samedi 26 juin 2010

Quelque part entre Al Capone et Pancho Villa. (De la recrudescence des crimes de sang au nord du Mexique)

Un grand nombre de Mexicains s'apprêtent à fêter le 130ème anniversaire de la naissance de Pancho Villa, au début du mois de juin 1878. Les autres se rattraperont probablement le mois suivant, pour remémorer le 85ème anniversaire de sa mort dans un guet-apens le 23 juillet 1923. Non sans éviter le piège de l'héroïsation, Agnès Granjon relate les principales étapes de la vie du bandit - révolutionnaire, son entrée dans Mexico à la fin de l'année 1914 qui signe son rendez-vous avec l'Histoire. Les activités moins reluisantes de ce coupe-jarret détrousseur de grand chemin éclairent plus encore celui qui s'inquiète de la situation présente du Mexique septentrional.
Son origine modeste – famille de métayers – compte moins que sa région d'origine, l'Etat du Durango, au nord-ouest du Mexique. Pancho Villa y apprend l'art de monter à cheval et le maniement du fusil. Son père meurt alors qu'il a quinze ans ; en tant qu'aîné, il doit subvenir aux besoins de sa famille. Le 22 septembre 1894, il tire sur le propriétaire de l'hacienda (aux prises avec sa soeur, selon la légende) puis l'ayant raté se réfugie dans la sierra. A 16 ans, il découvre que l'on peut vivre en volant le bétail, crime pourtant passible de la peine de mort... L'élevage extensif tel que pratiqué dans ces régions semi-arides facilite l'exercice, avec des troupeaux laissés en semi - liberté. Devenu chef de meute, il perfectionne ce passe-temps grâce au passage de la frontière américaine ; celle-ci sépare deux pays différents par leurs lois et leurs impôts, et protège les criminels en cavale. Car ses tentatives pour revenir à la vie normale échouent. A 20 ans, sa vocation de voleur paraît solide : il l'affine par le meurtre et le hold-up. Villa ne rechigne pas à assurer par lui-même les plus viles besognes, la torture et l'assassinat de prisonniers. Deux légendes naissent au cours de cette période : bandit au grand coeur qui redistribue, ou boucher régnant sur ses affidés par la terreur.
1910. Parti du Texas, le futur fondateur de la république mexicaine précipite le départ du dictateur Porfirio Diaz. Madero a rallié à sa cause Pancho Villa. Le chef de bande espère sans doute du changement de régime, l'effacement de l'ardoise ? Proclamé général de l'armée du nord, il se montre soudain parangon de vertu : défenseur des opprimés, promoteur de la démocratie. Ses amitiés et son argent lui permettent même d'enrôler des Américains. De toutes façons, la guerre conventionnelle dure peu : il n'attaque qu'en position de force. Le contrôle des voies de chemin de fer affaiblit l'armée fédérale, et maximalise son entreprise de racket. Une fois Porfirio Diaz renversé, en mai 1911, les anciens alliés de Pancho Villa tentent en vain de se débarrasser de lui. Il a mis le nord du Mexique en coupe réglée. Les exactions s'amplifient. Sa ressource ? Aux Etats-Unis, il vend les troupeaux confisqués et achète armes et munitions. En août 1914, Washington diligente le général Pershing pour assurer le héros pur et sans reproches du soutien américain. Pancho Villa ne s'attarde pas dans la capitale mexicaine.
Sur un terrain moins familier, les plateaux centraux, les revers militaires se succèdent. Sa quasi déroute conduit l'administration Wilson à se dédire. Le bandit se venge par un raid sur Colombus (au Nouveau-Mexique). Washington réplique en expédiant au-delà de la frontière une brigade (5.000 hommes) sous les ordres du général Pershing, mais l'expédition se perd en vain dans le Chihuaha. Pancho Villa est parvenu à régulariser sa situation. Mexico achète la paix et dispense pension, grade de général de division, et propriété de 25.000 hectares. L'homme succombe quelques mois plus tard dans une embuscade : tant d'inimitiés engrangées ne pouvaient qu'écourter son existence. Mais 85 ans après les faits, Pancho Villa aide à comprendre l'insécurité régnant sur le Mexique septentrional.
