mardi 29 juin 2010

Pourquoi écrire ? (Un ‘why blog’ version Geographedumonde)

Se taire. Marmonner dans son coin. Se taire en public et marmonner dans son coin, en exaspérant son conjoint. J'écris parce que je ne souhaite pas revenir à ma vie d'antan. Avant l'âge de trente-deux ans, l'écriture consistait pour moi à emprunter ou à acheter un livre, et puis à le lire. Il me reste bien des carnets d'adolescent dont je pourrais éventuellement me targuer un jour. Pour l'heure Adrian Mole suffit à faire rire. Pourquoi devrais-je alimenter le flot des expériences littéraires sur l'adolescence en questionnement. Un jour peut-être. En tout cas, depuis bientôt cinq ans, l'écriture a changé de forme pour moi : non plus à la forme passive, mais active. J'ai commencé par un crayon et un cahier, comme d'autres, en noircissant des lignes à l'ancienne. Quelques temps après, en octobre 2006, l'expérience me plaisant, j'ai poursuivi sur ce blog.
Qu'est-ce qu'écrire ? Ou plus exactement, faut-il continuer à utiliser ce verbe alors qu'aucun stylo n'intervient ? Le clavier gomme la gomme. Les ratures disparaissent, donnant le sentiment que le repentir a disparu. Je résoudrai cette difficulté sémantique par un constat banal. L'imprimerie préserve depuis la fin du Moyen-Âge d'une obligation, de recourir à un scribe ou un moine copiste. Pourtant, on écrit toujours. Ecrire signifie en effet qu'une personne couche sur un support sa pensée. Cette précision n'est pas anecdotique. Combien parmi mes contemporains considèrent en effet qu'il existe une hiérarchie, en confondant définition basée sur l'étude des différences objectives entre genres littéraires et échelle de valeur. Il ne leur viendrait néanmoins pas à l'esprit, dans le même temps, de théoriser la supériorité de l'aubergine sur la courgette (encore que...), de l'orange sur la banane, du contenu sur le contenant, etc.
Par conséquent, j'écris en me servant d'un clavier, et une fois des vérifications faites, sur le fond et sur la forme ; lorsque ma lectrice préférée opine du chef, je poste. Peu me chaut en tout cas le goût des uns pour la littérature de fiction, l'obsession des autres pour la littérature sérieuse ou universitaire. Mon premier manuscrit a trouvé plusieurs lecteurs. Il figure au palmarès des machins écrits - quel mot conviendrait ? - et cent fois remaniés. Ma chère femme, mon père depuis décédé, tous les miens, des universitaires qui m'ont consacré beaucoup de leur temps, un écrivain lui publié, le président de la République, un blogueur dont je reparlerai ; tous ont lu, sauf un qu'il sera sans nul doute difficile à repérer. Aucun n'a failli aux compliments d'usage. Pas un n'a rendu copie blanche. Ma succession de chapitres répondait à de multiples questions, mais les corrections à apporter se comptaient par centaines, puis par dizaines. Le résultat final, saucissonné en épisodes, est désormais accessible (Une poignée de noix fraîches).
Mais après avoir essuyé deux ou trois fins de non-recevoir, j'ai vite pris une décision. Pêché d'orgueil ? J'écris, donc ne rends de compte à personne, ou presque. Les éditeurs ne m'entendront plus. Cette résolution conduit à savourer chaque jour que Dieu fait, ma liberté. A condition que je paye mon obole, Le Monde m'offre la possibilité d'user de son logo. Sa référence intellectuelle et morale m'attirait au départ, d'abord parce que le Figaro constituait le seul quotidien acceptable à l'époque où mes parents achetaient pour moi des journaux. Il eût fallu peut-être que je devinsse de gauche - Ah le plaisir de rappeler l'imparfait du subjonctif ! Mon goût pour le contrepied ne va pas jusqu'à approuver la ligne éditoriale du journal du soir dans son ensemble. Je peste contre les articles sur la Chine, et la bigoterie environnementaliste me déplait. Tout cela sans ignorer que Le Monde ne m'octroiera pas de sitôt des facilités. Mais les journalistes jouissent-il eux-mêmes d'une situation confortable ? La presse lutte pour sa survie, pour gagner des lecteurs ou au moins ne pas en perdre. Ceci mériterait une tribune à part entière...
