lundi 28 juin 2010

Hu Jiabao au pays du casse-tête. (Sombres perspectives en République Populaire de Chine)

Hu Jiabao travaillait au bord de la Rivière des Perles, dans la Zone spéciale de Shenzhen… Né dans le coeur montagneux du Guangdong, il a obtenu un diplôme de mécanique à l’université de Guangzhou, mais n’a réussi à se faire embaucher que comme mécanicien - agent de maintenance [1]. Pour pouvoir renvoyer à ses parents un peu d’argent, il a fini par accepter un poste à la chaîne chez un fabriquant de jouets, sous-traitant d’une société occidentale qui a brusquement annulé ses commandes à la fin du mois de septembre.
La période automnale correspond chaque année à une frénésie d’activité dans le secteur du jouet, en lien avec l’approche des fêtes de fin d’année. Mais cette fois, les grandes surfaces se rétractent en anticipant une chute de la fréquentation et une diminution des ventes en Amérique du Nord et en Europe. Dans le jouet, au contraire de l’agro-alimentaire, les industriels chinois travaillent quasi uniquement à l’exportation. Autant dire que pour l’employeur de Hu Jiabao, le retrait des clients occidentaux entraîne de façon automatique la fermeture.
Dans un environnement juridique très flou comme celui qui prévaut en Chine, son patron a disparu dans la nature, emportant avec lui la trésorerie de l’entreprise. Un matin, les employés, dont une majorité de femmes non déclarées, ont trouvé porte close. Elles servaient de petites mains, lui tentait de maintenir en service les machines, les tours pour découper les pièces en plastique et les visseuses pour les assembler. Tous ont travaillé pendant les trois dernières semaines, trois fois 60 heures, et n’ont perçu aucun salaire. Les arriérés d’heures supplémentaires sont également perdus.
En Chine, la protection des salariés reste théorique. Les dirigeants les moins scrupuleux, souvent en cheville avec un fonctionnaire local, s’exonèrent de toute responsabilité. Si leur affaire se met à battre de l’aile, rien ne les empêche d’aller créer une autre entreprise un peu plus loin. Pour Hu Jiabao et les autres employés en tout cas, il va falloir songer à rechercher un autre employeur. Les rumeurs ne leur font guère espérer de miracles dans l’immédiat. La hausse rapide du prix des matières premières a depuis plusieurs mois réduit les marges de nombreux industriels de la Rivière des Perles.
Les banques de Hongkong se montrent réticentes et l’argent de la diaspora se tarit : en Amérique du Nord, les affaires tournent au ralenti, en particulier sur la façade Pacifique. Hu Jiabao rentre chez lui, le soir. Il habite dans un immeuble d’habitations récentes, à l’extérieur de la Zone Economique Spéciale. Son licenciement remet en cause sa situation car il n’a officiellement pas quitté ses montagnes natales. En tant que mingong, il travaille au noir. Pour éviter de payer en pure perte un loyer - ceux-ci atteignent des sommets - il a recouru à un agent immobilier membre du parti qui a fait fortune dans l’expropriation de paysans, la revente de terrains à viabiliser et la construction de logements vendus à prix d’or.
Hu Jiabao ne possède pas le deux-pièces dans lequel il réside. Sur les registres municipaux, le prête-nom apparaît. Le propriétaire non déclaré rembourse chaque mois l’équivalent d’un gros loyer, avec l’espoir - un jour - de pouvoir faire reconnaître ses droits. Depuis le début de l’année 2008, et plus encore depuis l’été sur fond d’exploits sportifs aux JO et de conquête de l’espace, Hu Jiabao a pu constater que l’activité du bâtiment ralentissait. Beaucoup de chantiers ont interrompu leur activité, laissant des immeubles en cours de construction.
Des voisins lui ont parlé du retournement des prix de l’immobilier : que peut-il faire ? Il risque de ne plus disposer de revenus. S’il fait part à son intermédiaire de son souhait de se retirer, ce dernier peut le faire expulser sans recours ; en attendant, il risque fort de rembourser pour un appartement qui se déprécie. Hu Jiabao a pris un gros risque en investissant le pécule transmis par son père, l’argent lentement accumulé par ses parents pour leurs vieux jours dans un pays sans vrai système de retraite. Qu’adviendra-t-il si les prix continuent de glisser ? [2] De toutes façons, les actions à la bourse de Shanghai ont perdu 70 % depuis le début de 2007…
En dehors de l’immobilier, les alternatives pour placer ses économies n’existent pas en Chine. Ses parents ont subi de plein fouet la politique de l’enfant unique. Âgé de trente ans, Jiabao se retrouve seul, sans frères et soeurs. Avant tout autre considération, il veut à tous prix éviter l’humiliation d’un retour au village. Sa liberté péniblement gagnée, son diplôme péniblement obtenu impliquent qu’il envoie chaque mois de l’argent. Il rentrera avec toutes les marques d’une réussite matérielle, seul garantie pour trouver une épouse qui ne soit ni veuve, ni plus âgée que lui. Depuis peu une peur le tenaille. Ses parents ont perdu leur jeunesse, dans les années 1980, à s’échiner sur leur lopin individuel. Mais dans les quinze dernières années, l’embellie première a fait long feu.
