mardi 29 juin 2010

les hommes de main, les tortionnaires et les bourreaux font souvent leurs classes derrière les barreaux. (D’un dossier de ‘la Croix’ sur les prisons)

Dans le journal La Croix du mercredi 3 juin 2009, on trouvera en pages intérieures (deux et trois) un très édifiant dossier consacré au double problème des longues peines et du vieillissement des prisonniers en France. Il s'agit d'un trait commun à la majorité des pays occidentaux, mais notre pays présente d'attristantes caractéristiques. La proportion des personnes âgées de plus de 60 ans emprisonnées demeure encore exceptionnelle : 2.364 (chiffres de 2007) sur 63.397 (chiffres de 2009), c'est-à-dire entre 3 et 4 % de la population totale. Ce nombre de vieux prisonniers progresse cependant beaucoup plus vite que le nombre total, alors même que leur santé tend à se détériorer. Des établissements pénitentiaires inadaptés aux détenus les plus âgés.
Marie Boëton consacre un article à leur situation concrête, abordant dès le début le problème crucial des cellules collectives. Sans prononcer cette expression, la journaliste évoque une double peine pour les codétenus, privés préalablement de liberté : l'un doit prendre en charge la toilette, l'autre le transport dans les bras d'un paralysé jusqu'aux douches. En réalité, l'administration pénitentiaire ferme les yeux sur un travail non déclaré à l'intérieur même des prisons. Encore faut-il que les détenus handicapés ou à mobilité réduite disposent des moyens financiers pour se faire aider parmi leurs compagnons d'infortune. Les plus pauvres s'en passent.
En attendant, les maisons de retraite rechigneraient à accueillir des repris de justice (?) On ne voit pas très bien à quel titre ! La difficulté d'entrer en maison de retraite s'explique plus sûrement dans le résultat concret de l'emprisonnement, c'est-à-dire l'absence de retraite, et plus généralement de moyens financiers. Faute d'avoir pu travailler et cotiser, les prisonniers âgés en fin de peine sortent complètement démunis financièrement, sauf cas exceptionnels (fortunes personnelles, environnement familial). Marie Boëton signale donc un effet doublement désastreux, au plan économique et au plan moral. D'une part la collectivité assure la pénurie de structures d'accueil, généralement par un ajournement des audiences de suspension de peine. Certes quelques maisons d'arrêt se sont équipées de cellules spécialement conçues pour personnes handicapées. Mais la demande excède largement l'offre, ce qui signifie qu'une proportion (?) de prisonniers âgés vulnérables tombent sous la coupe de plus jeunes et de plus violents s'ils se rendent à la cour de promenade. La collectivité accepte d'autre part des formes de travail en milieu carcéral comme pis-aller. Ceux qui aident un codétenu grabataire ou diminué contre salaire ne se constituent pas pour autant une retraite.
Jean-Pierre Escarfail interrogé en marge de ce dossier ne tremble néanmoins pas. « Que le code pénal ait, récemment, allongé les périodes de sûreté des criminels les plus dangereux ne doit pas faire oublier que très peu de détenus passent, de fait, toute leur vie en prison. Pour exemple, ceux condamnés à la réclusion à perpétuité font, en moyenne, à peu près 17 ans de prison. Ainsi, la perpétuité réelle, c'est-à-dire l'impossibilité absolue pour un prisonnier de sortir de détention, n'existe pas en France. Les associations de victimes ne demandent d'ailleurs pas qu'on empêche les condamnés à perpétuité de recouvrer la liberté. Elles attendent avant tout que la dangerosité des détenus soit mieux évaluée au moment de leur sortie. » [La Croix / 3 juin 2009]. De problèmes, point. A écouter J.-P. Escarfail, la perpétuité ne fonctionne pas vraiment. Souhaite t-il son application ? La précision ne vient pas. Qui procède à l'évaluation d'un détenu enfermé pendant dix-sept ans, et en vertu de quels critères ? Avec cette conclusion apparemment rationnelle, le représentant d'association leurre son auditoire. Plus grave, il nie que les associations de victimes - quelles que soient les tragédies en cause - demandent à la société de payer à la place des condamnés.