A qui ? La question tombe sous le sens. Elle échappe aux remplisseurs de lignes. J'écris pour ma part à des lecteurs, sans rien en retirer pour l'instant. Car des visiteurs consultent Geographedumonde. Au départ, dix, puis vingt, puis cinquante, puis cent : depuis la fin du mois de janvier 2009, lorsque j'ai dépassé la barre des 100.000, 22.000 personnes ont effectué un passage plus ou moins bref. Quiconque y verrait une forme de cocorico se leurre. Les moteurs de recherche - point n'est besoin de citer le principal - œuvrent pour moi gratuitement. Chaque jour, des curieux de l' 'Espagne' ou de 'Liverpool' arrivent comme un bourdon sur un coquelicot. Pour qui s'interroge sur le vieillissement des populations occidentales, l'étalement urbain, l'éclatement attendu de la bulle immobilière, les routes de la drogue, mais encore les risques d'éclatement de la Belgique, l'historien Shlomo Sand, ou les inondations à Maisons-Alfort, il existe une chance pour tomber son mon blog.
Pour garder la tête froide, je dois aussi confesser un internaute cherchant des détails sur 'poignée de porte ancienne 1950' (18/03), sur 'faits divers a st domingue femme tuee de' (17/03), sur 'construction des ponts au maroc' (16/03), sur 'peine de mort en chine video' (15/03), sur 'polaris world en bourse' (14/03), sur 'benoît floc'h journaliste' (13/03) et 'archives 1980 incinérateur nanterre' (12/03). Au cours de cette dernière semaine, voilà quelques personnes rentrées tacitement en contact avec mes écrits. Non seulement, mon compteur les recense, mais il m'indique qu'elles ont persisté en consultant plusieurs papiers : décidément, je ne m'habitue pas au parler blog et n'utilise que peu l'anglicisme post. Cependant, je demeure dubitatif sur ce qu'elles ont rapporté d'une lecture que j'évalue mal. Entre trois et quatre cents internautes cliquent en tout cas chaque jour sur Geographedumonde. Je ne me monte pas la tête, la majorité ne passe que quelques instants en ma compagnie. Rares encore sont ceux qui persistent et s'habituent.
De fait, j'écris et j'enseigne - répétez après moi les chaussettes de l'archiduchesse sont archisèches - et ma joie se situe aussi là. Quelques papiers rassemblés, précédés d'une rapide présentation et confrontés à d'autres textes, constituent la trame de Travaux Dirigés destinés à des élèves - officiers âgés de vingt-trois à trente ans, sur le thème du désert, des mégalopoles, ou encore des risques naturels. Un jour un géographe de Toulouse par ailleurs introduit dans les publications universitaires, qui m'avait sollicité à plusieurs reprises pour commettre un manuel de géostratégie, et qui avait fini par s'agacer de mes manœuvres dilatoires m'a brusquement envoyé un courriel insultant. Votre blog, m'a t-il dit en substance, est destiné aux pauvres gens et non aux géographes, au public cultivé, à celui qui pense et qui rit. Vous n'en tirerez rien, si ce n'est quelque chose de non purement géographique. Il pensait éconduire un courtisan, et il m'a soulagé d'un opportun. J'em...e les purs, les écrivains de genre, ceux qui se complaisent à utiliser une langue hermétique destinée à flatter l'ego des membres de leur secte. Et vivent les mélanges. Une fois mon nom a orné une tête de publication. D'une université non parisienne, quelle tâche, vous impaginez... Quelques temps plus tard, l'éditeur m'a expédié une lettre - la même qu'aux autres co-auteurs je suppose - me recommandant d'acheter moi-même quelques exemplaires. Il attend peut-être encore ma réponse.
