mardi 29 juin 2010

Cochon qui rit ! (D’une tribune de Marie-Christine Blandin et de José Bové dans le Monde du 20 mai 2009)

L'une est sénatrice, l'autre se passe de présentation, même s'il aspire à siéger au Parlement européen à l'issue des élections du mois de juin 2009. Ils co-signent dans le Monde un Point de vue censé alerter la population. Ne soyez pas inquiets, affirment-ils, soyez épouvantés. L'ennemi fourbit ses armes, expression martiale à l'appui : dérives meurtrières, dangereux réceptacle, bactéries résistantes, bombes sanitaires à retardement, arsenal, terrains d'entraînement, recombinaison, agents pathogènes, etc. Faut-il ajouter que l'adjectif concentrationnaire repris plusieurs fois résume le mauvais goût et la légèreté des auteurs. Voudraient-ils provoquer une polémique ?
Que notent-ils d'incontestable ? Les éleveurs recourent aux antibiotiques. Marie-Christine Blandin et José Bové pourraient préciser que pour obtenir une viande bon marché, l'élevage industriel a effectivement banalisé cette pratique parce que les animaux ainsi traités assimilent mieux et plus vite la nourriture. La législation se montre cependant pointilleuse sur le laps de temps obligatoire entre la fin de l'administration des antibiotiques et l'abattage. Le bien-être des animaux apparaît également en contrepoint dans le Point de vue, les auteurs fustigeant les agriculteurs et les industriels impliqués dans la filière.
Que ne continuent-ils pas ?! Ils faudraient qu'ils condamnent l'élevage de veaux sevrés au bout de quelques heures et nourris au lait en poudre, l'élevage des chapons, ces coqs castrés maintenus trois semaines dans des couloirs de la mort en étant simplement alimentés avec du lait (enfermés, cela manque de dramartugie), ou encore l'élevage des canards gras. Sur le gavage forcé des gallinacés, Marie-Christine Blandin et José Bové pourraient facilement attirer la sympathie des défenseurs des animaux. Je ne gloserai pas sur les escargots mis à la diette, les lapins en cage, les saumons engrillagés dans des fermes marines et grossissant à grand renfort de boulettes. Qui niera la brutalité de l'homme ? Elle fournit des scénarios innombrables aux réalisateurs de dessins animés. Il n'y a toutefois pas de corrélation entre mal-être animal - il faudrait le définir - et aliment de mauvaise qualité.
Il arrive que dans les mêmes élevages coexistent plusieurs catégories d'animaux. Une personne nourrit, ou peut nourrir au même endroit et en même temps dix mille poulets dans un vaste hangar et un peu plus loin dans un champ, cinq cents poulets fermiers ou label rouge [Inao]. Les premiers resteront 45 jours enfermés, tandis que les seconds résideront près du double (80 jours) vagabondant à l'air libre. Les premiers mangeront des aliments broyés (farines) et les seconds une nourriture plus diversifiée, avec 75 % de céréales garantis pour le label rouge. A la fin, l'abattoir conditionnera d'un côté de la viande à 5-6 € le kilo, de l'autre à 10-15 € le kilo. Chacun en France a la possibilité de choisir sur l'étalage de son supermarché. Sur un marché de producteurs en vente directe, les volailles dépassent parfois 20 euros le kilo, mais celui qui s'y risque paye pour le plaisir des sens et ne regarde pas à la dépense. Encore doit-il avoir le porte-monnaie bien rempli.
A juste titre, Marie-Christine Blandin et José Bové reprennent les conclusions d'une étude américaine. « Des scientifiques de l'Agence nationale des instituts de santé publique des Etats-Unis l'ont expliqué : 'Parce que les élevages fortement concentrés ont tendance à rassembler d'importants groupes d'animaux sur une surface réduite, ils facilitent la transmission et le mélange des virus' (Journal of Environmental Health Perspectives, 14 novembre 2006). De ce fait, les recombinaisons au sein même des virus porcins ou aviaires sont considérablement accélérées, et la probabilité de voir apparaître de nouvelles formes hautement pathogènes monte en flèche. » C'est une chose de rationaliser l'élevage d'une espèce donnée en concentrant des centaines d'individus au même endroit. C'en est une autre d'installer dans la même région des élevages différents. En France, dans le Grand Ouest se trouvent réunies une grande partie des exploitations françaises spécialisées dans les volailles, les porcs et les bovins pour le lait. Cela étant, des dizaines de kilomètres séparent le plus souvent les unes des autres. Comment s'effectuent les transmissions d'une espèce à l'autre ? Mes connaissances s'arrêtent vite, mais je subodore que les scientifiques les plus pointus se réjouiraient s'ils connaissaient toutes les réponses [Attention, excès de fièvre porcine].