Joëlle Stolz livrait la semaine passée des détails inquiétants sur la puissance des organisations criminelles dans le nord du Mexique : plusieurs dizaines d'hommes cagoulés pour une opération coup de poing sur une petite ville du Chihuaha, munis d'armes de guerre. On compterait près de 1.000 morts depuis le début de l'année, essentiellement dans des combats entre gangs. Comme à l'époque de Pancho Villa, le crime reste impuni, et des régions entières échappent au contrôle des forces de l'ordre. La journaliste décrit quand même une vaste opération de police dans la Sierra Madre occidentale, 9.000 hommes parachutés dans une région montagneuse qui s'étire de Guadalajara, au sud, jusqu'à la frontière américaine : au bas mot, 1.200 kilomètres, pour une largeur comprise entre 150 et 300 kilomètres [photo]. Aujourd'hui comme hier, les organisations criminelles éliminent la concurrence et instaurent un monopole sur une activité ou mieux à l'intérieur d'un territoire donné ; elles le souhaitent le plus large possible, allant jusqu'à rentrer en guerre avec des organisations rivales. Autre ressemblance avec la période révolutionnaire, les bandes se fournissent en armes de l'autre côté de la frontière, en partie (?) grâce au racket des populations locales, et plus encore des migrants. Le trafic de drogue a en revanche remplacé celui de bovins et de chevaux.
Joëlle Stolz donne en conclusion un indice précieux de l'effet démultiplicateur observé par les économistes « [L]e Congrès de Washington a approuvé du bout des lèvres l'Initiative Mérida, destinée à épauler le Mexique dans une bataille de longue haleine. Au lieu de 1,5 milliard de dollars sur trois ans, il n'accorde que 350 millions de dollars par an et assortit cette aide d'une série de conditions sur le respect des droits de l'homme par les forces de l'ordre mexicaines, la réforme de la justice ainsi que des corps policiers. » Mark Thornton [Alcohol Prohibition was a failure] décrit à l'époque de la Prohibition les effets de la promulgation du Volstead Act aux Etats-Unis : l'augmentation entre 1920 et 1921 de 24 % des crimes commis dans les trente plus grandes métropoles s'est accompagné d'une explosion des budgets consacrés à la police (+ 11,4 % en un an !), au ministère des impôts (Customs service) ou aux douanes. Le nombre de garde-côtes a ainsi cru de 188 % au cours des années 1920. Le marché noir a perturbé l'économie légale, engendrant chômage et criminalité. La population carcérale est passé de 4.000 détenus au niveau fédéral en 1914 à 26.500 en 1932 : malgré une multiplication par dix des budgets, les prisons débordaient. Les profits réalisés par les organisations criminelles déstabilisaient la société, en favorisant la corruption jusqu'aux plus hautes sphères de l'Etat.
En 2008, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Depuis une vingtaine d'années, et plus spécifiquement depuis le vote de la loi sur les récidives, les juges requièrent des peines de plus en plus lourdes. En Californie, on estime à 170.000 le nombre des détenus enfermés dans les trente-trois prisons de l'Etat... (à rapprocher des 100.000 places officiellement ouvertes) [1]. Que l'on s'y amende relève du voeu pieux : la prison assure indirectement le renouvellement de la population carcérale, en tant qu'école du crime. L'Etat de Californie compte-t-il finalement moins de drogués ? La question reste ouverte. A Sacramento, le gouverneur Schwarzenegger affiche sa volonté de sortir de l'impasse. Il annonce un aménagement des fins de peine, proposant une réduction pouvant aller jusqu'à vingt mois pour les condamnés à des peines légères. Il espère ainsi vider partiellement les prisons californiennes. Au nord du Mexique les effets d'une nouvelle prohibition, sur la cocaïne comme sur d'autres stupéfiants s'ajoutent à ceux décrits à l'époque de la Révolution mexicaine et qui résultent de l'existence d'une frontière hermétique entre deux pays néanmoins en voie d'intégration. Les bandes criminelles du Mexique du Nord se situent quelque part entre Al Capone et Pancho Villa...

PS./ Geographedumonde sur le Mexique : Tailles larges et têtes coupées.


[1] « Aux Etats-Unis, l'un des piliers de la lutte contre la récidive est la loi dite des three strikes, qui prévoit des peines systématiques de prison pour un criminel à sa troisième condamnation. Cette loi, adoptée au niveau local, la justice relevant essentiellement des Etats, est en vigueur dans près de 30 d'entre eux. C'est en Californie que la loi est la plus sévère. Elle a été adoptée après le feu vert des électeurs, qui l'ont soutenue à une très large majorité lors d'un référendum en 1994. Ce texte prévoit une gradation : au deuxième délit faisant suite à un crime sérieux ou violent (meurtre, vol, viol, cambriolage, etc.), la peine est automatiquement doublée, quelle que soit la nature de ce second délit. A la troisième condamnation, la sanction tombe, implacable : une peine pouvant aller jusqu'à la perpétuité, avec un minimum de 25 ans de prison, quelle que soit la nature de ce troisième délit. » / La Croix / mardi 27 mai 2008 / P.3 / Gilles Biassette.

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