Mes papiers témoignent pour moi. Mon ton ne sort pas du registre grave, mais je ne parviens pas à duper ceux qui me lisent. Je ne suis pas sérieux, et rien de ce que j'écris ne serait, sans le plaisir de pousser les phrases les unes à la suite des autres. Les mots me stimulent et les idées viennent presque en second. Ne donner de l'importance qu'à la transcendance, jouer avec tout le reste, et ne jamais oublier de faire de l'esprit ; tout cela me perdra, qui sait ? Pour l'heure, j'ambitionne de raisonner en (m')amusant. Plus j'écris, moins je tolère mes insuffisances, plus je me tape aux murs de mes limites. Mes lecteurs - je lâche l'expression - vivent pour certains loin de France : les frontières ne trompent que les âmes bornées. Certains sont vieux avec ce qu'il faut de jeunesse, d'autres gardent la curiosité de leur enfance. Au fond, j'ignore tout d'eux. Rares sont ceux qui m'agressent dans la colonne des commentaires, tout au plus un défenseur du régime communiste chinois - nous n'avons rien à partager, faut-il le préciser - un amateur de pavillon de banlieue voyant en moi un représentant des élites bourgeoises résidant en centre-ville, ou plus récemment un partisan de la réunification de la Loire-Atlantique à la Bretagne décidé à me ranger dans la catégorie des anti - Bretons...
Sans les autres, je ne suis rien. Ma chance est de fréquenter aux Ecoles de Saint-Cyr Coëquidan, des personnes ouvertes, non butées sur leur discipline et qui s'intéressent aux choses de l'esprit. Y compris des sociologues, cette remarque s'impose (!). Dans l'hypothèse où elles échoueraient sur l'obstacle de ces lignes, toutes ne se reconnaîtront pas dans cette description. Qui a dit que je pensais aux militaires ?! Est-il nécessaire de préciser que l'uniforme pèse peu dans la balance ? Le vent souffle sur la lande armoricaine. L'air est moins confiné qu'ailleurs. Je ne ferme pas les yeux sur les tentatives de contingentement, les petitesses. Mais que cela soit dit haut et fort, le formatage de la pensée a moins court là que dans certaines universités réputées. Cheveux courts, idées longues contre cheveux longs idées fixes, mon choix est fait. Un enseignant blogueur et éminent confrère a beaucoup pesé dans mon support d'écriture. Il ne cache rien de son agnosticisme et m'a fait, moi le piètre croyant, toucher du doigt l'exercice concret du don gratuit ; je sais, on peut ne pas croire en Dieu et ne pas être dépourvu de sens moral. Il racontera à qui veut qu'écrire, pour lui, répond à un besoin d'amour égoïste. Mais ne l'écoutez pas. Il diminue ses mérites.
Grâce à lui, mon horizon s'élargit peu à peu. Plus je passe de temps sur Internet, plus me saute aux yeux la conséquence de la logique concurrentielle. Les formes d'expressions anciennes (journaux écrits et télévision) ne bénéficient d'aucun traitement de faveur. Les blogueurs bousculent souvent la hiérarchie. Que le pape Benoît XVI parle du préservatif et l'un d'entre eux résume mieux qu'aucun organe de presse le fond de l'affaire : maître Eolas, puisqu'il s'agit de lui. Un blogueur remarquable. Des blogueurs remarquables, l'Internet n'en manque pas, au milieu de beaucoup qui se grattent le nombril à longueur de journée, qui se passionnent pour les petites phrases médiocres et la vie misérable de nos grandes huiles, qui se gargarisent de lieux communs déjà mille fois ressassés ou qui tentent de faire partager à satiété leur passion incommunicable. Mais je préfère mille fois cette cour des miracles aux assemblées de gens bien établis, à quelque niveau et pour quelques raisons que ce soit.
En m'excusant, parce qu'en voulant être bref, je n'ai pas fait assez court.

PS./ En lecture subsidiaire : Que les masques tombent. (A propos de la grogne des universitaires et des éditeurs)
PS (bis). / La chaîne des why blogs chez tomroud.


Incrustation : WB alias Warner Bros, ou (Why Blog ?!)

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