La France est-elle devenue dangereuse ? Les statistiques reflètent une réalité très contrastée. Le taux d'homicides se tasse, de 3,3 pour 100.000 Français il y a quinze ans à 2,9 en 2007, comme les peines de prison prononcées pour ce même motif : 513 en 2002 pour 491 en 2006. Cette tendance entamée il y a trente ans semble corroborer les travaux des Américains Donohue et Levit sur les conséquences de la légalisation de l'avortement, touchant en moyenne davantage des populations dites à problèmes [Université de Chicago]. Les économistes ont déclenché une vive polémique parce qu'ils ont réduit à peu de choses l'utilité des politiques dites de tolérance zéro pratiquée en particulier à New York.
La Croix indique en parallèle une forte augmentation du nombre de viols déclarés : 12.280 en 2008 contre 7.830 en 1998. Vu que les trois quarts des victimes connaissent leurs violeurs et que dans les deux tiers des cas, le viol se produit au domicile même de la victime [SOS Femmes Accueil], les chiffres communiqués par L'Annuaire statistique de la justice étalonne la détérioration des relations intra-familiales, le couple n'étant en effet pas seul concerné. On reste ébahi devant le doublement des peines pour crimes et délits sexuels entre 1984 et 2004 (de 5.080 à 10.700), sans vraiment savoir si cette évolution provient d'un changement de la société ou d'une prise de conscience des juges soudain plus sévères...
Sur la pression conjuguée d'associations, d'organes de presse friands de faits divers sanglants et d'hommes politiques prêts à caresser le grand public dans le sens du poil, les longues peines de prison ne cessent d'augmenter. Le législateur a allongé les périodes de sûreté au cours desquelles le condamné ne peut solliciter une libération conditionnelle. Il a grandement réduit cette possibilité en cas de récidive. Le ministère pèse en outre sur les juges d'application des peines, surtout pour les cas sensibles, par crainte d'un emballement médiatique. La loi sur la rétention de sûreté pose les jalons d'une seconde incarcération molle pour les personnes classées comme définitivement dangereuses. Il faudra pour cela ouvrir des centres socio - médicaux - judiciaires.
Les JAP se retrouvent d'autant plus seuls que les experts médicaux se prémunissent au maximum et font assaut de formules alambiquées. Qui peut de toutes façons se prononcer sans une once d'hésitation sur le comportement à venir d'un détenu libéré ? Certes, il s'agit de ne pas exagérer le phénomène. Les longues peines touchent moins de 15 % des détenus français. Environ 6.000 sur 60.000 effectuent une peine de réclusion à perpétuité inférieure à vingt ans. La réclusion supérieure à vingt ans concerne 2.100 prisonniers (2007), en augmentation nette depuis vingt ans (1.800 en 1987). Cette progression suivant néanmoins celle de la population carcérale totale, on pourrait en déduire que, pour l'administration pénitentiaire, c'est un problème à gérer parmi d'autres. Dieu sait qu'elle n'en manque pas... [Les portes du pénitencier continuent de se refermer]
La population carcérale, pour reprendre l'euphémisme habituel, s'accroît avec une impression fâcheuse de gachis et d'inefficacité. Même minoritaires, les longues peines pèsent sur l'ensemble du système pénitentiaire. Elles ouvrent les portes du désespoir, dont témoigne chaque nouveau suicide. Pire, elles alimentent la violence de ceux qui savent qu'ils n'ont plus rien à perdre : sur eux-mêmes, sur les autres détenus, sur les surveillants, ou dans les tentatives d'évasion. Dans la pyramide carcérale, le sommet donne le contre-exemple pour la base des délinquants et petits trafiquants.
Ayant en tête Paris pendant la Révolution ou la Commune, Moscou et Petrograd après la Révolution d'Octobre 1917, ou encore Madrid et Barcelone en juillet 1936, j'ajouterai que les Français ont consciencieusement fixé au-dessus de leur tête une épée de Damoclès : les hommes de main, les tortionnaires et les bourreaux font souvent leurs classes derrière les barreaux. La situation prévaut ailleurs en Europe et en Amérique du Nord ? Cela ne me rassure pas pour autant...

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