La dénonciation des deux auteurs porte en elle sa principale contradiction. On peut s'attrister des poulets en batteries et du jambon blanc cuit au kilomètre. Mais on ne peut pas faire le reproche à l'élevage industriel de favoriser la transmission des maladies, virus et bactéries de l'animal à l'homme. La promiscuité dangereuse caractérise au contraire les sociétés traditionnelles, dans lesquelles la population citadine continue à tolérer les basses-cours ou l'utilisation d'animaux pour le transport des marchandises. La tuerie de milliers de cochons en Egypte en est une preuve récente. Les élevages industriels constituent au contraire la réponse la plus hygiénique au problème évoqué par les auteurs. Evidemment, dans la Ferme des animaux, les cochons ont remplacé les hommes. Mais dans cette fable de George Orwell, il n'y a guère que les cochons qui rient. Si Marie-Christine Blandin et José Bové tiennent absolument à pointer les dangers du contact homme - bêtes, je leur conseille en outre de rassembler une documentation sur l'inflation du nombre d'animaux domestiques dans nos sociétés occidentales vieillissantes. Significative de nos villes tentaculaires, ils pourraient aussi s'intéresser à l'explosion du nombre d'animaux parasites : pigeons, rats, ragondins, etc.
Au lieu de cela, ils mélangent les arguments et les termes scientifiques (un virus n'est pas une bactérie), suscitent la peur - pour quel résultat concret ? - et recyclent de vieilles théories complotistes. « Plusieurs articles et diverses sources attribuent l'origine de la présente épidémie à l'usine porcine de La Gloria, dans l'état mexicain du Veracruz. Qu'elle provienne ou non de cet élevage, la stratégie de l'autruche, voire l'omerta, pratiquée par le groupe Smithfield Foods, auquel il appartient, illustre le comportement criminel de ces groupes industriels. » Je lis de surcroît une accusation grave et non étayée : « Les institutions internationales et nationales n'ont pas tiré les leçons du précédent de la grippe aviaire H5N1. Les tentatives d'incriminer la faune sauvage et les petits élevages de plein air, ainsi que les migrateurs, comme sources de l'épidémie a priori, se sont révélées des impostures. » Les auteurs désignent un coupable, l'élevage industriel. A problèmes complexes, solutions simples.
Ils s'excuseront d'avoir ramassé leur pensée faute de place, à qui leur demandera les origines du productivisme et des aides publiques à l'agriculture [voir Une poignée de noix fraîches], à qui se poserait des questions sur les problèmes soulevés par l'industrie agroalimentaire [On nous gave, on nous pollue, on nous tient éveillés...]. Leur conclusion me sidère. « Par ailleurs, notre consommation excessive de viande peut être largement réduite. Ainsi non seulement nous cesserons de construire des usines à virus, mais nous limiterons le gaspillage de protéines végétales et la déforestation des forêts tropicales (provoquée aujourd'hui par le besoin d'aliments pour élevages industriels). C'est l'ensemble de la planète qui y trouvera bénéfice. » De quel droit les signataires de cette tribune s'autorisent-ils à édicter des normes, à parler de ce que le bon peuple doit ou ne doit pas faire ? Pensent-ils que le peuple vit dans l'obscurité et qu'ils ont mission de l'éduquer ? Ils témoignent là d'un anti-humanisme vaguement éclairé, en même temps que d'un ignorance difficile à tolérer. Celui qui achète de la viande bon marché n'est pas dupe. Il sait très bien qu'il existe plusieurs qualités et qu'il ne pourra pas toujours (ou jamais) s'offrir la meilleure. Dans un sketch - parodie de pièce à quatre sous sur la Révolution Française, les Inconnus font dire à Louis XVI Mange ! à un passant qui se plaint d'avoir faim. L'échange qui suit me fait penser aux auteurs : Oui mais on n'y arrive pas ! - Eh bien il faut te forcer.

PS./ Geographedumonde sur l’agriculture : Je ne sais de quoi nos enfants nous accuseront

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