leurs établissements [confirmation]. Combien de familles de Sichuan ont-elles perdu leur unique rejeton ? Le parti porte là une double responsabilité, immobilière et démographique. Sur ce point justement, le tremblement de terre renvoie à l'ambiguïté occidentale. En 2008, les laudateurs de la politique de l'enfant unique s'en félicitent bruyamment, sans voiler leurs sources très officielles. L'Occident cultive là une hantise collective, face à la masse démographique chinoise.
Le tremblement de terre renvoie par conséquent à l'image d'une Chine dont on se détourne, qui ne rentre pas dans le cadre habituel. National Geographic consacre ainsi intégralement son dernier numéro à la Chine. La rédaction ne pouvait certes pas deviner le télescopage des informations. Les articles renvoient une image très convenue, et pour tout dire en complet décalage avec les éléments précédents. Le dossier spécial sur la pollution du fleuve Jaune (Huang He) dénote légèrement. Pour le reste, le lecteur rencontre les contrastes attendus : le village éternel suspendu entre brûmes et rizières inondées et les hôtels clinquants de Shanghai, les mineurs aux visages noircis de crasse et les acheteuses pimpantes, qui affichent leurs sacs débordant de produits de luxe. Contraste tellement rassurant : la Chine s'éveille. Ted C. Fishman écrit quatre colonnes, pas une de plus sur le grand chantier de la capitale. En une petite dizaine de paragraphes, le journaliste décrit une vaste fourmilière au sein de laquelle les ouvriers méritants ne chôment pas – il ne faut pas ennuyer le lecteur avec trop de détails sur les conditions de travail – et des bâtiments qui surgissent d'une semaine à l'autre. Un gratte-ciel de 74 étages (China World Trade Center Tower), un stade olympique en forme de nid d'oiseau ou encore un centre aquatique figurant un cube constitué de bulles de plastique bleu.
Ted C. Fishman répond à l'avance à ceux qui déplorent la rupture entre ces bâtiments futuristes et la tradition culturelle et architecturale chinoises : toutes les dynasties ont par le passé fait table rase, et les communistes maoïstes ont déjà beaucoup détruit. Le journaliste note quand même que les architectes occidentaux n'ont rencontré aucune concurrence sur place, la profession ayant quasiment disparu parce qu'étiquetée bourgeoise. Une conclusion lui échappe : le succès des meilleurs cabinets d'architectes internationaux signe plus la puissance financière des commanditaires chinois que leur raffinement artistique ; mais d'enquête sur l'origine des fonds, point. Le lecteur n'étanche pas davantage sa curiosité sur la disparition des hutongs, entrelas de ruelles étroites séparant des habitations organisées autour d'une cour commune. Comme à d'autres reprises, le journaliste esquisse une approche uniquement architecturale, sans glisser deux phrases sur les milliers d'expulsés, vaguement indemnisés pour prix d'une réinstallation à vingt ou trente kilomètres de la Cité Interdite. Les bulldozers concurrencent les tremblements de terre en terme d'efficacité. Les dégâts parlent d'eux-mêmes.
Tous les paysages de ruines ne se valent apparemment pas.

PS./ Geographedumonde sur la Chine : En Chine, la colère de ceux qui auront tout perdu...
[1] « Un tremblement de terre, selon la tradition populaire chinoise, n'est pas seulement un accident naturel. De tradition, tout tremblement de terre est annonciateur de mouvements profonds qui affecteront la société. On se souvient encore en Chine, et je m'en souviens pour y avoir assisté, que le gigantesque séisme du Hebei en 1976, qui avait ébranlé Pékin, précéda de peu le décès de Mao Zedong. Il eût été difficile aux Chinois, à cette époque, de ne pas relier les deux événements, à la manière dont on croyait naguère que les catastrophes naturelles anticipaient toujours sur la mort de l'empereur régnant. [...] Il est essentiel, du point de vue du Parti, de démontrer qu'il est humaniste et rationnel, et que le tremblement de terre n'annonce rien, qu'il n'est pas surnaturel, qu'il ne laisse présager ni la mort de l'empereur ni un changement de régime. » / Guy Sorman.
[2] « Près de 7 000 écoles détruites par le séisme : le nombre d'établissements scolaires qui se sont écroulés sous l'impact des secousses est démesuré. Des milliers d'écoliers sont morts sous les décombres de bâtiments souvent mal construits. Souvent, la fragilité des édifices est le fruit de la corruption des cadres locaux du parti en cheville avec des entrepreneurs. Un système qui a conduit à rogner sur la qualité des matériaux pour dégager des commissions sur les budgets de construction. Les tiges d'acier du ciment étaient ainsi trop fines, les normes du mélange ciment-eau n'étaient pas respectées et le sable utilisé était 'sale'. [...] A Juyuan, autre canton touché, une partie du collège s'est écroulée, ensevelissant des centaines d'enfants. Visage protégé par un masque de coton, Lin Gang, 26 ans, un ancien élève, était revenu, samedi 17 mai, sur les lieux. [...] 'Les budgets alloués par l'Etat central sont rognés au fur et à mesure qu'ils descendent depuis Pékin vers les cantons', expliquait-il. Devant une petite foule silencieuse, il précisait : '"Les fonctionnaires locaux s'en mettent plein les poches.' » / Bruno Philipp.

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