mardi 29 juin 2010

Toulouse, si j’ose… (Comparer avec Bordeaux, ou ne pas comparer…)

Toulouse, quelle belle ville. Je suis encore sous le charme, après cinq jours passés dans la Ville rose. Cette périphrase m'intriguait. Elle me titille désormais. Le violet a malheureusement teinté le rose. C'est à mon sens une faute de goût que l'on peut déplorer dans les magasins vendant des produits incluant de la violette. L'un d'entre d'eux situé en plein centre ville, et spécialisé dans la vente de machins régionaux, a ainsi cru bon d'agrémenter sa devanture de produits les plus improbables : liqueur, bonbonneries, parfum, etc. Tout ce qui comporte un peu d'essence de fleur. Mais après tout, les clients se pressent peut-être au comptoir à l'heure où j'écris ces quelques lignes. Sur la place du Capitole, les lampadaires arborent également de médiocres étendards aux couleurs du club de football toulousain, à rayures verticales blanches et violettes.
Je suppose que l'expression ville rose correspond surtout à une généralisation hâtive, partant de la brique systématiquement utilisée dans les constructions depuis le Moyen Âge. Dans les murs de maisons à corondages de la place Saint-Georges, les briques remplissent les interstices entre les poutrelles et les traverses de bois. Elles servent encore aujourd'hui de parement pour des bâtiments contemporains, comme la banque Courtois ou encore les nouvelles ailes de la Préfecture de la Haute-Garonne. Mais elles gardent cependant des teintes d'argile, à la croisée du rouge et de l'orange. Le rose surgit en cas de combinaison du matériau brut avec un enduit pâle. Rouge plus blanc donne rose. Mais de multiples enduits recouvrent les façades de Toulouse, certaines masquant totalement la brique, d'autres la tirant vers le rouge. Pour quelques vieux murs, les maçons ont fait ressortir les jointures de ciment offrant ainsi une impression de mosaïque alternant le gris et l'ocre.
Si j'étais de mauvaise foi, je dirais que les autres couleurs existent aussi à Toulouse. La porte de la chapelle des Carmélites a bien été peinte en vert (photo). Et puis, si l'on assimile la brique au rose, il reste de toutes façons qu'à Cincinnati [Et pourtant, ils tournent en rond] ou à Liverpool [Liverpool, capitale pour papy-boomers], les architectes américains ou anglais ont eux aussi recouru à ce matériau pour construire des immeubles, des gares ou même des églises. Le surnom de Toulouse provient forcément d'une autre cause. Et s'il s'agissait de l'utilisation conjointe de la brique et de la pierre, le rose résultant du mélange ? Je ne maîtrise pas assez la question, mais sur ce point, le patrimoine ancien de la ville témoigne bien d'une époque architecturale. A la Renaissance, les bâtisseurs d'hôtels particuliers ont imité le style italien, lui-même imprégné des antiquités grecques et romaines. Les bourgeois de la ville s'enrichissent alors du commerce du pastel, même si la mode de la brique et de la pierre persiste après l'essoufflement de son négoce, lors des guerres de Religion et à la suite de l'arrivée en Europe de nouvelles teintures venues d'Amérique.
Les Toulousains triomphent de la Réforme, et la région demeure beaucoup plus calme que le centre de l'Aquitaine et les Charentes. Contrairement à Bordeaux, le protestantisme y a fait long feu. La cour intérieure du Capitole ou encore l'église de Saint-Pierre-des-Chartreux datent du premier tiers du XVIIème siècle, à cheval sur la fin du règne d'Henri IV et sur le début de celui de Louis XIII. Le Béarnais sculpté de son vivant surplombe la première, tandis que la seconde fait penser à l'église du Prytanée à La Flèche, ou encore à Saint-Bruno à Bordeaux. A d'autres endroits de Toulouse, on retrouve presque les voûtes de la forteresse de Salses dans les Pyrénées-Orientales ou encore les arcades de la place des Vosges...
Toulouse et Bordeaux présentent de grandes différences. Les monuments de l'une parlent des époques médiévale et moderne tandis que ceux de l'autre illustrent le classicisme du siècle des Lumières et l'architecture bourgeoise du XIXème siècle. A Toulouse, l'ancien collège Saint-Raymond qui abrite une époustouflante collection d'antiques ne déparerait pas à Florence, dans la même rue que le palazzo Pitti. L'hôtel d'Assézat rivalise avec le palais Jacques Coeur à Bourges, avec ses trois étages, sa galerie en portiques et sa tour carrée entourant l'escalier principal. Lorsque Bordeaux connaît enfin une intense prospérité, au cours de la seconde moitié du XVIIIème siècle - l'effondrement du commerce triangulaire l'éclipse pendant la période révolutionnaire et impériale - les architectes ne jurent plus que par Versailles.
Cela étant, opposer complètement les deux villes n'a guère de sens. Michel de Montaigne a été contemporain de la porte Cailheau à Bordeaux. A l'inverse, plusieurs hôtels particuliers - sans oublier la façade du Capitole donnant sur la place du même nom - ont été construits au XVIIIème siècle. De la même façon, à Toulouse et à Bordeaux, les nobles et les bourgeois les mieux parvenus s'enrichissent dans le négoce, autant que dans l'emploi de charges juridiques ou parlementaires (la robe). Ils défendent alors bec et ongles leurs privilèges communaux. Ces élites municipales donnent naissance après 1789 au courant girondin dans l'assemblée constituante, à la fois antimonarchiques et décentralisatrices.
