mardi 29 juin 2010

Trois Chinois et deux bronzes. (Des souffrances collectives et de l’agitation diplomatique en Chine)

Le vingtième anniversaire du printemps de Tiananmen approche. Aucune information n'a jamais filtré, en Chine ou à l'extérieur. Le grand public ignore tout de cet événement, l'inertie des autorités, et puis ce qui a enclenché leur réaction. Qui a décidé de la répression ? Des ordres ont-ils été donnés par écrit ? Combien de personnes ont-elles péri ? Combien ont-elles été emprisonnées sans jugement, sans que les familles ne puissent s'enquérir de leur sort ? Cent-vingt-sept mères d'enfants tués ou disparus au début du mois de juin 1989 ont donc signé une pétition : les Mères de Tiananmen.
Elles affirment que « leurs enfants ou des membres de leur famille ont été victimes des militaires envoyés pour réprimer les manifestants pro-démocratie hostiles au pouvoir communiste le 4 juin 1989. Le groupe exhorte le gouvernement à rompre son silence sur ces événements, à enquêter sur leurs circonstances, à donner le nom des morts, à indemniser leurs familles et punir 'les responsables de ces meurtres'. 'Ce n'était rien d'autre que d'inconcevables atrocités', pouvait-on lire dans le texte diffusé par l'organisation Droits de l'homme en Chine, basée à New York. 'La Chine est devenue une chambre forte hermétique et toutes les démarches des personnes du 4 juin, toute l'angoisse, toutes les plaintes et les pleurs des victimes et des blessés ont été ignorés', dit le document transmis au parlement national. » [L'Express]. Peut-être assistera-t-on à une soudaine clarification, à l'image de celle concernant la diffusion du sida dans la population chinoise [1] ?
Les événements bousculent néanmoins le pouvoir en place. Ainsi, trois hommes ont décidé de mettre fin à leurs jours ensemble, au même moment, le 25 février 2009. Deux proviennent de la province occidentale du Xinjiang et le troisième du Tibet, toutes deux non chinoises par la population. L'un des membres du trio a conduit en voiture ses deux compagnons dans un centre commercial de Pékin, à quelques centaines de mètres de la place Tiananmen. Ils avaient programmé leur suicide par le feu. Ils ne cherchaient pas à faire acte de violence sur autrui, mais seulement à manifester leur drame. Agissaient-ils en leur nom propre, ou au contraire selon un mot d'ordre collectif ? Le Courrier International évoque le cinquantième anniversaire de l'annexion du Tibet et de l'exil du dalaï-lama, mais aussi le premier anniversaire des émeutes de Lhassa. Ces provinciaux de nationalité chinoise cherchaient à mourir en martyrs, peut-être pour déstabiliser l'ordre politique en place. Comme des flammes sortaient du véhicule, des policiers les ont repérés. Ils ont apparemment réussi à les extirper en leur épargnant une mort certaine [L'Express]. Cet épisode atroce fait bien sûr penser au Tchèque Jan Palach qui s'immolait par le feu le 19 janvier 1969 pour protester contre l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques [source].
Pendant ce temps, les autorités de Pékin imitent les plans de relance décidés ici ou là en Occident, tout en renvoyant sans ménagement les mingongs dans leurs campagnes. Les organes officiels évoquent des sommes gigantesques, dépassant 450 milliards d'euros (4.000 milliards de yuans). Mais la cacophonie règne entre l'Etat central et les régions. Tous multiplient les annonces, sans concertation visible. Si personne ne sait vraiment qui disposera des fonds alloués, beaucoup suspecteront les fonctionnaires intermédiaires et autres roublards spécialistes du siphonage d'argent public. Les Pékinois observent bien que les grandes infrastructures conçues pour les J.O. de 2008 peinent à se reconvertir : stade - nid d'oiseau peu rempli, piscine olympique reconvertie en salle de concert harmonique... Qu'édifiera-t-on de dangereux, de laid ou de polluant, en bref de superflu, pour alimenter les carnets de commandes des industries du BTP ? Un célèbre avocat blogueur ne s'en laisse pas compter, comme le signale Brice Pedroletti dans Le Monde [2].
Plus sidérant encore, le régime consent à autoriser l'émission de coupons dits de consommation. Ils n'auraient rien à voir avec des coupons de rationnement. Beaucoup de métropoles ont sans tarder saisi l'occasion au vol, et ont largement distribué cette monnaie - papier de second rang. « A Hangzhou, dans la province du Zhejiang, le chef du parti a annoncé pour avril 600 millions de yuans (60 millions d'euros) de coupons d'achat à dépenser dans les grands magasins et les lieux de loisirs comme les cinémas, après que 100 millions ont déjà été distribués avant le nouvel an lunaire pour les résidents à bas revenus, et 40 millions pour les touristes potentiels des villes voisines. Les fonctionnaires de la municipalité pourraient aussi voir une partie de leur salaire payé en coupons. Zhenjiang, Nankin, Ningbo et Changzhou, toutes des villes du delta du Yangzi, ont aussi annoncé des programmes de coupons en faveur du tourisme. A Shanghaï, 2 000 écoliers et étudiants de familles défavorisées de l'arrondissement de Jiading ont reçu une aide de la municipalité d'un million de yuans, sous forme de coupons ou de cash. Dans le Guangdong, les ruraux auront droit à des réductions sur le transport et les hôtels afin, aussi, de faire du tourisme. Ce mois-ci, le programme d'aide à l'achat d'électroménager dans les campagnes doit être étendu à tout le pays et concernera une gamme plus vaste de marques. » [Le Monde]
S'il existe une monnaie officielle, aucun obstacle mécanique n'empêche la (les) banque(s) centrale(s) d'augmenter la masse monétaire pour calmer les pauvres. Si l'on émet des coupons de consommation, encore convient-il d'expliquer qui édite, avec quelles assurances pour un échange entre coupons et yuans. Comment évitera-t-on les falsifications ? Les autorités temporisent mais tournent autour d'un fondement macro-économique intenable qui prévaut en Chine continentale depuis plusieurs décennies : le contrôle de la consommation, pour que les Chinois assurent par eux-mêmes leurs retraites. Concrètement, cette décision d'autoriser les coupons est une façon détournée d'avouer une crise de liquidités de la part des collectivités. Pour certaines, elles révèlent ici leur incapacité à payer correctement leurs personnels. Pour tous les allocataires, cela signifie une diminution du salaire réel. De cette manière, Pékin espère orienter les dépenses des ménages, et qui sait bloquer les achats de biens importés : les produits de luxe français, par exemple !?. Les risques de dérapage ne sont pas à exclure, si l'expédient trouve des défenseurs en trop grand nombre, si la masse de coupons se met à grossir démesurément, et surtout si les commerçants rechignent à les accepter.
En attendant, Pékin allume une fois encore un contre-feu patriotique, à l'occasion de la vente exceptionnelle de la collection Bergé - Yves Saint-Laurent à Paris, fin février 2009. Deux bronzes acquis au prix du diamant par un acheteur anonyme ont en effet donné l'occasion au régime de proférer des menaces contre la maison Christie's, au nom des intérêts supérieurs (...) de la nation. Des Occidentaux ne manquent pas de donner raison aux autorités chinoises, omettant au passage qu'un nombre infini de pièces de collections résultent des guerres menées dans les quatre coins de la planète. Les armées européennes ne sont pas seules en cause. Le sac du palais d'Eté incriminé ici vaut bien la destruction par étapes de la capitale tibétaine [Source]. Ceci n'excuse pas cela. L'utilisation à tort et à travers de slogans patriotiques a déjà lassé les Chinois qui n'y prêtent guère attention. Cai Chongguo ne dit pas autre chose quand il constate que trop d'indignation tue l'indignation...
Mais la presse occidentale a davantage retenu l'affaire des deux bronzes que celle des trois Chinois immolés... Cette affaire dit tout de l'actualité chinoise dans les semaines qui précèderont le 4 juin.

