dimanche 27 juin 2010

Wild Wet Midwest. (’Le Midwest sauvage et humide’ : des crues exceptionnelles du Mississippi et de ses affluents)

Le Midwest sort des eaux. La fonte des neiges et les pluies printanières ont cette année forcé le débit du Mississippi et de ses affluents. Dès la fin du mois du mai, les cours d'eaux ont dépassé leurs seuils critiques sur plusieurs tronçons. Réintégrant soudain leurs lits majeurs, ils ont inondé des milliers d'hectares dans les vallées des rivières Wisconsin, Cedar, Iowa ou Des Moines. Toutes rejoignent le fleuve dans sa première partie, à l'amont de Saint-Louis. On verra un peu plus loin que l'épisode n'est peut-être pas terminé. Le Mississippi, l'un des plus grands fleuves du monde (3.870 km) prend sa source près de la frontière entre le Canada et les Etats-Unis, à 450 mètres d'altitude. Il pallie la faiblesse de la pente de la même façon que le Nil, par la puissance de son débit : 18.000 mètres – cubes en moyenne par seconde à l'embouchure. Le fleuve développait naturellement des méandres à l'intérieur du lit majeur. Les aménageurs l'ont contraint à se stabiliser dans un chenal stable.
En dessinant un tracé d'écoulement le plus rectiligne possible – le chemin le plus sûr et le plus rapide pour la navigation – ils ont en même temps dégagé un maximum de terres cultivables dans la plaine inondable. Les chutes les plus importantes situées à la hauteur de Minneapolis ont été fossilisées après 1870 dans un double système de barrage – écluses conçu pour contrecarrer le travail de sape du fleuve, le recul des chutes menaçant les installations urbaines et industrielles développées grâce à l'hydroélectricité. Au total, le génie militaire a bâti vingt-sept ouvrages sur la partie supérieure du fleuve. Inspirés par les aménagements soviétiques de la Volga, ils ont été pour la plupart achevés à la veille de la Deuxième guerre mondiale. Le barrage – écluse le plus récent date des années 1970.
Le dispositif ne varie pas d'une fois à l'autre. Un seuil barre les deux tiers du cours d'eau et soutient à l'amont un niveau d'eau minimum. Il retient et limite les effets d'une trop forte baisse de l'approvisionnement en eau lors de l'étiage. Des écluses aménagées dans le prolongement montent et descendent les barges circulant sur le fleuve. La vallée peu à peu façonnée en une cascade de bassins successifs est devenue une longue voie de circulation. Mais le cours d'eau libre de fluctuer a disparu, et les risques de crues exceptionnelles ont augmenté. De nouveaux habitants ont colonisé les berges alors que les lacs artificiels constamment réalimentés répercutent sans délai les augmentations de débit à la fonte des neiges hivernales et à la suite des pluies printanières. A l'état naturel, le fleuve connaissait auparavant (en hiver) une période de basses eaux dans sa partie supérieure : baisse des précipitations du fait des températures tombant en-dessous de 0°C. Les barrages – écluses aggravent par conséquent la situation.
L'agriculture elle-même accentue le phénomène. Les herbages ont régressé au cours du dernier demi siècle, laissant place aux cultures. Les tracteurs et les rampes d'irrigation distribuant l'eau directement pompée dans la nappe alluviale (voir Google Earth) ont permis de surmonter les faiblesses naturelles : sols légers et étés caniculaires. Comme les mois les plus rigoureux, de novembre à mars, raccourcissent l'année végétative, les agriculteurs plantent à la sortie de l'hiver. Au moment où les cours d'eau se gonflent, les pluies printanières tombent sur des champs de jeunes pousses qui ne couvrent pas les sols. L'activité agricole moderne a donc facilité le travail de l'érosion et accéléré le transport de particules fines finalement évacuées par le Mississippi. Les couleurs caramel et marron révélées par les photos aériennes trahissent le fleuve et ses affluents.
Car en dépit des digues protectrices, le Mississippi a débordé. L'été s'ouvre avec la menace d'un transfert des stocks d'eau vers l'aval. On estime qu'une goutte d'eau versée dans le lac Itasca met environ 90 jours pour atteindre l'embouchure du fleuve. Cet été, dans la moyenne et la basse vallée, les autorités surveilleront avec attention la météorologie dans les Grandes plaines. Dans la partie inférieure de ce gigantesque bassin-versant, au-delà de la ville de Saint-Louis, un air tropical et humide venu du Golfe du Mexique pénètre traditionnellement à l'intérieur des terres. Celui-ci amorce une mini–saison des pluies qui – si elle se produisait cette année – coïnciderait avec un niveau d'eau du Mississippi plus important qu'à l'accoutumée. Les Etats-Unis ont connu cette conjonction fatale en 1993, avec des millions de dollars de dégâts. Des précipitations plus marquées sur le bassin annexe de l'Ohio et en particulier sur le massif appalachien déclencheraient un sinistre équivalent ; en temps normal, le plus gros affluent de rive gauche du Mississippi participe à hauteur de 40 % au débit terminal : 8.000 mètres-cubes par seconde à la confluence. Dans les jours qui viennent, le danger guette l'agglomération de Saint-Louis.
