mardi 29 juin 2010

Recettes moisies du placard. (Sortir de la crise, mode d’emploi)

La Croix du 24 juin consacre une double page intérieure (8 et 9) à une question pour l'heure saugrenue. Des priorités pour préparer l'après-crise : ou comment expliquer qu'à peine entamée, LA crise s'annonce presque terminée. Cela fait penser aux gens qui ont décidé de se promener en short sur des plages bretonnes au prétexte que l'été a commencé. La pluie les surprend en flagrant délit d'inconséquence, et les mouille aussitôt. Science divinatoire, quand tu nous tiens ! Que ferons-nous quand le soleil reparaîtra, pardon, lorsque la crise aura cessé de préoccuper le monde et tout son train ?
Le directeur de l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires) ne jure que par les biotechnologies et les nanotechnologies. Un physicien recommande un grand emprunt pour les chercheurs et une taxe sur les activités polluantes. Un expert climat énergie (sic) verrait d'un bon œil des investissements dans l'habitat, la filière bois, dans la recherche sur les batteries électriques et le stockage de carbone. Il s'attriste de l'étalement urbain - dont acte - mais appelle de ses vœux le renforcement des « grands champions industriels de l'automobile, du BTP ou de la gestion de l'eau ». Que ces derniers aient en bonne partie profité du pavillon périurbain lui échappe-t-il ? A moins qu'il ne cherche à ménager des clients potentiels ? J'extrapole. Le quatrième larron du dossier est un universitaire, professeur d'aménagement du territoire à Paris I Panthéon - Sorbonne.
« Les spécialistes étrangers sont surpris que notre pays comporte encore 80 % de territoires ruraux. Or, depuis une vingtaine d’années, la tendance est à regrouper les activités autour de quelques capitales régionales. On a atteint les limites de ce système : le moindre investissement y est devenu si cher que l’on ne peut plus guère améliorer la vie des citoyens. Ces derniers se tournent d’eux-mêmes vers le tissu rural qui se repeuple, mais les pouvoirs publics n’ont pas pris la mesure du phénomène. Il faut donc avant tout investir dans les maillages de transport avec des trains, des trams ou des bus pour desservir ces pans de territoire. Tout cela coûte très cher mais peut dynamiser le logement et donc le bâtiment, tout comme le développement du commerce et des services. Il y a trois grands territoires en danger : la 'diagonale du vide' qui va des Landes à la Meuse, le Massif central et le Grand Bassin parisien au-delà de l’Île-de-France. Faisons en sorte que l’on puisse prendre un TGV pour Clermont ou qu’on puisse aller facilement à Alençon. Ce sera déjà un pas énorme. »
Oui, je me confesse. J'ai relu plusieurs fois le passage. Ai balancé entre le rire dents serrées et les pleurs en sautant sur ma terrasse. Non, je ne jetterai pas l'anathème contre ce professeur, partant du principe que ce paragraphe résulte probablement d'un entretien téléphonique, forcément réducteur. Ceci étant dit, une pensée tient parfois en peu de mots, surtout lorsque ressurgissent de vieilles thématiques. L'adjectif vieilles renvoie à la France de 1871 ou de 1945. Par centaines, des écrivains, des hauts fonctionnaires, des hommes politiques ont tenté à l'époque d'analyser ce qui n'allait pas. Les échecs militaires immédiats ou mal digérés donnaient l'occasion à un déchainement. Les conclusions ont généralement convergé. La défaite signifiait que la modernité avait campé aux abords de nos frontières, et que la France cumulait les archaïsmes : trop paysanne, trop arc-boutée sur des privilèges, bref, trop figée. Il fallait désormais jouer un vieil air - Du passé faisons table rase - sous un mode mineur.
En 1963, la Datar (Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale) a incarné la volonté politique du fondateur de la Vème République. Charles de Gaulle entend moderniser la France à marche forcée, c'est-à-dire sans passer par la loi. De simples décrets ont donc guidé la main des préfets pour agir dans les plus brefs délais. Olivier Guichard porte l'organisme sur les fonts baptismaux, avant de devenir ministre en charge du dossier : ministère du Plan et de l'Aménagement du territoire (1968 - 1969), puis ministère de l'Equipement et de l'Aménagement du territoire (1969 - 1972). A ce poste, il autorise les constructions d'autoroutes à concessions. Signalons l'ouverture de l'avant-port de Fos sur mer (Port Autonome de Marseille) ou du Marché d'Intérêt National de Rungis à la place des Halles parisiennes, il y a 40 ans cette année.
Au nom de l'Aménagement du territoire, bien d'autres opérations ont toutefois vu le jour, pour beaucoup encore contestées. J'en isole quelques unes. En 1963, la Mission Interministérielle d'Aménagement Touristique du Littoral de Languedoc-Roussillon - également appelée Mission Racine - lance le chantier des nouvelles stations balnéaires censées répondre aux besoins des Français privés d'une Côte d'Azur saturée : la Grande Motte, Port-Camargue, le Cap d'Agde, Gruissan, Port-Barcarès, Port-Leucate et Saint-Cyprien. En réalité l'ensemble des littoraux français subit à la même période la pression des aménageurs et des promoteurs. Le maire de La Baule, Olivier Guichard, n'y résiste pas plus que d'autres. Pour les sports d'hiver, le Plan neige vise quelques mois plus tard à multiplier les stations modernes, en rupture avec les anciens villages d'altitude (le Service d'Etude et d'Aménagement Touristique de la Montagne date d'août 1964 / Voir ici).
Aucun secteur n'est vraiment négligé. A la campagne, l'Etat remembre, fait couper les haies, pousse les feux de l'intensivité et de la mécanisation (Les villes boulimiques se nourrissent de campagnes anorexiques). A la ville, il commande de nouveaux aéroports : Roissy, programmé trois ans après l'ouverture d'Orly (inauguré en février 1961), ou encore l'aéroport de Nice, plusieurs fois agrandi dans les années 1960, malgré les risques de raz de marée et de tremblements de terre (Salade niçoise sauce citron). Dans la vallée de la Durance on édifie Serre-Ponçon, barrage achevé à la mi - 1961. Autour de Paris naissent les villes nouvelles au succès mitigé (Ne pas confondre ‘vieille ville nouvelle’ et ‘ville nouvelle d’art et d’histoire’). Les aires urbaines explosent et les paysages périurbains s'enlaidissent à grande vitesse. Quel a été le bilan du cocktail béton et argent public ? Il me semble assez délicat à établir. Je croyais simplement que l'on était enfin revenu de la logorrhée aménageuse. Bien sûr certains attendus du Grenelle m'ont interpellé (Ne pas confondre ‘Grenelle de l’environnement’ et festival des grands travaux subventionnés) mais mon sentiment était que le règne de l'ingénieur appartenait au passé.
C'était une douce illusion. L'idée que l'espace rural mérite toute l'attention des aménageurs me fait penser au gouvernement japonais plaidant pour le maintien de l'étude scientifique des baleines. La diagonale du vide serait donc la cible privilégiée des candidats à l'investissement de long terme. Ah, la bonne diagonale. Que va t-on imaginer ? Un port en eaux profondes dans les Landes, un centre de congrès international dans la Meuse, un technopôle du lacet dans le Limousin, un centre de recherches sur les moteurs à eau dans l'Aube, une plate-forme polinodale dans les Ardennes ? Rien n'est trop grand pour dépenser de l'argent public utilement. Pour cela, il suffit de ressortir les recettes moisies du placard.

Incrustation : recettes du placard.

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