PS./ Dernier papier de Geographedumonde sur la Chine : Camionnettes mortifères. (De la peine de mort prononcée en Chine contre les responsables du lait contaminé à la mélamine)


[1] « Les autorités chinoises ont recensé 700 000 contaminations depuis l'apparition de l'épidémie dans le pays au milieu des années 1980. Entre 4 et 7 Chinois sur 10 000 étaient porteurs du virus du sida (VIH) à la fin 2007, ce qui représente une augmentation de 8 % par rapport à 2006, rappellent Linqi Zhang (Centre de recherche sur le sida de l'Académie chinoise des sciences médicales, Beijing) et ses collègues. Les relations hétérosexuelles représentent 38 % des causes de contamination, contre 11 % en 2005. » / Les données officielles chinoises reflètent une extension du sida au-delà des toxicomanes / Le Monde / 3 octobre 2008 / Paul Benkimoun & Brice Pedroletti. « Selon les chiffres du ministère de la santé, 6 897 personnes sont mortes du sida entre janvier et septembre 2008. Depuis les premiers cas détectés dans les années 1980, 34 864 Chinois seraient décédés des suites de maladies liées au sida. Officiellement, 264 302 Chinois sont porteurs du virus. » / Le sida est désormais la maladie la plus meurtrière en Chine / Le Monde / 28 février 2009 / B.P.
[2] Maître Yan s'attaque au plan de relance / Le Monde / 26 février 2009 / Brice Pedroletti.
Incrustation / Photo de la salle des enchères par la RTBF... Magnifique cliché qui permet de remplacer avantageusement celui de la chaîne officielle chinoise posté au départ.

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