La principale répercussion économique concerne les prix des matières premières agricoles, d'abord des céréales puis des sous-produits de l'élevage (viande, lait, etc.), le maïs rentrant dans l'alimentation animale. La boue a envahi des milliers d'hectares de champs. Les pluies abondantes ont favorisé le développement de pourritures et de champignons, compromettant la récolte 2008, tandis que la fraîcheur inhabituelle du printemps a ralenti la pousse. Dans l'Iowa, le premier producteur de maïs des Etats-Unis, les chercheurs de l'université de Knoxville (Tennessee) évaluent le montant des dégâts à 2,7 milliards de dollars. Il convient néanmoins de nuancer le tableau. Beaucoup d'agriculteurs ayant retardé leurs plantations vont se rattraper en semant en juin. Certains repassent sur des parcelles dévastées, dès que l'eau s'évapore. Le soja remplace le maïs. Tous devront intensément irriguer, et restent soumis au risque de nouvelles inondations. Ils prieront en outre pour échapper aux gels propres dans la région aux automnes précoces (source).
Les habitants de pavillons engloutis sous les flots boueux n'ont plus d'autres ressources. L'inondation les a assommé. Susan Solny du New York Times a rencontré les sinistrés. 35.000 dans la région, dont 24 morts. Une famille a réussi à s'échapper par le toît. Certains jurent de quitter les lieux au plus vite. Les pouvoirs publics craignent une pollution aggravée par le déversement accidentel d'effluents industriels ou à cause du lessivage des champs récemment traités. Susan Solny s'inquiète des conséquences du déblaiement. Chaque foyer souhaite se débarrasser de ses déchets : une tonne environ par foyer. Pour la seule ville de Cedar Rapids, on dénombre 4.200 maisons dévastées. Des officiels évoquent un total de 300.000 tonnes à évacuer : mais avec quels véhicules ? Les évaluations financières suivront, quand les eaux se retireront. Les quartiers désolés se succèdent dans cette partie de la vallée... [1] Les inondations interviennent tandis qu'une récession se dessine aux Etats-Unis.
Plus au sud, tous ceux qui habitent aux abords du fleuve s'efforcent de conjurer les effets de la prochaine crue. Ils élèvent des murs de sacs de sable s'arrêtant brièvement à l'annonce d'une bonne nouvelle, lorsque une digue a cédé plus en amont, laissant le Mississippi prendre ses aises loin de chez eux. Chez d'autres. Beaucoup se résignent, la tête pleine de souvenirs de '93'. Monica Hesse du Washington Post décrit la lucidité des habitants (« Living on a river seams living with unpredictability »), leur sens de l'humour parfois, mais le plus souvent leur détermination et leur volonté de rebondir. La journaliste ne minore pas la menace, au contraire [2].
Wild Wet Midwest. Le Midwest sauvage et humide.



PS./ Geographedumonde sur les Etats-Unis [Utopie en tache] ; Sur les risques d'inondation : Damoclès sur le Mékong.




[1] « 'It’s amazing what water can do,' said Lora Lee Edwards, who owns a poster business in downtown Cedar Rapids. 'We really can’t clean; we need shovels and wheelbarrows. Everything is turned over and destroyed. It’s a huge, mucky mess. And the hardest part was coming in for the first time and seeing what had to be done.' Downtown streets are dusty and gray from debris, deserted except for work crews in white environmental-protection suits and respirators, hacking away at office buildings and theaters and restaurants. City Hall, the courts and the sheriff’s office are all being aired out as the last of the water is pumped out of basements and mopped out of puddles in lobbies. [...] In the neighborhoods near downtown along the river, the streets looked like passageways through canyons of debris reached six and seven feet high. » Susan Saulny.
[2] « It's not overwhelming water such as during Katrina. It didn't flood in all at once, then stagnate. It's water that inches up on you, tiptoes slowly, hides for a while only to reappear in a road or baseball field. Drip, drip, drip. It's enough to drive a person crazy. » / Monica Hesse.

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