L’augmentation du prix des matières premières (carburants, intrants agricoles), la fixation des prix des aliments artificiellement fixés par l’administration, et le tassement des salaires pour cause de maintien forcé de la main d’oeuvre à la campagne, ont effacé la prospérité originelle. Ses parents souffrent désormais des pathologies caractéristiques d’une vieillesse avancée (les plus de 70 ans) avec vingt ans d’avance. Ils n’ont pas l’argent pour se soigner. Hu Jiabao redoute de leur dévoiler la vérité, mais craint encore plus qu’ils ne succombent aux sirènes gouvernementales. Trente ans après les annonces de Deng Xiaoping et les encouragements à l’enrichissement personnel, Pékin promeut une nouvelle réforme. Celle-ci vise à autoriser les paysans à monnayer, non une propriété toujours déniée en dépit de décennies de labeur, mais un droit d’usage. Hu Jiabao sait qu’au message du parti succèderont les pressions du comité du village.
Si ses parents rentrent dans cette logique, ils lâcheront la proie pour l’ombre : l’espoir (?) d’une reconnaissance in fine de leur propriété balayé par une vente forcée. Car leur fils ne se fait guère d’illusions sur la réalité des futures transactions. Comme des milliers d’autres, le parti s’apprête à faciliter les expropriations. Au nom de la sécurité alimentaire, et de l’amélioration de la productivité par réunification des parcelles au sein de grandes exploitations. Mais quelles protections juridiques offre le parti aux parents d’Hu Jiabao ? Comme bien d’autres, ceux-ci désirent le minimum : recevoir un salaire équivalent à leur travail, prendre leur retraite et mieux encore, transmettre quelque chose à leur fils. S’ils cèdent leur droit d’usage, l’avenir s’assombrit. Pourra-t-il cependant les convaincre d’attendre. Pourra-t-il, au pire, les protéger des pressions ? [3]
Hu Jiabao sort de mon imagination. Il n’existe pas. Rien ne vous force à vous pencher sur son casse-tête. Les plus optimistes renacleront devant cet exercice et prétendront que l’auteur noircit le trait.
PS./ Geographedumonde sur la Chine : Des enfants uniques confrontés à l'horreur ordinaire.
[1] ”La Chine en proie à un chômage grandissant.” / Aujourd’hui la Chine / 28 février 2007. [2] “La pratique était aussi une boîte noire avérée pour la corruption : à Shanghaï, le scandale des fonds de pension qui a éclaté en 2006 continue d’avoir des répercussions. Après la condamnation à mort du directeur adjoint du bureau foncier de la ville en août, le procès d’un ex-haut fonctionnaire du quartier de Pudong, Kang Huijun, défraye la chronique depuis septembre. On y découvre comment il a pu accumuler les appartements, grâce à la générosité de groupes immobiliers tels que Yanlord Land, coté à Singapour. Or, pour nombre de Chinois, qui n’ont accès à la propriété de leurs logements que depuis les années 1990, la baisse des prix est une bonne nouvelle. Zou Tao - ce cadre de Shenzhen avait lancé, en 2006, un mouvement de boycott de l’immobilier, objectant que les prix étaient déconnectés des salaires - se félicite de l’évolution actuelle : ‘ Il y avait une bulle, on revient à un vrai marché. Tous ceux qui ne respectaient pas les lois du marché, comme certains promoteurs qui font des profits astronomiques, vont disparaître’, explique-t-il.” / “La crise financière occidentale fait éclater la bulle immobilière chinoise” / Brice Pedroletti / Le Monde du 15 octobre 2008. [2] “ A en croire la presse officielle, une ‘réforme majeure’ des terres agricoles devrait être décidée lors de la 3e session plénière du 17e comité central du Parti communiste chinois, qui s’achève le 12 octobre. Une annonce hautement symbolique : il y a trente ans, en 1978, lors d’une autre session plénière du cercle dirigeant du parti, Deng Xiaoping avait entériné ‘le virage historique de l’ouverture et des réformes’, rappelle l’agence de presse Chine nouvelle. La nouvelle réforme pourrait permettre aux ruraux ‘d’échanger, de louer ou d’hypothéquer leur droit d’usage et d’en tirer profit, afin de financer leur installation dans les villes’, explique Dang Guoying, un expert de la question rurale à l’Académie chinoise des sciences sociales, cité par le China Daily. Il s’agirait non de privatiser les terres, mais de sceller par une forme juridique et contractuelle solide, sous forme d’un bail directement monnayable, le droit d’usage des paysans. […] La question des terres est critique en Chine, où 750 millions de personnes sont classés comme ruraux. Elle est la source chaque année de dizaines de milliers de conflits dans les campagnes. Le système de production actuel n’est pas non plus adapté aux impératifs de sécurité alimentaire de la Chine d’aujourd’hui, car il favorise des exploitations morcelées, et donc une agriculture peu mécanisée et peu productive. Les paysans chinois n’ont pas le droit de céder les terres qu’ils cultivent selon un droit d’usage et dont ils sont propriétaires collectivement. Ce droit en incombe au comité du village. Dans les faits, celui-ci, le plus souvent contrôlé par le gouvernement local, en use et en abuse : seule une infime fraction (1/30e en moyenne selon les experts chinois) des sommes payées pour les terres collectives parviennent aux paysans. […] L’évolution du village illustre celle des campagnes chinoises. Dans les années 1980, la responsabilisation des paysans libère les énergies et fait décoller les campagnes, alors mieux loties que les villes. Les villageois de Xiaogang travaillent, accumulent de l’argent, construisent des maisons. Dans les années 1990, le mouvement s’inverse et certains paysans retombent dans la pauvreté.“ / “Une réforme majeure en faveur des campagnes pourrait autoriser les paysans chinois à céder leurs terres.” / Brice Pedroletti / Le Monde du 9 octobre 2008.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire