lundi 28 juin 2010

Les lendemains qui chantent. (Des ‘papy-boomers’ comme sujets d’enquête et faux espoirs)

Le supplément économique du Monde de cette semaine donne à réfléchir sur une situation apparemment paradoxale : « Malgré le papy-boom, le chômage repart à la hausse en France » [1]. Bien que la population française vieillisse, les prévisions d'hier ne se confirment pas [L'Expansion]. Ayant archivé le mois précédent un autre article sur le même thème, l'envie me vient d'une mise en perspective. Catherine Vincent reprend à son compte une étude menée par des sociologues français dans les villes de Toulouse, Saragosse et Hambourg pour évaluer les conséquences politiques du vieillissement du corps électoral en Europe : « Les papy-boomers veulent peser sur la vie publique » [2]. La journaliste renvoie à un colloque tenu à Rouen les 8 et 9 octobre sur le thème suivant : Vieillir et décider dans la cité [voir préprogramme]. Dans le premier article, il apparaît qu'une illusion est en passe de se dissiper. J'essaierai de démontrer la fragilité de celle qui sous-tend le second...
Dans l'article le plus récent, Francine Aizicovici constate la progression continue du taux de chômage depuis le printemps (7,2 %), tandis que le nombre d'actifs continue d'augmenter de 40 à 50.000 par an. Cette dernière évolution pourrait s'inverser au cours de la prochaine décennie. Un expert de l'OFCE confie à la journaliste que le chômage touchera d'autant plus d'actifs que le taux de croissance s'approchera de zéro. Le constat s'interrompt là, et Francine Aizicovici enchaîne sur les mesures gouvernementales visant à contrecarrer les effets d'une récession d'ores et déjà perceptible dans certains secteurs comme l'industrie automobile. Mais l'idée première passe à l'as.
La part des plus de 60 ans et celle des chômeurs pourraient croître en même temps, c'est un comble ! Les premiers sont installés dans la vie, et n'ont plus d'enfants à charge. Il faut donc s'attendre dans un pays qui vieillit à une diminution des besoins en structures d'accueil, en écoles, en équipements en tous genres. Les achats de biens de consommation courante évoluent. Et s'il est de bon ton d'espérer l'ouverture de nouveaux marchés dans les loisirs culturels, les services à la personne, le paramédical, etc., les limites apparaissent car les autorités publiques souhaitent contraindre les dépenses de santé. D'autres secteurs subissent les contre-coups du vieillissement. Le revirement de la clientèle concerne pour résumer tout ce qui est vendu dans les grandes surfaces généralistes : l'alimentaire, le petit outillage domestique, l'équipement de la maison ou encore l'habillement. Si la clientèle dépense moins, il faut donc cesser de maudire les banques ou le système financier ; la crise n'explique pas tout.
Francine Aizicovici se soucie surtout de la hausse du chômage en France. Selon elle, le gouvernement agit mal parce que ce phénomène intervient quand la population vieillit. Le postulat gravé dans le marbre méritait au contraire d'être reconsidéré, en l'absence de corrélation. La journaliste résume brièvement la politique de l'emploi du gouvernement Fillon, les emplois aidés et la flexibilité. Des économistes sollicités pour la circonstance sonnent la charge à sa place. 100.000 embauches ne modifient qu'à la marge le taux de chômage. Elles améliorent à très court terme la situation de l'emploi. Je note pour ma part une contradiction majeure. Le non remplacement d'un fonctionnaire partant à la retraite sur deux, ou encore la mise à plat des cartes scolaire, judiciaire ou militaire se poursuivent. L'Etat donne à certains et retire à d'autres. Cela étant, l'impression d'un pilotage à vue ne me gêne pas outre mesure. Il me semble vain en revanche de laisser entendre qu'il y aurait une autre façon de gouverner, rigoureusement différente. Proclamer les bienfaits de la flexibilité ne peut certes faire oublier que cette notion n'est pas inconnue pour bon nombre d'actifs. Mais est-ce bien la flexibilité pour tous ? Va-t-elle toucher les salariés bien installés dans le marché du travail (jouissant d'un contrat en CDI), en particulier ceux des grands groupes, des administrations ou de la fonction publique territoriale ?
Francine Aizicovici omet au passage que les modifications de la pyramide des âges donnent une clef de compréhension sur le problème du chômage. Si le mot revêt la notion de maladie, quel vaccin protègera la population ? Pour que la proportion des plus de 60 ans repasse sous la barre des 15 %, il n'y a que deux facteurs : une surmortalité subite ou une natalité qui modèrerait la proportion des personnes âgées. Si la première survient, le gouvernement se met à dos l'opinion publique, comme au cours de l'été 2003. Quant au boom des naissances, personne ne sait le déclencher par décret. En résumé, et si l'on reprend l'hypothèse selon laquelle le vieillisssement pèse négativement sur l'emploi, le gouvernement observe, mais sa prise sur les événements est quasi nulle. Il convient par conséquent d'inciter à plus de modestie le responsable politique aux affaires, sans dissimuler au grand public l'ampleur des difficultés. [Voir Econoclaste sur les méfaits du managerialisme].
Prendre ses désirs pour des réalités. Catherine Vincent y succombe en écrivant que « Les papy-boomers veulent peser sur la vie publique ». A lire son article, l'expression ne signifie rien, ou presque. Même si l'un ou l'autre universitaires questionnés le regrettent manifestement, les personnes âgées de plus de 60 ans ne constituent pas un groupe homogène ou une classe distincte. Ils ne résident pas dans les mêmes quartiers à Toulouse ou à Hambourg. L'espérance de vie augmentant avec le niveau d'étude, les diplômés se retrouvent il est vrai surreprésentés. Mais cela ne suffit pas pour généraliser : « Ces jeunes vieux, qui ont entre 55 et 75 ans, sont en général en bonne santé. Souvent dotés de diplômes et de revenus corrects, parfois familiers des nouvelles technologies, ils entendent bien profiter de leur espérance de vie, estimée à 90 ans en 2050. Et donc intervenir dans la définition des politiques locales. » Le grey power est un mythe surtout séduisant pour les lecteurs retraités du Monde. Les expériences exposées par la journaliste tournent autour de conseils de vieux réunis à titre consultatif en Belgique. Au mieux ces conseils illustrent-ils une sorte de folklore local, au pire remettent-ils en cause le principe d'égalité entre les citoyens inclus dans le suffrage universel. Et comme pour les chômeurs, l'hétérogénéité des seniors tient au lieu de résidence - les campagnes comptent en proportion moins de jeunes que les agglomérations - au niveau de vie ou encore à l'état de santé...
L'amendement visant à repousser l'âge de la retraite à 70 ans [voir les versions opposées du Figaro et de Libération] indique bien les deux aspects de la question. Bien des sexagénaires sont susceptibles de travailler au-delà de 60 ans. Mais leur santé les y autorise, et leur niveau d'étude leur permet de prétendre à des salaires élevés (CSP+) : ce sont ceux qui ont le moins besoin d'un complément de retraite ! D'un autre côté, le gouvernement escompte davantage qu'une correction statistique. Que les sexagénaires actifs sur le tard gagnent plus, et dépensent plus : c'est le mythe du moteur de la croissance. Les foyers modestes resteront à l'écart, d'abord parce que l'espérance de vie au-delà de 60 ans se compte en mois plutôt qu'en année pour ceux qui exercent un métier manuel. La fin de vie du jardinier ne ressemble pas à celle du peintre, comme le décrit un peu maladroitement le cinéaste Jean Becker.
Bien plus encore, le taux de chômage des 50 - 65 ans est plus élevé que la moyenne. Parmi les quinquagénaires, les entreprises licencient plus souvent les personnes sous-diplômées et les femmes. Année après année, la proportion des titulaires de bacs plus augmentant au sein de la population active, la concurrence s'accroît sur le marché de l'emploi. Les quinquagénaires perdant leur emploi peinent ensuite à se reconvertir avant d'atteindre l'âge légal de la retraite. L'Etat a dans un passé proche largement financé les pré-retraites, comme le rappelle le Sénat [projet de loi de finance 2004]. Pour ces parias de l'emploi [3], l'amendement sera difficile à avaler : la flexibilité pour les flexibles (exemple des salariés de la grande distribution directement concernés par le travail dominical) et la retraite à 70 ans pour les salariés déjà en poste...
A l'avenir, et si la rectification des prix de l'immobilier ne s'avère pas trop sévère - beaucoup de retraités possèdent leur logement, qui constitue parfois l'essentiel de leur patrimoine - la situation des sexagénaires et septuagénaires en Europe évoluera dans le sens d'un réajustement. D'autres charges s'ajouteront en effet, même si « les baby-boomers, toutes les enquêtes le confirment, ne veulent pas assumer les mêmes fonctions que leurs parents vis-à-vis de leurs aînés » [4]. David Lodge en est persuadé [voir Des difficultés d'être à la fois fils et retraité]. Et je ne parle pas des retraités maintenant leurs enfants la tête hors de l'eau, par une aide financière ou la prise en charge de leurs petits-enfants. Il n'y aura pas de lendemains qui chantent [5] pour les papy-boomers...

PS./ Geographedumonde sur le vieillissement : Facture salée pour sucrer des fraises.
[1] « Malgré le papy-boom, le chômage repart à la hausse en France. » / Francine Aizicovici / Le Monde - Economie / mardi 4 novembre 2008.
[2] « Les papy-boomers veulent peser sur la vie publique » / Catherine Vincent / Le Monde / 10 octobre 2008.
[3] Quinquas : les parias de l'emploi / Alain Vincenot / Editions Belfond / 2006.
[4] Catherine Vincent / déjà cité.
[5] Les lendemains qui chantent, ouvrage du député communiste Gabriel Péri fusillé en 1941, il y a soixante-sept ans...

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