Toulouse est-elle incomparable ? Combien ai-je entendu de dissertations sur le thème des points communs entre la ville et Bordeaux. Pour ces amateurs de raccourcis faciles, le fossé historique importe peu. Nul ne peut l'ignorer, comme on vient de le voir rapidement. Quelle est la plus grande des deux ? Aucune ne pèse vraiment sans sa tâche urbaine, rendant malaisée la comparaison.
Les politiques municipales ont de plus divergé quant à la réhabilitation des quartiers centraux. Les Bordelais se targuent d'une rapide et spectaculaire mise en valeur de leurs quais, places, cours et avenues. Du côté des Toulousains, beaucoup reste à faire en ce domaine, avec de nombreuses églises abîmées (Notre-Dame du Taur ou la cathédrale Saint-Etienne), des places et trottoirs trahissant un urbanisme desuet, en vogue dans les années 1960-70, et assez mal entretenu. Mais la vieille ville toulousaine a gardé en contrepartie ses habitants modestes, et pas seulement dans les faubourgs (Saint-Cyprien). On pourrait facilement opposer une ville gentryfiée, uniquement animée en fin de journée dans un cas (Bx), à une belle brouillonne et parfois grouillante dans l'autre... Les deux villes ont par le passé largement accueilli des populations espagnoles ou nord-africaines, bien que Toulouse bénéficie seule de l'image de tolérance.
Incomparables ? Il n'empêche ! Toutes deux assurent des fonctions économiques, administratives ou encore universitaires. Toulouse plus forte ? L'axe ferroviaire Paris-Bordeaux prime pourtant sur l'axe Paris-Toulouse, celui-ci ne pouvant se prolonger plus au sud, barré par les Pyrénées. Les gares construites dans la deuxième moitié du XIXème témoignent de cet écart. Matabiau donne l'impression que le train s'arrête à un terminus. Elle paraît moitié moins grande que Bordeaux Saint-Jean, elle aussi vaste que les grandes gares parisiennes. En 1914 et en 1940, les blessés et réfugiés arrivent dans les deux villes par wagons entiers. Mes deux grands-pères ont connu cette triste transhumance, l'un blessé dans les tranchées. Le second meurt à Toulouse en novembre 1941, grièvement atteint l'année précédente au cours de la guerre éclair.
La Garonne relie enfin Toulouse et Bordeaux. Mais la seconde occupe un site de fond d'estuaire. En amont du Pont-de-Pierre, la marée porte les bateaux jusqu'à l'océan. Le fleuve impressionne au printemps par sa puissance et sa largeur (voir le bandeau de ce blog... derrière geographedumonde), drainant les eaux de fonte pyrénéennes et les eaux de pluies venues du Massif Central (Tarn, Lot) ou des collines de l'Armagnac : mélange de régime pluvial et nival. Cela étant, et malgré les efforts continus de la municipalité bordelaise, les quartiers de la rive gauche demeurent faiblement peuplés. Bordeaux garde encore les apparences d'un port de mer, bien que les navires n'accostent plus que rarement, chargés de touristes et non de fûts de vins. L'ordonnancement des façades ponctué de places et de portes suit les courbes du fleuves, les quais bénéficiant depuis peu d'une mise en valeur réussie.
A Toulouse, la ville s'est également développée sur la rive droite d'un méandre, côté convexe. Mais des milliers de Toulousains habitent en face, dans le faubourg Saint-Cyprien (photo). A une centaine de kilomètres au sud de Toulouse commence le massif montagneux. Les pluies orageuses, à l'été et à l'automne, ont souvent fait déborder le fleuve, comme en cette fin du mois de juin 1875. A cette occasion, la rive gauche a sombré sous des eaux boueuses qui ont tout emporté sur leur passage. Seul rescapé du sinistre, le Pont-Neuf a résisté à la pression des eaux, mais l'élévation de son tablier et les orifices ménagés au-dessus des larges piles témoignent de la connaissance de ses concepteurs. Ils crient par leur large enjambement tout ce qu'il faut craindre des eaux qui s'écoulent. La Garonne représente une menace dont on s'accommode au mieux à Toulouse. L'avenue de la Garonnette s'étend sur un bras mort du fleuve, séparant l'ancienne île de Tounis au quartier de la Dalbade, au sud-ouest du centre historique. Les Toulousains se promènent toutefois sans déplaisir le long du cours d'eau aux beaux jours.
Mais les murs de briques réhaussant les berges de la Garonne donnent à la vieille ville de Toulouse, surtout vue du Cours Dillon, un faux air de forteresse. La ville semble se suffire à elle-même, tournant le dos à son fleuve. A Bordeaux, les liens entre les quais et la Garonne donnent une image d'harmonie. Mais nul navire ne jette l'ancre. La ville s'ouvre sur l'extérieur, mais rien ne vient. Les quais ressemblent à un décor de théâtre vain. J'achève sur ces eaux qui unissent et séparent. Mais Toulouse, si j'ose... est à mes yeux la plus magnifique des villes roses.

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